
Là… vraiment… Noël… je le sais : la période des fêtes de Noël, qui me semblait durer alors jusqu'à la nouvelle année. Ou la fin des vacances.
Et comme un rendez-vous : Singin' in the Rain à la télé.
Et comme un double rendez-vous, avec ma mémoire qui remonte les séquences : avoir vu ce film quelquefois avec mon grand-père maternel. J'ai l'impression que : de nombreuses fois. Ou les flash-back se mélangent.
Est-ce que dès la toute première fois j'ai vu le film avec lui ?... Pas seulement avec lui. Mais c'est lui, d'abord, qui me revient.
Comme ça revient…

Sans doute, aussi : les jambes de Cyd Charisse m'envolent, et le sourire de Gene Kelly. Ce sourire qu'est pour moi Gene Kelly. Qui dépasse juste son trop parfait. Plus que parfait ?
Et cette femme incroyable, je n'apprendrai son nom que vingt ans plus tard : Jean Hagen. A cet âge-là, je ris contre elle, elle me fait peur : c'est la méchante !
La fraîcheur de Debbie Reynolds.
Et la vie dansée et chantée, dans une joie immense, victorieuse…
Et puis, et puis ce type hallucinant, Donald O' Connor, et cette séquence de malade : "Make them Laugh".
A la première minute, je vois le sourire naître sur le visage de mon grand-père, bien avant le mien : il sait… Et cela ne désamorce aucun émerveillement…
A la deuxième minute, son rire s'échauffe doucement : une marée encore sage, mais qui monte irrésistiblement…
La troisième minute, et c'est une étrange machine à remonter le temps, comme s'il perdait un an à chaque seconde, le rire ne le quitte plus, je ris aussi, mais déjà moins fort que lui…
Alors, la pression monte, le barrage cède, et la toute fin de la séquence le laisse au bord de l'étouffement... Les fous rires de mon grand-père ! Au-delà de l'écarlate. Je dois me demander si c'est ça, passer le mur du son : je n'entends même plus son rire. Il est tout entier RIRE.
Ultime tour de force de ce film qui rend muet, aussi...

C'est comme ça que j'ai la chance de me souvenir de lui. Sinon, je le voudrais ainsi. Lui qui a eu une vie tout sauf chantée et dansée. Cela arrive.
Il faut dire que son fou rire, je l'entends encore, parfois : il s'empare aussi de maman. Pour des séquences souvent très proches, au cinéma, parfois les mêmes. Cela m'arrive aussi. En moins spectaculaire…
Quelque chose s'est transmis, à cette nuance près. Presque jusqu'à la fin de sa vie, mon grand-père aura toujours retrouvé ses fous rires, aux mêmes moments, dans un inédit sans cesse renaissant, comme les émotions se renouvellent au théâtre, ou à la centième prise. Rien à voir avec les rires de retrouvailles que l'on peut entendre sur certains films dits " cultes ", vous savez, ces rires autant forcés que spontanés, je ne dis pas tout le monde, ces rires qui ont peur, d'être seul, de vieillir, TOIQUIVOIS.
Maman peut revivre les siens, aussi, mais, il me semble, dans une progressive extinction, d'autres les remplacent.
MOIJE ne les ai qu'une fois. Pas forcément à la première vision. Mais une fois. Pas deux. Des exceptions peut-être, mais la règle c'est ça. Je le sais.

PS : Je ne crois pas que cela ne tienne qu'à moi. L'époque, aussi. Et pourtant, sans regret : la sophistication du présent me convient (malgré ma lenteur). Tant qu'elle ne chute pas dans le cynisme. Sinon, je revois ce film qui en est un des meilleurs antidotes… Et je me souviens, aussi… Et d'autre chose qui arrivera bien plus tard…
