
Je sors du film d'Albert Serra tout sourire, on dit comme ça, ayant un peu oublié que nous n'étions pas dix, et que cela m'avait fait un peu mal en entrant dans la salle.
Je traverse un couloir du cinéma, un jeune homme m'arrête d'un : "C'était dur, quand même !"… Il a un beau sourire ouvert, le regard qui va avec, et l'air d'un étudiant curieux et vif. Je ris et reformule spontanément, sans malice : "Ça a été dur, pour vous ?". Il est peut-être un peu surpris, ou craint le malentendu : "C'était beau… Mais vous n'avez pas trouvé ça dur... par moments… la fin ?"…
Non.
Rires, bref, et bonnes soirées : c'est allé très vite.
Je sors, bientôt minuit, et quand j'allume ma cigarette, je comprends que je n'ai pas envie de rentrer. Mais la ville me déçoit un peu, elle manque d'intensité, du moins, à portée de main. Tant pis. Je marche. Ce n'est pas grave. Je marche. Je regarde quand même, les quelques passants, les bars encore ouverts, pas envie de m'enfermer, je marche….

Un regret m'amuse : aurais-je dû préciser ? Mais c'était trop rapide. Question de rythme.
J'aurais pu préciser que j'étais venu ce soir, parce que je me sentais suffisamment disponible pour un film qui ne cèderait rien à ma passivité. J'aurais pu ajouter que c'était une surprise pour MOIJE, de ne pas avoir trouvé ça dur du tout, précisément - ou peut-être un peu le fauteuil alors, comme souvent - mais que là, simplement, tellement simplement, j'avais été là, comme rarement.
Et comme si le film densifiait davantage ma présence plan après plan, au cœur de ses longues marches, de ses humbles efforts, de ses bruissements. Et cet humour…
Et j'aurais presque pu ajouter comme c'était joyeux, aussi, de croiser ce sourire et ce regard ouvert qu'il trimballait, ce garçon, après un film comme ça. Et… à son âge… Et… par les temps qui courent (tant), mais que, non, j'espérais ne pas être totalement devenu un vieux con, ce n'était pas ça, seulement j'aurais certainement trouvé ça très, très dur, MOIJE, à son âge, si tant est que j'eusse alors reconnu ce film. Peut-être. Je ne sais pas. Je ne saurais même pas quoi en dire aujourd'hui. Et même, je sais que je ne le recommanderais guère, ou à quelques amis très proches, avec toutes les formules de précaution dont je passe la vie à m'encombrer.
Simplement, il y avait trop de films, déjà, que je n'avais pas ressenti aussi vivement les corps, la terre, le sable, les pierres, le soleil, j'en passe, et la grandeur fragile du vivant. Son dérisoire. Son éphémère. Son humble mais entêté pied de nez à l'oubli. Son cinéma.
