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21 janvier 2008 1 21 /01 /janvier /2008 09:12
A ce stade-là, on ne peut même plus parler de **SPOILERS**.

Aux abords de la maison : deux enfants. Ils auraient pu s'appeler Roméo et Juliette, mais… gosses des années quatre-vingts : inutile de mourir pour n'être plus vivant.


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Il y aurait deux enfants. Ils s'appellent Bobby et Amada. C'est déjà ça. Et fous l'un de l'autre. Ils veulent croire qu'ils sont innocents : Amada, la rabatteuse et Bobby, le gérant de boîte de nuit. Ils prennent plein de trucs d'enfer, ils s'envoient joyeusement en l'air, et s'offrent des cadeaux, des bisous. Ils font comme si, aussi, comme si ils étaient innocents : mais pas seulement. Du fric derrière. Mais pas seulement : il y a Amada et sa maman, Bobby et son papa. Ils pourraient avoir quinze ans. Peut-être moins. Et sont le refuge l'un de l'autre. Ils ne veulent pas tout à fait voir : ce qu'on leur demande. Ce qu'on attend d'eux. Surtout Bobby : le déni de réel sur Papy Mafia vaut du plomb. Ne rien voir et ne rien entendre. Parce que : il ne veut pas devenir comme eux. Irresponsable : de peur de virer coupable. 

Chez Bobby et Amada, avec Amada et Bobby, tout est couleur de peau vivante et solaire. Tout est du côté du bois chaud. Même toc. Et même vulgaire. Tape à l'œil. Mais chaud. Comme dans le ventre. Et entre les bras.

Chez eux, les flics ou les mafieux - dans les vrais locaux, là où ressuscite la cocaïne -, tout est couleur de froid et de désolation : des gris, des blancs, des bleus, sales ou aseptisés. Tout est couleur de peau de cadavre. On peut s'y trancher la gorge : ça ne risque pas de salir ou de changer grand-chose.

Qu'est-ce que tu vas faire Bobby ?... Si passer sa vie à jouer aux gendarmes et aux voleurs, ou aux cow-boys et aux indiens, c'est tout le contraire de l'enfance. Rance.

Je recommence.


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Il y aurait deux frères. L'un dans les pas du père, et l'autre sur le bas côté... L'un a sacrifié très tôt son enfance en la mutant : son visage en prendra les stigmates. L'autre s'y accroche désespérément.

Il n'y a que de la solitude. Il n'y a pas de solitude, aussi, mais deux grandes familles : les flics et les mafieux. Courte vue bien pensante affolée, je crois, que de projeter ici une morale type : gentils flics versus méchants mafieux. Ce que ne cesse de montrer James Gray : deux familles, aux rouages similaires. Quand les flics passent à table : les mafieux en famille. Filmés pareil. Dans Eastern Promises, ce sont les " good people " en face : opposition de la construction des plans sur les repas. Et Tony Musante en flic " sicilien " ici... We Own the Night. La nuit nous appartient. Aux deux, mon capitaine. Et à personne. Mais : les deux appartiennent à la nuit. La nuit dans laquelle a sombré toute enfance.

Réactions en chaînes.

Bien sûr que : le frère sacrifié le plus tôt, le plus mortellement, viendra chercher l'autre. Et peut-être pour le (/se ?) sauver, aussi, au sens premier : sauver la peau. C'est déjà ça. Pour que Bobby ne disparaisse pas trop tôt. Ni romantisme, ni adolescence. James Dean is no option.

Ici, tout sera démission. 


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Dès le générique, nous sommes prévenus. Il y a des photos. Des vraies. Des vrais policiers. Des vraies victimes. Des vrais criminels et des vrais innocents bafoués. Et la dernière photo : à la morgue. Et le film n'a pas encore commencé. Dans Flags of Our Fathers, les photos venaient après la vie dans le film. Ici, elles viennent avant. Il ne sera pas question d'autres choses que de mises à mort ou d'agonies qui ont toujours déjà eu lieu. History repeating.

C'est comme si c'était fait.

Des missions. Des séquences virtuoses : la descente de l'un dans la boîte de l'autre…

Tout le monde est fait. Pas de vainqueur.

A un moment, tu le sais. C'est cuit. Bobby vient de voir son frère. Ce qui lui est arrivé. Il vient de ne pas voir son père. Non : il vient de ne pas avoir été vu par eux. Du tout. Il n'en peut plus, ne peut pas vivre sans ces regards-là. Il rentre, Amada l'attend, il tombe à genoux, comme son père quelques plans plus tôt. La caméra, dans un mouvement, isole Amada, révèle la nouvelle frontière entre les deux amants. C'est annoncé. Elle sera seule. Petite fille ou pute ou femme, peu importe. Dans la maison des hommes : il n'y aura pas de place pour elle(s).


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… Bobby a un sac sur la tête. Il n'arrive pas à respirer. L'image étouffe de ce visage disparu qui l'envahit tout entier. Bobby fait son initiation : les flics l'envoient chez les mafieux. Il auraient pu la faire chez eux, au fond : qu'est-ce que ça change ? C'est l'heure de devenir " grand "… La tête de Bobby dans le sac qu'on entend respirer, comme un veau qu'on emmène à l'abattoir, aveugle, qui ne voit pas où il va, mais qui le SENT.

On enlève le sac de la tête. Quelque chose est resté dedans ? Dans ce mini cocon… C'est maintenant, la grande peur : prendre le long couloir. Un long couloir qui part de derniers tons chauds pour fondre dans le noir… Et au-delà du noir : les couleurs de la peau des cadavres. Cela aurait pu être le commissariat ou l'hôpital. C'est le labo à coke. Au-delà du noir. Au-delà de la peur. Fin de l'épreuve : est-ce que ton corps peut encore bouger là-dedans ? Est-ce que tu peux te mouvoir ? Servir à quelque chose ? A quelqu'un ? Est-ce qu'il vaut mieux t'achever tout se suite ? Et Bobby n'entendra plus rien que sa peur…

Et Bobby essaiera de s'envoler.

C'est gagné !... Tout est perdu. Son corps s'est adapté. Mutilé : à l'intérieur et sur la peau. Quelque chose a grillé. A ce moment aussi, la bande-son du film est remarquable de précision, de reliefs, et d'étouffement glacial. Voilà… c'est fini ?
   
Tt tt tt tt tt…


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Bobby ?... Bobby... Ce n'est pas fini. Il manque encore quelque chose. Il y a quelqu'un qui te retient encore, dans l'amour contrarié - tu le crois - que tu lui portes… Tu sais bien… Encore un petit pas… 

La ville toute entière va se parer de froid et de larmes et, tu vas voir : ce ne sera pas pour rien. C'est l'une des toutes plus belles poursuites de voitures que le cinéma ait offert. Et je peux vous dire que ça ne me fait pas vibrer d'office, les courses de bagnoles…

C'est fini ? C'est fini ? Tout est si calme à présent. Tu ne peux quand même plus être un enfant, Bobby… Puisque tu n'es plus le fils. Et là, ça (re)commence pour de bon : la tragédie. Entièrement assumée ici. Pas si fréquent. Mais Eastern Promises, aussi. Je vois un autre point de rencontre : une sécheresse bienvenue des plans et du montage, coexistant avec une grandeur nécessaire dans ce genre assumé  - la tragédie plus que le film de gangster -, et dans les deux cas, une forme de lyrisme est alors aussi invitée.

A l'incommensurable de la perte du père, succède la sécheresse d'une rupture encore inavouée. Amada regarde Bobby, qui ne peut déjà plus la voir. Elle est encore bien près de lui. Il dit : " I don't want to be alone ". C'est ce qu'il dit. A son frère. Pour qu'il reste avec lui. 

Oui, Bobby, ça y est presque. Et Amada ne peut que l'entendre. Elle s'écarte. Elle aura bien des soubresauts, des résistances : ce n'est pas possible ?… Si, si.


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Reste à entériner tout ça, et faire semblant de jouer, et t'ar ta gueule à la récré, qu'il lui fait, Bobby, à son vieux pote qui l'a trahi.

Comme dans Zodiac, les hommes se modèlent à bras raccourcis, échouant à devenir adulte avec une part vive préservée : demeure la loi des grands infirmes, avec des panoplies d'enfance.

On va retourner jouer dans les champs de blé. A cache-cache. A se faire peur : le face à face des deux flics. Du feu ne règne plus que la fumée. Et en son cœur : terre et ciel dissous. Dans cette fumée : qu'est-ce que tu vas tuer pour de bon, Bobby ?

Cela va très vite. Ce n'est pas une question/mise en scène de la vengeance. Il n'y a aucun suspense. Traque résolue et Pan ! Tout de suite. A peine le temps de voir. Le gendarme a attrapé le voleur, il s'en approche. Qu'est-ce qu'il te dit, Bobby ?... Son dernier souffle… Sa dernière parole : " Bobby "… Est-ce que ça sert à quelque chose ? C'est le prénom. C'est tout. Le prénom. Dernier souffle : Bobby n'est plus vivant.

Et la musique a des échos de Mulholland Drive, des ferveurs laminées. Tragédie, j'ai dit  :-)


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Reste le vieux. Papy Mafieu. On le fait mettre à genoux. Comme le père. Comme Bobby. C'est tout. Et le flic " sicilien " sera déçu. Il n'était pas question de vengeance. Il n'était pas question de respecter ou non le droit, la morale. A genoux : les enfants sacrifiés. 

Bobby l'avait pris pour un grand-père : plus facile, souvent, entre grands-parents et enfants. Ce n'était pas un grand père. Il n'y a plus d'enfants. A genoux.

Pour prier ? Mais le ciel a fondu. Reste des postures, en suspens. 

Reste donc à retrouver le frère, dans sa nouvelle impuissance : on n'y arrive plus si bien quand on a vu la mort, la sienne, en face. Y a comme un défaut. Marche arrière ? Léger retrait. Cette fois, ça y est. Tout est en place. Et Amada n'est plus qu'un rêve. Bienvenue dans la maison des hommes

Un monde sans amour autre que fraternel. Au sens premier. Et masculin. Au sens dernier. Un monde de gueules cassées. Tout est en ordre. Et va le rester. Amen.


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PS : Robert Duvall offre une des plus belles, subtiles et profondes prestations de l'année écoulée. Et - paradoxalement vu son personnage " à l'ancienne " - une des moins strictement classiques.

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commentaires

S
Voilà... enfin vu hier après-midi... Pas mal du tout. Je dois dire que la première moitié a un côté très classique (les éternelles histoires de frères, de choix) mais dès la scène de la fusillade dans l'entrepôt, je me suis davantage "pris au jeu"...Bonne surprise! Il faudra d'ailleurs que je voie THE YARDS!SysTooL
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D
<br /> <br /> Mon cher Systool,<br /> <br /> Merci d'avoir pris le temps de me dire que tu as pu voir le film. Et tu as raison : nous sommes - comme trop souvent dans le réel à mon goût - dans d'éternelles histoires... ;-)<br /> <br /> Quant à The Yards... il me manque. Il me faudra le revoir bientôt. Peut-être à l'occasion de la sortie du nouveau Gray... Je serai heureux d'aller le découvrir : il paraît<br /> qu'il a encore bien divisé à Cannes !<br /> <br /> <br /> <br />
B
Quel con tu peux faire mon pauvre DB !
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S
mon d&d je sors d'une réunion qui va peut être me faire aboutir à mon projet, mais avec leurs tests psychotecniques à la co... j'ai la tête dans le paté, bonne soirée, euh... nuit enfin bref, bises....:0010:
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D
Héhé, je veux bien croire que ça n'a pas été de tout repos ces charmants test...Je croise les doigts pour toi, bisous :-)
S
Bon week-end, D! ;-) SysT
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D
Toi-même :-)Et bravo docteur ;-)
S
si tu as le temps viens répondre à ma devinette....
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D
tu vas voir ce que tu vas voir.... :-)

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