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3 novembre 2008 1 03 /11 /novembre /2008 01:05


***SPOILERS*** inclus, toujours…



D'après Honoré d'Urfé...


Rejoindre un cinéma le matin est contre ma nature. Et je n’avais pas l’envie spontanée de voir ce film. Cela arrive… Il ne se jouait plus qu’une fois par semaine, je sentais qu’il allait quitter les écrans : je décidai que trop de voix semblaient le défendre joyeusement pour que je me laisse le rater.

Au bout de quelques minutes, je me dis que je pourrais facilement refuser ça. D’emblée. Ne serait-ce que par fatigue : ne pas avoir envie d’entrer dans ces phrasés-là, dans cette diction, dans ce mariage entre nature (et lumière) brute(s) et savants artifices….

Mais : à quoi bon ?... Je peux me réjouir, aussi, que cette parole décalée m’arrache au présent plus sûrement que bien des costumes et décors dispendieux, tels ceux que livrent le plus souvent les films situés dans d’autres temps. Vaines tentatives sur lesquelles viennent se fracasser les corps, les intonations et les regards d’acteurs brandissant leur bouclier Actors Studio ou assimilé, mais ne suintant d’abord, ordinairement, que les vulgarités ou les charmes de notre air du temps. Mais passons, ou j’y reviendrai, et donc, assez facilement : je recommence…

Au milieu des gaulois du Vème, rêvés par le XVIIème, etc… Au milieu de la nature, surtout. Et comment les corps peuvent jouer dedans, avec, et se jeter dans des cours d’eau pour renaître, et comment les arbres peuvent devenir de vivants poèmes…

Il s’agit d’épreuves à l’amour, des preuves de l’amour, ou d’une épreuve de l’amour (avec toutes corrections possibles ou inenvisageables, à vouloir suivre ou non Galathée ou Hylas)… Il faut du souffle pour tenir tout cela, démêler la fidélité à l’autre et à soi, du souffle pour chanter l’autre, ou simplement jouer de la flûte, douter qu’heureuse sera la chute… Mais comme les arbres vibrent, l’herbe se couche, les robes se gonflent, et les chevelures dansent : bon vent à la douleur. Tout ira bien.



Les Amours d'Astrée et de Céladon


Tout ira bien. Mais mine de rien : il faudra emprunter de drôles de chemins ! D’une époque à l’autre, d’une condition à l’autre – plus discrètement -, et, surtout, d’un sexe à l’autre. Le plus tranquillement du monde, le parcours des amoureux repose sur trois travestissements de l’amant : pour la découverte de l’amour, pour la préservation de la fidélité, et enfin vers les retrouvailles, illuminant dans un heureux trouble toute la dernière partie du film.

Plus que ça même : grand bol d’air. Scène finale éblouissante, joyeusement étourdissante, lorsqu’on a pu rester avec le film : le jeune homme travesti en femme échange des bisous pas possibles avec son aimée, elle-même toute à la joie de câliner sa nouvelle grande copine. Et cela dure…

Cela dure : le temps du trouble, le temps d’une accélération du sens, et des sens, de quitter les épreuves, retrouver les mots justes - « Vis, vis, vis ! » -, et sentir s’harmoniser ce qui a précédé, de jolies rimes discrètes (les cuisses hautement découvertes de Céladon, puis, plus tard, d’Astrée) en douces confrontations (la nature embrassant les bergers, les jardins réglés des Nymphes)…

Pour s’éveiller, se préserver et s’affirmer homme, Céladon se sera donc fait femme par trois fois. Ce n’est pas rien que ce conte-là. Nous voilà rendus loin des imageries et des morales rances de bien des films qui se voudraient modernes, ou même plus simplement dans l’air du temps (au sens faible). Et dans cette partition masculine de plus en plus complexe, Andy Gillet s’impose au fil du film, sans tour de force, humble et élégant, jusqu’à révéler une présence d’une intensité et d’une ampleur étonnante pour un si jeune acteur, au premier abord si lisse. 

Alors pour qui trouve son pas dans la danse, voilà bien une oeuvre vers l’enchantement, d’une sensualité rare pour ces dernières années. De toutes les distances que le film d'Eric Rohmer interroge, l’originelle séparant Astrée de Céladon est donc littéralement comblée, et non pas annulée, bien au contraire : au comble de la fraîcheur, de la vitalité, de la joie. A bouche que veux-tu. 



Un film d'Eric Rohmer

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commentaires

P
Je ne l'ai pas vu non plus et je devrais le voir. Je me suis demandé si son esthétique se rapprocherait des films de Rohmer en général (il y a quelque chose que j'adore dedans...) ou de cet étrange film "L'anglaise et le duc" qui se passe pendant la Révolution... Je le verrai sans doute quand il sortira en dvd... Ce que j'adore chez Rohmer, c'est sa façon de filmer la nature et les bruits de la nature. On est dans la nature... "Le genou de Claire" m'a tellement séduite, quand j'avais 25 ans... Que je suis allée passer des vacances à Talloires à l'époque... ps. J'ai le dvd d'un pyjama pour deux !!! Avec Doris Day ! Et celui d'Arsenic et vieilles dentelles !!! J'adore les vieux films !!!
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D
<br /> <br /> Bonjour chère Pivoine,<br /> <br /> Je maîtrise trop peu l'oeuvre de Rohmer pour y situer ce film-ci. Je n'ai d'ailleurs pas encore vu Le Genou de Claire. Je "connais" surtout les derniers, dont "L'anglaise et le duc" qui<br /> m'avait bluffé. Et si tu aimes sa façon de filmer la nature, tu ne devrais pas être déçue !<br /> <br /> Ahhh... Des retrouvailles avec Doris Day ;-)<br /> <br /> <br /> <br />
V
Je ne connais pas ce film de Rohmer.Ton article m'a donné l'occasion de faire qq recherches sur la mythologie....Je n'aime pas tjs ces transpositions antiques, mais peut-être faut-il voir. Bises   VITA
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D
<br /> Bonjour Vita,<br /> <br /> C'est chouette que tu aies fait quelques recherches !<br /> <br /> Bises :-)<br /> <br /> <br />
C
J'aime bien ton idée de "rythme qui n'est pas celui d'un quotidien urbain", j'y pensais aujourd'hui à propos d'un film que j'ai vu il y a plusieurs années, Benny's video de Michael Haneke (lien : http://www.imdb.com/title/tt0103793 / on ne peut plus mettre de lien "dans une nouvelle fenètre, c'est nul) : en plus d'un rythme "quotidien pas urbain", il y a assez peu de dialogues. Tout est dans l'attente, la tension. Tiens, je vois que l'IMDB colle un tag "horror" pour ce film... ça me rappelle une discussion ! Encore un film labellisé "horreur" sans raison. Dans Narcisse et Goldmund, il y a une scène violente avec un mort : c'est un roman d'horreur ! Remarque, si ça peut lui permettre de voir des centaines d'adolecents se jeter sur lui dès lundi à la Fnac... Bon, on s'égare là. Le TOP 2007... J'ai regardé ma liste de films sur mon blog, et j'en ai vu cinq ou six ces six derniers mois qui datent de 2007. Il y a eu de belles choses l'an dernier, ça ne sera pas simple pour toi d'établir un classement. Bonne soirée ! comprendre - en week-end prolongé jusqu'à mercredi matin.
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D
<br /> <br /> Salut comprendre,<br /> <br /> Pas vu Benny's video... mais oui nous avons bien une autre discussion en cours que nos chers Narcisse et Goldmund... tu vois, je suis d'une lenteur à faire peuuuuuur <br /> <br /> En plus, je n'ai pas eu le temps de lire aujourd'hui... Nan mais vraiment, je te jure...<br /> <br /> Cool que tu sois en week-end, profites-en bien, mais... ne lis pas trop vite, hein ;-)<br /> <br /> <br /> <br />
C
Tu ne te détaches plus du film : peut être as-tu accepté, ou plus pécisément intégré, ses défauts ? Je sens un parallèle freudien avec la relation à autrui poindre dans mon esprit peu réveillé, je le relègue au plus profond de moi, ne pas écrire des choses savantes quand on doit retourner très vite dans les bras de Morphée. J'ai lu ton article sur le film de Rohmer : je ne l'ai pas vu, mais ça ne doit pas être une suprise, par contre, j'avoue ne pas être sûr de pouvoir trouver mon pas de danse avec ce film sensuel. Un a priori lourd, comme le tien, bien que non matinal, enfin si, un peu, renforcé par le 6.7 de l'IMDB. Et si l'IMDB le dit... (excuses immédiates auprès de tes lecteurs). Rire gras et souffle court à l'évocation de la scène finale du film, des détails plus nombreux et mieux illustrés auraient été appréciés (lol). Jolis genoux. Tu savais qu'il existe un rapport de proportion entre le front et le genou ? C'est un apprenti sculpteur qui le dit, mais je me demande bien dans quels girons il est allé chercher cela :-/ Bonne nuit ! comprendre
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D
<br /> :-)<br /> <br /> Ce que tu proposes sur l'acceptation des défauts, c'est possiblement ce qui se passe quand je revois un film que je n'aime pas, qui ne correspond pas à ma sensibilité, au moins au premier abord,<br /> mais qui me semble vraiment intéressant. Pour Oliveira, je crois vraiment que c'est lié à l'adaptation difficile à un rythme qui n'est pas celui d'un quotidien urbain, mais il me faudra<br /> approfondir là-dessus.<br /> Pour le Rohmer, je me garderai bien de le conseiller à tout-va, comme souvent... Mais il restera un des très beaux films de 2007, pour moi. Ah oui, il faudra que je fasse mon top 2007, bientôt,<br /> je vais commencer à être en retard :-)))<br /> Bon week-end à toi<br /> <br /> <br /> <br />
V
Tiens D§D content de repasser faire un tour chez toi à l'occasion  de ce film  dont je garde un très bon souvenir. J'ai relu ma note  de l'époque,  le souvenir que j'ai gardé  est encore plus positif que ce que j'écrivais sur le moment,  une trace assez lumineuse, une sensualité délicieuse...Ma note était là: http://valclair.canalblog.com/archives/2007/09/17/6244108.htmlPar contre je m'étais plutôt ennuyé en voyant Val Abraham tout en reconnaissant que c'est un film souvent somptueux. Et j'ai bien envie de voir le Christophe Colomb
Répondre
D
<br /> <br /> Bonjour Valclair,<br /> C'est marrant, je vois que toi aussi tu évoques la phase "d'accommodation" :-) Mais ce qui me reste le plus, aussi, c'est la sensualité, la<br /> fraîcheur, l'humour et la modernité dont tu parles également.<br /> Pour Oliveira, c'est singulier : je me souviens de m'être impatienté la première fois que j'ai vu Le Val Abraham, et sans doute avec la plupart de ses films. Mais quand je les revois,<br /> paradoxalement, je ne ressens plus ça du tout, je ne me détache plus du film. J'aimerais bien arriver à parler de ça, un jour...<br /> <br /> <br /> <br />

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