
La première scène m'aura inquiété : crainte de la laideur possiblement persistante de l'image vidéo, d'une écriture de dialogues aux angles trop saillants, d'une direction d'acteurs qui échoue…
Là, quand je ne cède pas à la fatigue ou à la paresse, je me rappelle : il faut recommencer. Comme cinq minutes plus tôt. Juste avant que la première image n'arrive. Quand on espère avoir laissé toutes les tentations de prêt-à-penser, comme de prêt-à-ressentir, dans la rue. Quand ça va commencer… Faire à chaque fois le vœu de pouvoir être avec.
Ce qui encourage, par exemple : sentir tout de suite les prises de risque. Je trouve que : en soi, cela ne sauve pas. Mais : pas si fréquent. Surtout dans la discrétion. Et dans la confiance. Des invitations : rien qui cherche à s'imposer.
Quelquefois, il me faut recommencer plusieurs fois, pendant un film, pour ne pas seulement me heurter à ce qui - on dit comme ça - me défrise (angoisse du temps perdu vu ma raideur capillaire innée).
Mais ici : la première fois aura été la bonne.

Intense sentiment que Jacques Doillon fait vœu de liberté. Dès : l'écriture. Très vite, la liberté narrative me chavire… Devenue rare, aussi. Imprévisibilité de ce que chacun deviendra dans la scène suivante. Ce qui prend de court, et ce qui en donne à voir long, ne puise pas dans de sophistes artifices, et/ou des wa-waouh twists, mais : le simple retour des possibles. Le vivant en mouvement, en oscillations fluides. Avec pour garde-fou : le dos tourné à la facilité.
Dès la première scène - pour le coup -, la jeune femme incarne cela très directement, littéralement : maintenant, on va tourner le dos, définitivement, à la facilité. On va voir ce qui est possible. On va voir ce qui EST. Possible ?... L'autre versant de cette montagne surgissant soudain : la résurrection de l'autre. L'autre, si souvent oublié : ce grand inconnu, irréductible à une fonction, une action, un genre, une intrigue, comme au(x) regard(s) porté(s) sur lui.
Liberté, donc : des prémisses de l'écriture jusqu'au bout du tournage, dans sa nature même. Je crois, aussi, qu'il est une liberté qui n'affleure que dans un au-delà de la maîtrise. Pas avant. Celle-là que Doillon attend : il multiplie les prises pour ses scènes, énormément pour notre époque rationnalisée, quand, à l'image, on croit voir naître de purs "premiers instants". Imprévisibilité, profonde donc, de ce qu'il adviendra… dans le regard suivant.
D'autres approches me sont autant voire plus chères, et celle-ci semble suivie par de moins en moins de gens maintenant, je ne sais pas, mais, à mes yeux : quel beau film !... Il y a sans doute des accrochages, des ratages, voire des complaisances, mais surtout : des moments de grâce, de belles échappées, du souffle.
Dans une palette inaccoutumée, doucement et étrangement belle - gris, bleus, verts-, le film n'en finit pas de s'ouvrir, sous son soleil d'hiver. Fort de sa distribution admirable, il déploie sereinement ses plans séquences sans tentation du tour de force : dans l'accompagnement, chaleureux et inextinguible. Aller, comme on dit, au bout de la scène. Le plus loin possible en tout cas. Dedans. Là où l'on ne s'y attend… plus. Et regagner les visages, tous les visages, par vagues, les caresser, et reprendre du champ, et de la plage, et saisir ce moment : où la lumière n'est plus seulement affaire de " photographie ", mais d'incandescence des êtres.

Gérald Thomassin est exceptionnel : à pleurer de reconnaissance(s).