Dimanche, je crois… J'ai trois ans. Est-ce que c'est loin ?... Papa et Maman, ou Maman et Papa, m'emmènent dans un nouvel endroit : ce sera l'envers. Ils ne m'emmènent pas chez... le coiffeur. Au cinéma, pas un lieu ou une destination : un départ. Ce jour-là a changé ma vie. C'est tout.
Ils ne pouvaient pas savoir, se seraient effrayés sinon : trop petit pour qu'ils puissent vouloir m'offrir un départ... C'est arrivé. Je suis parti. Peut-être que je ne veux pas revenir. Ou pas seulement... J'étais tout petit, comme on dit, mais il y avait déjà beaucoup dans ma vie. Est-ce qu'il y avait déjà tout, comme certains disent aussi ? Au moins Maman et Papa, ou Papa et Maman, surtout. Et puis je suis parti : pas seul, en les emmenant. Depuis, j'ai continué : j'essaie d'emmener qui j'aime. D'accompagner aussi, bien sûr. Sentimental aussi, comme tout le monde. Tout, comme tout le monde.
Je recommence.
Peut-être que je ne veux pas revenir. Pourtant, je suis déjà revenu de beaucoup, au cinéma : des premiers émerveillements, des premières illusions, comme des premiers mensonges, et des suivants suivantes suivants... J'espère pouvoir/apprendre à faire le tri, que l'émerveillement reste - celui du vivant, celui qui a la vie pour endroit -, mensonges et illusions presque tous démasqués.
Pour l'instant, je reste, là, aussi : au cinéma.
C'est parti de rien, ça n'avait l'air de rien. Ce n'est que moi.
Comment nous avons quitté l'appartement ? Je ne vois que le hall, ça commence là : avec les affiches. La promesse : nous allons voir Bernard et Bianca. Est-ce que je m'attends à quelque chose de précis ? Je ne crois pas. L'affiche attend, elle n'est pas seule...
Bernard et Bianca, dans le titre, ça sonne déjà comme Papa et Maman, ou Maman et Papa, ou ce que j'en imagine/sens/comprend. Presque tout ce que je prends avec moi du monde, que je pourrais dire, à cet âge-là. L'entrée en maternelle a pourtant déjà dû passer. Je m'en souviens aussi, mais pas le sujet ici. Et ce n'était pas un sujet, pour moi. A peine un lieu, une destination quotidienne : sans départ possible.
Bernard et Bianca... Et tout à côté, dans mon souvenir, et presque en même temps, cette image aussi fascinante de la gueule d'un grand monstre, quelque chose comme ça, immense qui va fendre la surface de l'eau où nage une silhouette... Je ne sais pas si j'ai eu peur. Fasciné... Etait-ce la suggestion de la nudité de la nageuse ? La naissance de la violence ? Est-ce que je sentais que cette autre affiche, là, j'avais à peine le droit de la voir ? Ce que promettait cette affiche n'était pas pour le petit garçon...
Donc, là, j'ai su que j'allais grandir, qu'on grandissait. Parce qu'un jour j'aurais le droit de voir ça, aussi.
Alors, ce jour-là, j'ai dû sentir que j'allais mourir. Aussi.
Et surtout Maman et Papa, et Papa et Maman.
Un simple dessin animé, avec deux petites souris qui luttent, une libellule épuisée, d'autres grandes mâchoires pleines de dents s'abattant sur un orgue... et, déjà rempli, je savais qu'il y aurait encore d'autres choses après, et avec des " vraies " personnes, et j'ai vu, à l'écran, quelque chose qui ressemblait à l'éternité...
Donc, c'était possible. Tout était possible.
L'envers et l'endroit.
Le cinéma a failli me tuer.
Non. C'était moi.
(to be continued…)
PS : Titre original du dessin animé ? The Rescuers... Bien sûr, je ne le sais pas depuis longtemps, et cela reste encore très private joke, pour l'instant...
PPS (ben oui !) : je ne vais sans doute pas pouvoir m'empêcher d'exposer un peu, prochainement, ce que je tente de faire avec ce blog, qui doit donner l'impression de partir - à deux à l'heure ;-) - dans tous les sens , pour l'instant… :-)