Fin de la saga (et) de l'été, avec ses spoilers, à la suite de …(IV) … ou No Girl Power
Ce long article, sur un film que je trouve parti dans les décors, aura donc complété ma présentation (ou l'inverse). Il est sans doute plus rapide (qu'est-ce que ça serait sinon ?) de le faire en exprimant ce que l'on écarte, qu'en s'élançant dans ce qu'on reconnaît - ce que je reprendrai, ensuite, avec joie ! Cela me permet aussi de jouer avec des limites, conscient de ne pas être à l'abri d'un dérapage. Je tiens à préciser ça : je ne me sens pas confortablement assis derrière mon ordinateur pour le plaisir de dégommer un truc. J'ai peur, aussi. Ben, oui :-)
Donc : j'y vais sur ce que je veux aussi dire de limite sur Tarantino. De plus en plus de femmes dans ses films. Et là au générique d'entrée, on a " the girls ", donc : on nous met tout de suite du côté du tueur (cf III). De la misogynie (cf IV). Ce ne sont que des signes. Je trouve que : le dernier (premier ?) problème du cinéma de Tarantino, c'est qu'on est acculé à la passion de Tarantino, et sa passion… ça tournerait autour de l'homosexualité/homophobie.
Et comme on est juste dans la passion de ça : pas intéressant du tout, bien pire. Je ne prétends pas connaître avec certitude les angoisses réelles de Tarantino, et je m'en fiche. Mais il y a un truc par là qui limite/biaise terriblement ce qu'il fait. Et d'ailleurs, on va aller exploser les bombassexuelles. Les autres (j'y reviens) auront droit à la vengeance. C'était quoi le grand moment censément grave traumatique dans Pulp Fiction ? J'arrête là.
Je trouve que : vu le système de cinéma que Tarantino lui-même établit, tant qu'il ne se confrontera pas directement et consciemment à ses angoisses, on restera dans la perversion. On regardera le monsieur faire, avec plus ou moins de savoir-faire, joujou avec son caca.
S'il n'y avait pas un tel système de volonté de fusion avec le spectateur, cette question ne se poserait pas. Elle ne se pose souvent pas. Mais là, je ne vois pas comment on peut en sortir autrement.
Ici, ce que je ressens, en descendant d'un cran : dans l'organisation du film, au fond, les filles de la seconde partie sont des hommes. Je me dépêche de préciser que les codes de virilités ou de féminités me touchent assez peu d'un point de vue strictement personnel, dans ma vraie vie. Je ne considère pas que faire des cascades, fumer la pipe ou boire trois litres de bière en ronronnant devant un match de foot sont des privilèges réservés aux hommes. Mais dans ce film, vu l'extrême polarisation des groupes, répétons, répétons : les filles de la première partie prennent en charge les femmes, et sur un mode hypersex. Ce sont les hommes, qui ne se font pas tuer. Ils accèdent même à la vengeance.
Peut-être même : la mise à mort de Mike/spectateur/Quentin par ces " hommes " est la résolution brusque de ce " désir " là, impossible à assumer ici… Quelque chose par là. Je suis désolé de faire de la psy de comptoir. Raison pour laquelle j'ai gardé ça pour la fin : pas parce que c'est le " meilleur ", mais parce que je ne m'y connais pas assez pour dépasser une imprécision et une incertitude certaines. Les précédents articles me semblent assez précis sur mon ressenti et ma perception de ce qui suffit à me détourner de ce film.
Je reprends un instant avec l'entretien des Cahiers. Avant l'extrait précédemment cité (cf III), Tarantino dit : " C'est drôle… La façon dont les filles de la première partie parlent et se comportent, notamment dans le bar, l'ascendant manifeste qu'elles ont sur leurs petites copains - au point de les féminiser ". C'est vrai que c'est fin. Il faut voir la gueule du copain de celle qui fait le lap dance. Si j'avais le temps, je crois que je pourrais faire une dissert' là-dessus (sur cette citation et sur la gueule du mec).
Petit bijou : ça me défrise violent quand Quentin demande, dans l'entretien, " ça l'a fait pour vous ? ", à savoir la collision, et que les représentants des Cahiers se contentent de répondre " Absolutely ".
C'est intéressant que là ils impriment leur réponse en anglais, non ? Je précise que c'est avant qu'il expose ses meilleures intentions, avant donc " les filles attachantes ".
Je reviens donc sur le strict terrain de la misogynie.
Outre les questions de morale du regard (plutôt dans les trois premiers articles), je (me) pose aussi des problèmes de morale, tout court. J'en ai conscience. Mais est-ce que cela peut se résumer à " Tarantino, homme de plaisir / D&D, homme de devoir " ?… Beaucoup diront que cela n'a rien à voir avec l'expression artistique. Je ne sais pas.
Je trouve que : c'est complexe.
Parce qu'en même temps, une grande majorité dénoncerait un cinéma fasciste (Leni Riefenstahl ?) parce qu'il est fasciste ou d'esthétique fasciste. Donc, c'est complexe. Peut-être, en effet, il ne faut pas tout mélanger (expression artistique et éthique). Mais pourquoi on sauverait les misogynes et pas les fascistes ? Une véritable hauteur de vue demanderait de dépasser tout ça. Sinon : ça commence quand, l'horreur ?
Je précise aussi que je ne situe pas du tout la question éthique au niveau de l'histoire racontée. Est-ce que l'histoire d'un film est morale ou pas ? Je ne vois pas le problème. Et, je n'ai pas besoin de happy end...
Je recommence.
En littérature, on trouve, par exemple, le cas Céline. En général, tout le monde fait la part des choses - comme si l'œuvre la permettait elle-même ? -, et on peut-être dégoûté par le mec mais pas par l'œuvre. Moindre des choses, en soi… Sinon, ce pourrait être souvent disette :-)
Je ne suis donc pas non plus en train de dire qu'il faut être un saint pour avoir le droit de s'exprimer. Sans quoi, il n'y aurait rien à lire ici ! Ni, qu'il y aurait une limite, chez l'être, à partir de laquelle il n'aurait plus le droit.
Ce que je me demande, c'est : peut-être que c'est le système de manipulation et la volonté de fusion chez Tarantino qui détruit cette possibilité. En tout cas, c'est ce qui m'interroge…
Par ailleurs, je ne vais quand même pas développer sur les liens profonds avec Kill Bill ou Pulp Fiction, mais la fascination première qu'a Tarantino pour la violence me pose aussi problème.
Je n'ai évidemment rien contre la violence au cinéma, en soi. Parce que je reconnais la violence, je reconnais la mienne aussi. Mais ça ne me fascine pas du tout. Encore une fois, j'essaie de faire au mieux avec, en l'assumant, comme un grand, mais je ne vais pas me complaire dedans et ensuite me sentir coupable.
Je trouve que : chez Tarantino, la fascination pour la violence est première, fondatrice et surtout aliénée/aliénante…
Pour finir, Tarantino m'apparaît donc surtout comme un passionné avec un certain talent visuel, épaissi par son passé de cinévore. On n'est pas dans la platitude pure des images. Mais si je n'ai pas un grave problème perso avec lui, pour l'instant on est avant tout du côté de l'esbroufe énergique et passionnée (répétons, répétons), avec des trouvailles, ça bosse pas mal dur.
Bref : un grand divertissement, et à peine plus que ça. Mais : du divertissement du vingt et unième siècle, très sophistiqué, qui a déjà beaucoup vu mais qui a su conserver du désir.
Au mieux, je peux considérer que Tarantino est un lapin facétieux (cf paragraphe sur l'adolescence dans Scream II). Dans les pires moments : un truc dégueulasse, il y a sûrement bien pire, mais bon.
Je dis peut-être n'importe quoi.
Alors quoi ?
Si je ne dis pas n'importe quoi, je n'ai plus envie de ça à cause des pires moments. Je préfère de loin, dans ce cas là, pour me divertir, je ne sais pas, je crois bien que je préfère Rush Hour 2, voire même Ocean's Eleven…
Donc, je rêve d'un consensus moins fort chez les principaux critiques qui nous vendent à chaque fois le nouveau Tarantino comme si c'était du très grand cinéma. Que Bonitzer, avec son article sur Pulp Fiction, ait décomplexé tout un tas de gens, tant mieux pour eux : est-ce qu'ils se sentaient coupable de quelque chose ? Je me souviens que son article ne m'avait pas du tout impressionné. D'ailleurs je m'en rappelle fort peu. OK. Je vais le relire.
Surtout, je vais tenter de revoir en urgence, donc pas au hasard : Minuit dans le jardin du bien et du mal, Le couvent, Mulholland Drive, Inland Empire, Twin Peaks, Solaris, Le miroir, M. Butterfly et Crash. Allez savoir pourquoi…
PS : n'arrivant pas encore à me convaincre moi-même que mes élucubrations, même longuement martelées, sont paroles divines, voici un article d'un critique qui a aimé Deathproof, avec une réflexion sur le " marché de la viande " pertinente en soi de toutes façons. Et s'il y a quelques acharnés (dans un sens, dans l'autre, ou ailleurs), je conseille le parcours de cet interminable post - mon article à côté, une miniature - dans le forum des Cahiers du Cinéma. Rien qui m'interpelle vraiment sur le film mais beaucoup d'idées très intéressantes en elles-mêmes, et quand même une femme qui fait aussi remarquer que les filles de la seconde partie sont des mecs ! Bref, comme d'hab, quoi : c'est toi qui vois… Et si tu aimes ce film… sans doute tant mieux pour toi ! :-)
Partie écrite le 9 juillet, arrêté le 23 septembre.
Voilààààà… c'est fini.