Cet article est la suite de … (I)… ou mon système d'intolérance.
J'ai adoré Reservoir Dogs. J'avais dans les vingt ans… Je trouve que j'ai grandi un peu depuis, cinématographiquement parlant, et pas seulement. Et pas seulement vieilli.
Donc j'ai vu beaucoup de films depuis : ils m'ont emmené plus loin, et simplement donné envie de vivre, et plus vrai, et plus ouvert, et plus beau, et plus juste... Et je trouve que ce qu'on nous bombarde avec les films de Tarantino, c'est trop court, parce que là, pour moi, ça dérape.
Deathproof (Boulevard de la mort…) : des moments vraiment excitants, et d'autres, ou les mêmes, brillants visuellement, bien sûr. Pas que, mais bien sûr. Evidemment Tarantino a un brio visuel beaucoup plus complexe que ceux qui viennent souvent, par exemple, du clip ou de la pub. C'est quand même tout de suite moins toc, moins esbroufe pure, on a envie d'y croire. Parce que ce qui passe tout de suite, bien sûr, c'est le plaisir qu'il a lui, Tarantino, de faire ces images-là, et le plaisir qu'il a de voir des films. D'une certaine manière. Celle d'un passionné. D'ailleurs…
… je vais donner ma définition du mot passionné qu'il semble souvent obligatoire d'employer dès que l'on parle d'art. Il faudrait être passionné. Chacun met derrière le mot ce qu'il veut. Je dis donc ce que je mets derrière quand j'emploie le mot passionné. Passionné : passion. Passion : souffrance. Mouvement violent. Emotion puissante qui domine la raison et qui oriente toute la conduite. Je schématise mon système d'intolérance : d'un côté " l'intello ", de l'autre le passionné. Et entre les deux : la vie ou l'art.
Tout le monde parle de cinéma. Et certainement tant mieux. Mais je trouve que : il est important de savoir d'où chacun parle. Il est vain de recommander un film en soi, tous azimuts, comme si on était tous montés pareil (si on n'est pas dans une approche " critique ", mais seulement sur le fait des goûts et des couleurs). Alors, quand l'interlocuteur peut devenir multiple, ou fluctuant, comme sur un blog, je trouve que : c'est primordial de dire d'où je parle. Après, chacun peut, réellement, répondre. Ce long article cherche aussi ça. C'est peut-être plus simple - allons savoir pourquoi ? - de tenter d'exposer ses choix, ses questionnements, en précisant ce que l'on n'aime pas et pourquoi. Mais j'en étais au passionné et au sur-cérébré. L'art ou la vie, donc : ni d'un côté, ni de l'autre.*
Alors voilà…
Il faudrait peut-être écouter davantage Tarantino quand il définit sa passion. Je trouve que : le moteur central de son cinéma est l'émotion. Les systèmes de construction et autres ne viennent qu'ensuite, même s'ils nous parviennent d'abord, ils ne sont pas premiers. Je ne dis pas que c'est un problème.
Les scènes clés des films de Tarantino sont générées par cette quête d'émotion… ou celle qu'il pense appartenir aux spectateurs, et je crains qu'en l'occurrence il ne fasse que projeter la sienne. Retour au même, donc. J'y reviens.
Cela ne veut pas dire qu'il se réduise à ça, bien sûr. Mais c'est là, de manière première, et surtout : passionnée. Et c'est excitant. Mais souvent il y a un sale goût derrière. Et ce sale goût ne vient pas du fait que d'un seul coup moi, spectateur, je suis confronté à un truc qui me dérange, de pas clair chez moi, et qu'il était temps que je me le (re)prenne dans la gueule…
Non, là, le sale goût, c'est que je suis confronté à un truc qui devient dégueulasse. En soi. Plus tordu qu'un simple terrorisme de l'émotion. Mais j'aime rire, pleurer, j'adore avoir la trouille, etc, tout ça est très divertissant. Comme tout le monde. Par contre, je sais qu'il y a des tortionnaires qui prennent plaisir à faire leur besogne. Et je sais aussi que ce plaisir là, à la fois existe potentiellement chez tout le monde, à la fois n'est pas à faire grandir, à nourrir, à flatter. Je ne fais pas complètement l'économie d'un premier rapport au Bien et au Mal (ça y est, je commence à m'embarrasser pour de bon d'écrire ce genre de truc…).**
Pourtant.
Il y aurait la catharsis. Cela fait partie de mes croyances. Si je reconnais que je véhicule le même infini champ de possibles que mes congénères : les moins reluisants, j'en fais quoi ? C'est la question de la civilisation. En ce sens, l'art en est pour moi un pilier absolument central, essentiel, premier. Mais c'est un premier particulier. C'est un premier vers l'avenir. C'est un premier en devenir. Pas inné une fois pour toutes. Fragile. Mais catharsis donc, très bien. A un moment, j'ai besoin d'évacuer mes pulsions pas glorieuses et plutôt que d'aller dépecer mon chien et le faire dévorer par mon voisin en m'assurant que ma voisine photographie la joyeuse séance, je vais me plonger dans une œuvre, dans un système plus ou moins raffiné d'identification(s), où je vais donner à bouffer, sans le flatter, à ce petit monstre-là qui est moi, aussi : moi, aussi ; pas seulement, donc. Surtout, pas avant tout. Par ailleurs, je ne vais pas avoir honte, je ne vais pas me sentir coupable : c'est là, je fais avec, mais il y a plus à vivre. Mais la catharsis est sans complaisance. Elle est précisément un moyen, non une fin.
Je recommence...
Quand je vois un film de Tarantino, globalement, sauf peut-être Jackie Brown mais je ne m'en souviens pas assez, et Reservoir Dogs, mais j'étais encore trop un marmot, arrive toujours un moment où ça monte, ça monte qu'il est train de se faire grave plaisir là où c'est pas clair et qu'il est en train de penser qu'il me fait grave plaisir aussi. MAIS CE N'EST PAS DU TOUT CE QUI SE PASSE. Dans mon cas. Je le regarde se faire plaisir. Je le regarde dépecer son chien et appeler voisines et voisins, et là je dis stop. On n'est plus dans le champ du tout. Parce que sa catharsis à lui, très bien, ça le regarde. Peut-être, ce n'est pas suffisant d'être spectateur, peut-être, il y a des choses " créatives " à faire pour exorciser, mais ça, moi, je n'ai pas à en être le spectateur.
En tout cas pas le voyeur. Ni le témoin forcé. J'ai besoin de quelque chose dans le regard même du cinéaste - quoi qu'il filme, et pas seulement dans une structure alambiquée, fausse distance - qui me donne une vraie place, ouverte et libre.
Ce n'est pas la même chose de décider d'aller voir un psy, d'y aller, et de regarder quelqu'un avec son psy.
A la limite, si le mec m'invite, vraiment, à regarder le travail qu'il fait avec son psy, ça devient documentaire pour moi, rien à redire. Et on s'est mis d'accord avant. Chacun connaît sa place.
Mais si le mec m'attache pour me mettre dans cette situation sans que je l'ai demandé aussi, ou qu'il commence à dire au psy ce qu'il croit que j'ai envie d'entendre, là tout le monde est très très mal barré…
(à suivre…)
Partie écrite le 9 juillet, arrêtée le 18 août.
* Là je fais un raccourci dangereux. Je pensais préciser dans cette note de bas de page en même temps que répondre à un commentaire sur le précédent article. Hors, comme d'habitude, j'ai besoin d'être long. Je posterai donc tout ça à part, très vite.
** Je précise quand même que cette question morale n'est pas celle de la censure, mais celle du regard. Des gens cultivés se référeraient à Rivettes, je crois, là-dessus. Je n'ai pas sous la main, mais j'irai rechercher. Donc, c'est compliqué. Certains pensent que toute question morale (y compris du regard, donc) n'a rien à faire dans le champ esthétique. A ce jour, je ne suis pas d'accord. Mais évidemment, c'est un débat.