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2 juillet 2007 1 02 /07 /juillet /2007 21:58

 

Zodiac - David Fincher

 

 

 

Bienvenue dans la maison des hommes. Il y aurait des adultes, des hommes qui seraient dans la vie, qui AGIRAIENT ; il faudrait être viril et rechercher autant la vérité que les justices (de fond, disons une morale, et de forme, soit les tribunaux). Ça leur serait fatiguant, lassant, décourageant ou enrageant… Alors ils iraient au cinéma, par exemple. Par exemple, c’est l’histoire d’un inspecteur très sérieux qui court après un vrai tueur en série, et ce sont des FAITS REELS, comme ils disent, alors c’est franchement grave, c’est super important ce policier très sérieux qui court et n’en pleut plus, il va craquer, c’est sûr. Et quand vraiment il n’en peut plus, alors on lui dit d’aller au cinéma.


On lui dit : « See a movie ».


On a l’air de lui dire de se détendre. Mais c’est peut-être la clé. On a l’air de lui dire de se détendre : fais quelque chose de pas sérieux, ça va faire baisser la pression dans ta tête, et comme ça tu ne vas pas exploser. Tu vas rester un adulte responsable qui va au cinéma pour se détendre et tout ira bien… Non. Ça ne va pas aller du tout. Parce que la vérité va éclater. Pas ce qu’on avait voulu apprendre, dans la maison des hommes. Il ne fallait pas dire : « See a movie ». Si, il fallait. Comme un test ultime, le certificat d’adulte social. « See a movie », et si tu as bien appris, si tu es bien au chaud dans la maison avec nous, alors tu ne verras rien, et ça va bien te détendre. Sauf que.


Je recommence.

 


 

Zodiac - David Fincher

 

 

 

Bienvenue dans la maison des hommes. Il y aurait des grands enfants, des hommes qui seraient dans la société, qui s’agiteraient ; il faudrait maîtriser les codes de la virilité et savoir jouer grandeur nature à se faire peur (chez les policiers) et à faire peur (chez les journalistes), jusqu’à l’indispensable Game over : la résolution/révélation. Ce serait presque toujours obsessionnel, voire compulsif, une fuite en avant autant qu’un immobilisme total. Parce qu’il faut continuer à croire : que ce sont des adultes, que la maison des hommes est sûre, qu’il y a un sens logique et édifiant au cours des choses et du vivant, une juste rationalité où cow-boys, voleurs, indiens et gendarmes ne renvoient qu’à leur panoplie. Des archétypes de rôles à jouer en guise de vie. Mais si quelqu’un voit un film, ça peut basculer…


Si un inspecteur va au cinéma pour voir un film policier, censé le divertir, il ne va pas pouvoir rester. Parce que même ce cinéma-là, pas intimidant, qui s’avance presque masqué, renvoie tout de suite ça : le vaste jeu. C’est le Zodiac ou le Scorpion ? Et c’est quoi cette breloque de justicier ? Dirty Harry ? C’est quoi cette caricature de la virilité ? Non. Pas une caricature. Juste le miroir retourné. Avec toutes les coutures apparentes. Sans se donner la peine d’avoir l’air policé. Est-ce que tu voulais que ce soit Allen le coupable pour que ça s’arrête ? Evidemment. Evidemment pas pour que ça s’arrête. Pour que ça continue. Pour que les rôles soient validés. Bien sûr, que c’est peut-être lui le coupable. Ce n’est pas le problème. Le problème, c’est qu’il reste du cinéma irréductible au divertissement, et qu’on peut encore y voir quelque chose. Et le tueur a une longueur d’avance. Parce qu’il a reconnu dans Les chasses du Comte Zaroff quelque chose qui était sa vérité. Ou tout comme*. Avec les meilleures intentions du monde, la morale esthétique finira toujours entre les mains de celui qui regarde. Alors ce serait aussi l’histoire des fantoches du Mal qui ont une longueur d’avance sur ceux du Bien, en sachant reconnaître une vérité dans l’art quand d’autres n’y voient plus que divertissement (permanence du mensonge).


L’intuition : cette séance de Dirty Harry, idéale jusque dans l’ambivalence (esthétique, morale et commerciale) du film choisi, est le moment charnière du film. C’est là que le relais commence à passer du policier au dessinateur. C’est là que ça se passe pour de bon : le film quitte les rails du thriller à résolution/révélation. La séquence de croisement (magnétique mais ignoré) du policier et du dessinateur aux abords de la scène du meurtre du chauffeur de taxi n’en est que la confirmation. On rentre dans le grand mouvement. Le dessinateur va reprendre l’affaire. C’est-à-dire que d’abord, il va perdre pied, puis il sera sauvé parce qu’il est double et abandonné.


Je recommence.

 

 

Zodiac - David Fincher

 

 

 

Bienvenue dans la maison des hommes. Il y a quelqu’un qui n’arrive pas tout à fait à y entrer. Le dessinateur, donc. Cartoonist. Pas très sérieux, tout ça. Et il perd pied en essayant de rentrer dans la maison. Il y a deux pères à quitter. D’abord, le journaliste, presque une figure de vrai grand enfant, puisqu’il sait, lui, que ce n’est pas sérieux, mais pas du tout**. Et sa manière ultime de renvoyer le dessinateur est un peu plus féconde que celle du second père, le policier. Ils ont pourtant l’un comme l’autre du mal à entendre ce que Junior essaie de leur dire (écrire un livre, la fin de Dirty Harry) : c’est comme s’il refusait de grandir (il ne comprend même pas le mot  business), ils vont finir par le laisser. Se débrouiller. Se dédoubler et les remplacer tous les deux. Là, il tourne au bord du piège : il devient super investigateur, il devient un adulte social pour de bon, ça veut dire qu’il se met à s’agiter, qu’il devient obsessionnel, jusqu’à l’overdose (overgame), qu’il faut que la machine tourne pour que du sens soit affiché. Là, il devient un vrai représentant de la maison des hommes : profondément irresponsable et égoïste. Et il est alors nécessaire que femme et enfants (dont il fait ses collègues) partent, pour leur survie ; pas à cause des risques liés au tueur, mais parce qu’il y a un grand enfant irresponsable dans la maison qui ne s’endormira pas avant d’avoir trouvé la fin du conte.


La première chose qui le sauve, c’est qu’il n’est pas si viril que ça. Il n’a pas un flingue à la main, il est spontanément plus proche du journaliste un peu ambivalent et décalé, qui boit (entre autre) de plus en plus, parce que ça ne rime à rien. Ce qui le sauve vraiment, c’est d’être du côté de la création, en douce, sans oser trop encore, avec ses dessins. Alors il est resté jusqu’à la fin du film, c’est important de la raconter au policier, même pour de mauvaises raisons***, pour dire que le tueur s’est fait prendre, et tout ira bien dans la maison. Mais non. Il faudra des années, aller au bout des illusions de quête de sens pour accoucher simplement d’une œuvre. Un livre. Dont l’histoire n’est peut-être que le menu détaillé d’une obsession. C’est déjà ça. C’est déjà plus vrai que l’obsession elle-même. C’est peut-être, au bout, devenir soi, entrer vraiment dans la vie.




David Fincher - Zodiac

 

 

 

Il y a un policier qui ne s’en sort pas, et son collègue qui a sauté du train en marche pour tenter de rejoindre une vie dans une disparition si discrètement vertigineuse. Il y a un journaliste qui se laisse dérailler, il n’a peut-être pas vu ce qu’il y avait en dehors de la maison ou il en a eu peur, il a intégré cette peur là et il la calme à grandes rasades. Ces trois décrochages surviennent à l’image autour de la confrontation avec le suspect préféré, sans doute le bon. Il y a un jeune dessinateur qui n’a pas l’air d’avoir commencé à vivre et sera peut-être sauvé par son œuvre. Aussi par la patience sans complaisance d’une femme. Comme souvent chez Cronenberg, quelque chose suggère que la femme sait, déjà, comprend. Elle est dedans. Et l’homme passe par sa création pour s’incruster dans le vivant.


Il ne s'agit pas seulement de scénario, pourtant certainement brillant. La caméra traverse ces hommes presque bidimensionnels plus qu'elle ne les scrute. Pied de nez d'un casting parfaitement alléchant. On ne distingue pas si vite les brillants "premiers rôles", des seconds, voire des derniers, voire des enfilades de bureaux ou de voitures… Tout est fluide, tout coule, tout s'élance et fuse dans une bande son implacable. Et tout est déjà mort. Les explosions de violence pure de la première moitié du film, suffisent à rappeler que les jeux sont faits. Ou presque. Il y aurait quelque chose de vraiment important, qui rappelle la vie, qui rappelle à la vie, malgré tout : le cinéma donc. Ce serait un film ou la vérité et la vraie maturité seraient du côté du cinéma, et pas des commissariats ou des salles de presse (sans parler de la télé où la mascarade atteint son comble avec le toujours irrésistible Brian Cox). On oserait dire que c’est l’œuvre de la maturité pour Fincher qui revient forcément de loin avec le brio visuel initial qui est le sien (et qui menace toujours de le faire déraper). Humble beginnings. Avant d’arriver à l’œuvre, il y a ceux qui peuvent venir du clip, ou pourquoi pas du dessin, pas loin de la BD. Madame Bovary, c’est lui, c’est le dessinateur, qui donne au film ses couleurs incroyables, qu’on dirait jamais vues : ces jaunes, ces verts, ces bleus qui s’arrachent à d’exceptionnelles gammes de bruns et gris voire gris métallisé et tout à coup c’est genre de la SF ou tout comme. Ces couleurs sont incroyablement belles parce qu’elles sont franches et tristes à la fois, douloureuses, les couleurs d’une BD d’enfant tout juste expulsé de la maison des hommes. Et qui essaie de commencer à vivre. Sans plus trop attendre. Et en attendant tout à la fois, des œuvres. Maintenant. Et ici : see a movie.



  Zodiac - David Fincher

 

 

 

*
La réalité du Zodiac est peut-être davantage vers l'écriture. Les chasses du Comte Zaroff (The Most Dangerous Game) renverrait d’abord au livre, aux dires du suspect favori. Mais c’est le regard porté sur lui qui compte le plus ici. Et celui qui le porte vraiment, qui veut voir, dont l’ultime but est de « look at him in the eyes », le dessinateur, lui est autant un homme d’images que de textes, BD oblige. A l’arrivée donc, il est le narrateur, le plus proche du réalisateur. Le cinéma, c’est aussi de l’image et des mots. Des mots qui vont jusqu’à s’inscrire à l’image (scène dans la salle de rédaction où Graysmith voit le contenu de la lettre du Zodiac se surimprimer en 3D à son environnement). L’hypothèse de Cyril Neyrat dans les
Cahiers du Cinéma (de bout en bout passionnante - N°624, Juin 2007), n’en interdit pas une autre qu’il effleure à la fin. Je penche plus pour une vision du Zodiac recréée par le dessinateur et le réalisateur, que pour une reconnaissance de deux créatures de même matières – le dessinateur et le Zodiac. Mais le miroir est là, bien sûr (notamment dans le traitement « dessiné » et permanent des deux personnages, Neyrat encore). De fait la reconnaissance et le traitement cinématographique du Zodiac lui sont extérieurs : ainsi sa signature sur bobine de film est avant tout une fausse piste narrative et donc surtout la vérité du regard du dessinateur ; l’utilisation ponctuelle du ralenti dans les meurtres serait aussi cette projection cinématographique sur le tueur, plus qu’une simple coquetterie visuelle. C’est par l’écriture que le Zodiac, dont les lettres déjouent les graphologues, s’en sort. C’est par l’écriture que Graysmith va au bout de sa quête et pense mûrir (« I’m not a cartoonist anymore »). La force du Zodiac est aussi son aptitude à avoir fait une chose : « breaking the pattern ». Briser le motif. D’où possiblement un film dont le récit réconcilierait ses hier, aujourd’hui et demain (en flirtant encore avec le texte de Neyrat) : l’écriture, l’image, le numérique.


**
Savoureux badge « I’m not Avery », arboré par Graysmith au moment où la fusion est la plus forte au bac à sable.


***
« Dirty Harry gets him » : c’est bien la première chose intégrée par le dessinateur. Seule l’urgence de la dire à l’inspecteur trahit ce qui se joue réellement. Le film aurait avant tout servi à réactiver les croyances, le faisant entrer de plein pied dans la maison. C’est aussi plus profond : la croyance dans le cinéma. Comme passer de l’espoir à la foi (hors toute connotation religieuse bien entendu). Le parcours de Graysmith devient dès lors une traversée du fantasme. Aller au bout. Au bout de l’illusion pour s’en affranchir, selon le modèle Muriel (P.J. Hogan) entre autres. Le bout du fantasme : la confrontation avec la sœur de la première victime (à l’image). Il tente de la forcer à dire que le tueur s’appelle Rick, il veut remplacer sa mémoire : le dessinateur veut substituer au réel un monde qui s’accorde à ses désirs. Ça ne marche pas comme ça. On remarque simplement que c’est une femme qui résiste, encore, en face. Game over. La vérité du cinéma et l’approche cinématographique du tueur sont le plus beau moyen pour regagner la vie, et non la fin, non la vie même.

 

 


Zodiac - David Fincher

 

 

 

 

PS de rappel : de mettre un film en mots, il est joyeusement vain
                    sûr on parle de soi, quequ’ part ça fait du bien ?

 

 

PPS : belle affiche américaine, je trouve.

 

 

(Billet remis "au propre" le 5 août 2011)  llet re-publié en date d'origine et quasi à l'identique le 30 janvier 2011 (actualisation des illustrations et mise en forme).

 

 


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commentaires

J
Et bien mille merci, article passionnant, tout autant que celui de Neyrat.. Je prépare en ce moment mon mémoire sur ce film, et rares sont les textes intéressants, la plupart des spectateurs se bornant à y voir un "thriller limite documentaire un peu chiant".. Merci encore, donc!
Répondre
D
<br /> <br /> Bonjour Ju, et bienvenue !<br /> <br /> Merci également d'avoir pris la peine de laisser ce commentaire. Je suis très touché de l'intérêt pris : tous mes encouragements pour le mémoire. (J'avoue que je vois très bien la teneur de<br /> nombreux textes sur ce film ;-) )<br /> <br /> <br /> <br />
H
merci pour le commentaire sur mon blog (ubikart). j'y met des liens vers dossiers et analyses de films, en gros c'est un peu mon encyclopédie perso (j'étudie le cinéma).mais j'ai vu qu'il y avait un bug, donc maintenant tu peux jeter un oeil pour voir le courtmétrage de godard et les divers liens. et bravo à toi pour tes textes si particulier et originaux. (qui suscite l'intérêt et la discussion)
Répondre
D
<br /> <br /> Alors, c'est moi qui te remercie encore, hamesh ;-)<br /> <br /> Cela me botte bien aussi ce que tu fais, je trouve ça humble et exigeant à la fois. Je reviens, bien sûr, vers le Godard, et j'ai hâte de faire le tour de tes dossiers Aguirre et<br /> Zodiac.<br /> <br /> Très stimulant de venir chez toi : alors à bientôt !<br /> <br /> <br /> <br />
B
J'ai adoré Zodiac, le meilleur film policier depuis... Se7en. Fincher est à mon sens un as du genre. Il va certainement marquer l'empreinte du 7ème art pour longtemps avec des oeuvres comme celles-ci mais également Fight Club.
Répondre
D
<br /> <br /> Salut Benoît, c'est sympa de passer par là... Je vois que monsieur Fincher t'a mordu, mais apparemment pour le meilleur : ton enthousiasme fait plaisir à lire !<br /> <br /> <br /> <br />
C
Article trés intéressant. J'aime beaucoup ta manière de parler des films.. pas encore vu celui là, mais je compte bien le voir dés que possible. J'ai failli le louer la dernière fois et puis j'ai finalement pris "Babel", que tu dois certainement avoir vu. Sinon, dernièrement le film qui m'a vraiment marqué est le labyrinthe de Pan, un pur chef d'oeuvre du genre, SF, un merveilleux conte pour adulte signé Guillermo del Toro. Voilà, je reviendrai bientôt te lire..Merci pour la considération que tu as pour mon travail... cela me touche beaucoup.
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D
<br /> <br /> Eh bien mais merci aussi ! Je suis également sensible au fait que tu apprécies ma démarche.<br /> <br /> Pour Zodiac, le DVD est demandé au Père Noël, en ce qui me concerne :-)<br /> En revanche, je n'ai pas la moindre idée de ce que cela peut donner de découvrir le film en DVD. Si ce n'est qu'il vaut mieux être en forme, vue la durée... Enfin, tu me diras<br /> peut-être ;-)<br /> Tiens, le Labyrinthe de Pan, c'est heureux que tu le mentionnes. Je n'ai pas pu le voir à<br /> sa sortie, et il va falloir ratrapper ça. D'autant que j'aime beaucoup les contes, et encore plus pour adulte !<br /> <br /> A bientôt, chez toi aussi.<br /> <br /> <br /> <br />
T
Wha. 1er long article que je lis sur ton blog - j'attaquerai les autres bientôt. Il faudrait sans doute que je revoie le film, mais ça me parle :-)
Répondre
D
<br /> <br /> Très heureux que ce premier long article ne marque pas la fin de ton intérêt pour ce blog. Et revoir Zodiac a été un vrai plaisir pour moi... Tiens-moi au courant si tu le revois<br /> :-)<br /> <br /> <br /> <br />

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