
C'est alors que : je me rends compte que j'ai cessé de lire, autrement que pour le travail, depuis quelques temps, imperceptiblement… Parce que ce que j'étais en train de lire me demandait un effort particulier, et que, là, je n'y arrivais plus, pour quelques temps. Alors : tout à coup, il n'y avait plus "lire".
Et, tout à coup, je ne vais pas au festival d'Avignon pour la première fois depuis des années…
C'est alors que : j'ai besoin d'être vigilant. J'appelle Hermann. Il n'est plus jamais très loin. Même si je n'emmènerais pas nécessairement Le Jeu des perles de verre sur une île déserte, on dit comme ça. Simplement : je ne veux pas encore lui dire au revoir. Je sais aussi qu'il a ce pouvoir de me redonner un peu d'élan quand une paresse tentatrice veut triompher et m'engloutir peu à peu. Je sais. Je sais que j'attends trop pour aller revoir Inland.
"Cette impossibilité de se comprendre n'est peut-être pas si terrible. Il est certain que deux peuples et deux langues ne communiqueront jamais ensemble avec autant de compréhension et d'intimité que deux individus qui ont en commun la nation et le langage. Mais ce n'est pas une raison pour renoncer à se comprendre et à refuser le dialogue. Entre personnes d'un même peuple et d'une même langue, il existe aussi des barrières qui empêchent une parfaite communication et une pleine compréhension réciproque : les barrières de la culture, de l'éducation, du talent, de l'individualité. On peut affirmer que tout homme sur terre peut en principe exprimer ses idées à n'importe quel autre, et l'on peut prétendre qu'il n'y a pas deux êtres au monde à qui il soit possible de communiquer entre eux et de se comprendre vraiment, totalement, intimement : les deux thèses sont aussi vraies l'une que l'autre. C'est Yin et Yang, le jour et la nuit ; toutes deux ont raison, il faut de temps en temps se les remettre en tête, et je te donne raison dans la mesure où je ne crois naturellement pas non plus que nous puissions jamais tous deux nous comprendre parfaitement et complètement. Que tu sois Occidental et moi Chinois, que nous parlions des langues différentes, nous n'en parviendrons pas moins, si nous sommes des hommes de bonne volonté, à nous communiquer beaucoup de choses et à en deviner, à en pressentir l'un de l'autre beaucoup d'autres, au-delà de ce qui est exactement communicable. En tout cas, essayons."
