Cet article est donc la suite de Batman et son sigle…

D'un point de vue critique, certains films, tout au moins à leur sortie, font débat plus que d'autres, sur leur totalité ou sur certains fragments. Et/ou, par exemple, ils se traduisent par une remise en question d'un auteur, qu'elle s'avance comme ponctuelle ou pour ainsi dire définitive, pressentie comme passagère ou profonde.
Ainsi notamment de I'm not there de Todd Haynes, My Blueberry Nights de Wong Kar Waï, Paranoïd Park de Gus van Sant voire La Nuit nous appartient de James Gray même si ce n'est "que" sa troisième œuvre (possible raison, entre autres, pour laquelle les attaques sont généralement plus mesurées ?).
D'autres films me semblent pris avec certaines pincettes, voire, un tantinet, une seule pince mais sur le nez. Il est toujours beaucoup plus chic, dans nos salons, de défendre des séries B ou Z, que de traiter avec les mêmes égards les stars qui touchent le grand public. Et plus particulièrement quand elles ne présentent pas un label rouge " rock n'roll ", ou vaguement " trash " (sincèrement ou dans la pose), pire si elles sont bien vivantes et au sommet de leurs moyens (mais je ne dis pas nécessairement de leur talent). Ce ne sont que des exemples. Cela concerne peut-être Michael Clayton.
Je ne suis pas en train d'écrire que toute personne résistant à George Clooney est snob, ni qu'il est nécessairement revanchard de refuser une tranche de tarte à la myrtille.
N'empêche. Ce qui est intéressant aussi : relever les tendances, qu'elles soient à la mode ou persistantes, pour les remettre à leur place, aussi brillamment exprimées soient-elles, et se laisser la possibilité de reprendre, vraiment, une bouffée d'air, et si ce n'est pur, moins usé.

Quand je sors de Paronoïd Park et consorts, j'ignore encore presque tout des débats : je ne lis pas, avant, de réactions sur les film que je suis sûr d'aller voir. Mais quand j'en sors, là : il se trouve d'abord que… je ne sais pas… ça m'interroge singulièrement.
Et je ne vois pas pourquoi je devrais trancher. Artificiellement. Par le biais d'un raisonnement strictement intellectuel. Ou par le secours de mon bon plaisir ou pas, parce que : même le mien, sur le plan esthétique, je m'en contrefous. Il doit déjà suffisamment m'orienter comme ça : je n'ai pas besoin de m'y accrocher ou de le brandir. C'est sympa pour parler dans les dîners - quoique -, ou ça peut sauver la mise à la machine à café - j'en reparlerai -, mais...
Parfois, aussi, je n'ai pas la disponibilité suffisante pour échanger avec le film au moment de sa projection, ou pas sur sa totalité : fatigue, paresse, préoccupation autre mais persistante, etc… Je ne suis pas, donc, un critique professionnel ou apparenté.
Surtout, et quand ça ne passe pas par l'évidence - la reconnaissance ? - avec le film, je me demande si ce qui m'a d'abord accroché le regard, c'est la silhouette noire ou la mâchoire jaune-orangée. Et si c'est la "bonne" anse que je commence à attraper… Des films comme Inland Empire, cette année, ou Eyes Wide Shut, déjà évoqué, de la première à la seconde vision : presque le jour et la nuit.
Dans tous les cas… j'attends. J'attends le moment où la rencontre avec le film va vraiment avoir lieu : qu'elle soit étreinte ou empoignade. Ou…

Je trouve que : le temps donne ses réponses, et ses vrais nouveaux questionnements… Alors je laisse vivre. Et je nourris ma rencontre, en lisant ou discutant, évidemment en revoyant, en étant actif donc, mais aussi tout autant, simplement en vivant, tout ça travaille sans qu'on y pense, quand on le souhaite, en laissant vivre *.
Et puis, à un moment, je rencontre le film. Et ce n'est, bien sûr, que ma réponse d'aujourd'hui - qui changera peut-être après-demain - ou mon nouveau questionnement - qu'il soit urgent ou patient.
Là, je peux en parler. De manière synthétique. Quand la rencontre a eu lieu. Pas avant. Et en plus je suis lent !
La rencontre avec une œuvre : le moment de la vérité. De la sienne bien sûr. Mais profondément. Pas absolue : toute relative, mais celle qui fait qu'on a avancé d'un pas vers ses propres possibles.
Enfin : le truc jaune-orangé appartient tout autant à l'image que la silhouette noire. Mais quand je vois enfin la silhouette noire, je trouve la vérité relative de l'image. Si je bloque uniquement sur le truc jaune-orangé : je n'ai encore presque rien vu.

Pas si facile tout ça. En tout cas, pour moi. Parce qu'il ne s'agit pas d'épouser un point de vue que l'on ne ressent pas profondément : là, bien sûr, c'est droit dans le mur. Pas si facile : mais tout sauf compliqué : laisser vivre et tenter le dialogue vivant, et ça, j'y reviendrai.
Soit il s'agit de se laisser la possibilité de basculer… Tiens, c'est les sept vies de Catwoman, pardon, les six, de Bob Dylan.
Soit il s'agit de douter, vraiment - au sens philosophique ? -, pour retrouver, débroussaillé et rasséréné, son ressenti propre… Tiens, l'épisode Natalie Portman versus Norah Jones...
Donc quand tu commences, tu ne sais pas ce qui va t'arriver… Qu'est-ce qui va se passer après la douche/fin de déni de réel ?… Alex ?…
Me rappeler ça, tenter de m'y tenir : tout sauf anecdotique. Sans quoi : commencement de la fin de la liberté. Ben ouais. Donc, encore, j'y reviendrai.

Ce que je préfère : lire ou regarder des (vrais) entretiens avec les réalisateurs. On ne peut pas limiter une œuvre à ce que son créateur a très consciemment cherché **, encore moins à ce qu'il se sent d'exprimer sur le mode de l'entretien, mais parfois : cela (ré)ouvre de sacrées pistes, ou cela revitalise une intuition.
Viennent ensuite la lecture d'approches critiques, et enfin les goûts et les couleurs : n'importe pas seulement l'expression des autres points de vue, mais le prolongement de la durée de vie avec le film. Parce que les mots des autres font rejaillir les images, que ce soit dans le partage ou par opposition.
Et puis, parfois aussi, il y a l'ambivalence totale. Sur la durée ou dans une alternance. Adhésion ET rejet.
Il faut trancher ?
Pas envie. En vie, oui.

* Cette manière de "voir" n'est bien sûr permise que dans des conditions d'exploitation cinématographique décentes. Le plus souvent, les grandes villes, donc. Car hors d'elles, le formidable travail des indépendants est déjà absorbé par la question de la visibilité. La durée me semble le second combat nécessaire. Ainsi du réseau Utopia en province : ça, on ne peut pas lui enlever. Paris, sur ce plan, reste un privilège absolu, malgré un réel effondrement. Il m'a d'ailleurs fallu courir à Créteil pour revoir Michael Clayton. Je ne me plains pas, mais ce ne serait pas arrivé il y a dix ans.
** Dans la série toute règle a ses exceptions, je précise quand même ma position : les œuvres qui m'interpellent relèvent avant tout d'un auteur, autrement dit le metteur en scène/réalisateur. C'est, en tout cas, ma manière de les recevoir.
