Episode précédent : Le jour où ça a recommencé… ou Tentative d'un autoportrait #2

Je crois que c'est noël. Plusieurs fois. Ou alors : à chaque fois, cela devient Noël.
Parce que : c'est miraculeux.
Nous sommes chez un oncle, une tante, et leur fils un peu plus âgé que moi. Mon grand cousin préféré alors. L'oncle joue le magicien : il sait faire du cinéma dans une maison. Comme on sait faire du feu. Je ne sais pas encore que cette sensation disparaîtra, ni comment s'appelle cette machine, mais je reconnais un écran.
Il y a dû y avoir d'autres films.
Je ne me souviens que de King Kong.

Quand je reviendrai, chaque fois, j'appellerai Kong. Je ne crois pas y avoir sacrifié quoi que ce soit. Au contraire. Ce plaisir des retrouvailles. Et la fin, inéluctable : alors une foi naissante, chaque fois renforcée.
Peut-être que la toute première fois, le finale m'a semblé dans l'ordre des choses et comme un apaisement : j'étais terriblement impressionné. Puis petit à petit, retrouver le film dans cette double joie : celle de revivre les plaisirs déjà connus, et surtout celle des découvertes insoupçonnées jusqu'alors.
Peut-être que la toute première fois… Mais la dernière ! Et sans savoir encore que ce serait la dernière comme ça : là, je savais. Je savais que la fin serait une catastrophe irréparable. Dès que le film commence, je sais, et je sais que cela va arriver. Et je sais que tout sera perdu.
Tout sera perdu.
Dès que mon oncle commence à faire… je sais : mais j'ai la foi… Je ne vis pas cet instant dans l'attente de la catastrophe : je vis le film dans la possibilité d'un nouveau dénouement. Je suis avec.

Cette foi dans le cinéma, si littérale, m'est toujours précieuse à recouvrer. Carlito's Way de Brian de Palma repose, entre autre, là-dessus.
J'ai l'impression que j'étais si petit, au début. Totalement fasciné. Presque en dehors même de toute émotion ou de toute compréhension particulière. Fas-ciné. De la peur, c'est sûr, au tout début. Et les dinosaures. Cela envoûte souvent l'enfance, les dinosaures. Les monstres. La beauté. Et c'est déjà trop dire.
Ce n'est que bien après, pourtant, que je pleurerai, vraiment, en voyant ce film : quand Kong est enchaîné, quand Kong chute.
Ce n'est que bien après aussi que j'y retrouverai une belle et une bête, et même plus directement, une forte proposition sexuelle.

Je n'ai aucune nostalgie. Sur MOIJE. Je ne vois pas, aujourd'hui, les films qui ont marqué mon enfance ou mon adolescence, avec le besoin de raviver les sensations d'alors, avec la crainte de les bafouer quand le film, décidément, ne tient pas la route. Cela arrive…
Quand je reverrai King Kong au cinéma, comme il y a quelques années, je le verrai tel que je suis aujourd'hui. Je n'ai pas besoin de lui pour me rappeler mon enfance.
Je recommence.
Mon enfance n'est pas à rappeler. Elle est là. Sa place est préservée. Je peux raconter son histoire, ses rôles, ou ses jeux, ce que tu veux. Mais son vivre, je ne l'ai pas encore enseveli. Et c'est sans doute au cinéma que je le dois : pas à ses histoires, ni à ses rôles, mais à son vivre, oui, ce que je ressens de son essence. Alors je peux être adulte, vraiment je crois, en même temps, sans crainte profonde. Je peux bien mettre tous les masques qu'il convient : je n'ai encore renoncé à rien. Mon enfance n'est pas morte. Et surtout…
Kong n'est pas mort non plus.

PS : il y a une part de nostalgie, ailleurs, dans le fait de revoir ces films, ou d'écrire ici. Hors cinéma. Hors ce que j'y puise…Les films me rappellent les autres. Surtout les grands, quand j'étais enfant. Comme ils étaient avec l'enfant. Entre grands, ce n'est plus tout à fait pareil, il me semble. A tort ou/et à raison… J'aimerai toujours cet oncle.
