
C'est l'après-midi… En plein jour : alors je ne m'y attends pas ?… Est-ce que je regarde vraiment la télévision avec attention, à cet instant-là ?... De cela, je ne suis pas sûr, mais que c'est en plein jour, l'après-midi, sans crier gare : oui.
Quelque chose se grave tout de suite. Instantané et profond.
La Séquence du spectateur, les programmes de ce genre, j'en suis friand. Je ressens alors un vertige à voir, dans la télévision, des images qui passent au même moment, ou presque, au cinéma.
Je guette ces extraits dans toute émission accessible. Presque plus fort encore que regarder un film dans la petite boîte… Rêver de retourner dans la salle ? Ou parfois entrevoir ce que papa et maman, ou maman et papa, ne pourraient m'emmener voir….
Là, je ne sais plus. Est-ce que c'est vraiment ça ? Le souvenir est pris dans un effet de surprise, quelque chose de très fugitif. Comment cela a-t-il presque aussitôt cessé ? Chaîne changée ? Rompue ? Trop tard : j'ai voulu le croire…

Je recommence.
J'ai 7 ans, ou bientôt. Quelque chose est en train de se passer. La confirmation ne se fait pas attendre : je me réveille la nuit suivante en criant. En appelant maman ou papa, et papa ou maman…
Est-ce que c'est ça aussi, cette grande terreur ? Une confirmation ? De ce qui avait été pressenti dans le hall du tout premier cinéma quelques années auparavant ?
Mais j'ai déjà fait des cauchemars, évidemment. Et la mort est aussi devenue quelque chose de concret. Cette même année ? Un ou deux ans plus tôt ?... Pas seulement ça. En tout cas, c'est un visage, ce sont des griffes, très certainement une voix. Et des gestes comme tremblés.
Pendant quelques années : beaucoup de mes cauchemars récurrents se nourrissent de Klaus Kinski en Nosferatu.

C'est ma première peur capitale par une œuvre. Même si c'est un fragment. Même si c'est enchaîné. Même si je ne distingue pas encore les différentes formes de peurs. Plus tard, la peur in(dé)finie se retrouve avec un livre, puis une musique, mais : ça commence par une image mouvante. Est-ce que ça joue, aussi ?... Sans doute pas de manière première, mais cela concourt. Cela concourt à inscrire le cinéma dans mon intimité.
Il y aurait le malaise devant l'affiche des Yeux de Laura Mars, l'inquiétant mystère qui entoure des noms comme Audrey Rose, ce ne sont que des exemples… Tout ça n'a plus vraiment d'importance, les années quatre-vingt vont commencer, commencent, c'est déjà fini, c'est presque 2010 : j'ai peut-être encore l'air d'un jeune homme…
Je plaisante un peu. Je ne m'accroche pas, pas dans ce sens-là. Déjà dit : ne rien ensevelir trop vite - en tout cas : pas (de) moi-même. Surtout : j'essaie de déterrer, dessous, dessous, dessous mon ignorance crasse, mes relents de bêtise, mes lâchetés persistantes. D'autres auront pu le faire plus jeune, plus directement ou plus vite. Ce n'est que MOIJE : cela reste un chemin. C'est trop tard ?... Nosferatu... Seulement quand tu le crois. Trop tard seulement quand tu le crois : ça, je le vois.
Alors quoi ? J'ai sept ans, bientôt, et plus près encore trente de plus. Avoir peur au cinéma : j'aime, aussi. Aussi parce que c'est un désir profondément ambivalent. Envie de ça autant que je le redoute, par définition, jusqu'à presque le regretter, parfois, tant je tends à me désarmer. Et, peut-être, une ambivalence similaire m'attache aux mélos... Nosferatu... On n'a pas idée de se foutre dans des états pareils ! Je n'ai pas encore vu un mec qui chiale autant ET se tape des paniques comme les miennes en salle. Mais j'aime. Aussi. Ce n'est pourtant pas que ma vie me semble si paisible ou tellement joyeuse, non : comme tout le monde.
Mais c'est un attachement singulier… J'ai bientôt sept ans… Je ne sais pas encore quand ça va se concrétiser, pour de bon, bien plus tard : ce désir d'avoir peur… Quelqu'un de cher va me prendre la main et m'y accompagner : il me faut attendre encore un peu. Seul.

PS : je crois que je n'ai jamais pu, ensuite, regarder Klaus Kinski sans une certaine appréhension :-)
PPS : liens pour les illustrations 1, 2, 3 et 4.