Regarder Les Bêtes du sud sauvage, cela peut-être comme se sentir soudain devenir soi-même une digue que le film vient battre sans relâche. Son ouverture est un assaut têtu sur le spectateur (plongée plus que directe dans la vie d'Hushpuppy et sa subjectivité, caméra fort secouée, volontés lyriques et documentaires immédiatement enchevêtrées) : elle (me) donne tant envie d'y céder que d'y résister.
A un moment, je lis ça : "le film est moins déséquilibré par une authentique fièvre que par un volontarisme un peu calculateur - Zeitlin semble parfois oublier la différence entre travailler le trop-plein et jouer sur tous les tableaux" (Cyril Béghin - Cahiers du cinéma, n° 684). Je me dis que c'est par là, à condition de bien garder le "parfois".
Et puis finalement, ça m'importe peu, la digue rompt soudain avec un refuge dans une boite en carton dans une maison en feu. Je ne comprends pas ce qui se passe pour moi à ce moment-là, ce n'est pas seulement parce que la danger qui arrive n'est plus familier (le feu qui surgit alors que tout baigne, si j'ose dire), mais là, tout à coup, j'ai l'impression d'avoir à mon tour l'oreille contre le cœur du film et je n'aurai plus envie de la décoller, pas pour de bon.
Cette fois, j'y suis, avec cette fille, avec son père, avec leur vif entêtement, un peu comme j'étais avec la Gloria de Cassavetes et son petit garçon d'adoption, lui qui répétait en criant "I am the man" pour s'opposer un peu, et Hushpuppy qui fait tonner son "I'm the man" en canon avec son père.
Et je crains, et j'espère, les aurochs, aux côtés de la fillette de l'eau.
PS : denses notes sur le film chez Edouard.