Une éjaculation en gros plan. Une fellation en plan rapproché. Ces deux plans-là, la première fois que je vois L'Inconnu du lac, m'éjectent : les scènes auxquelles ils appartiennent s'effondrent. Je ne sais pas pourquoi, mais je trouve que ça ne va pas. Je sais juste que ce n'est pas parce qu'elles sont "frontales", la frontalité n'est pas du tout un problème en soi pour MOIJE.
Il se trouve que j'ai un rapport globalement bizarre au film : d'un côté je le trouve très beau, d'un autre je crois qu'il est globalement très loin de ma sensibilité, et enfin d'une manière disons souterraine j'éprouve une sorte d'envie de ne pas l'aimer (et pas pour la question de la sensibilité). Pourtant la première fois que je vois le film je sors plutôt content, parce que depuis janvier, je n'éprouve aucun enthousiasme franc du collier pour ce que je choisis de voir en salle et que je trouve nettement que ce film est "au-dessus" de ce que j'ai pu voir (et que la toute dernière scène, elle, m'enthousiasme). Mais j'essaierai sans doute d'y revenir : tout cela a fait que je suis retourné voir le film six ou sept semaines plus tard, et j'essaie pour l'instant de m'en tenir à mon unique point de préoccupation pour ce billet.
Je revois le film. L'éjection se reproduit. Tant pis, je me dis que j'ai pas le temps, je sens pas ça bien, ne sais pas pourquoi, on va pas en mourir. Je fais mon premier jet de mes impressions sur le film, et puis je pars lire ce qu'on en raconte... Là, je m'étonne quand même que tout le monde trouve que les scènes de sexe sont très bien. J'éprouve pas mal de réserves là-dessus et du coup les deux plans me reviennent. Et enfin j'apprends (il était temps, j'ai l'impression d'être le seul qui ne le savait pas, et qui ne pense pas à y penser !) que les plans en question sont fait avec des doublures. Bon sang mais c'est bien sûr.
Je me dis qu'il y a forcément des manières d'envisager le cinéma où ça n'est pas un problème. Je ne peux que sentir que ça n'est pas du tout la mienne. Je suis pas dans la tête de Guiraudie. Peut-être qu'il est très cohérent avec lui-même (même si ça me semble pas évident dans ses propos autour du film, j'y reviendrai). J'ai la bizarre impression que non. Je me trompe peut-être. Je saurai pas. Je laisse tomber.
Mais : je les aime pas ces plans. Je crois aussi que je les trouverai ratés tels quels si c'étaient les acteurs eux-mêmes qui les avaient fait. Je ne suis pas sûr que mon rejet se situe uniquement sur la question de la doublure. Mais la doublure, dans cette situation-là, moi, je m'étrangle, ou... "j'rigole" comme dit Franck, quand on lui parle du silure de cinq mètres.
Je trouve que la doublure corps pour question de nudité ou de sexualité : c'est pas possible. Je trouve que ça raconte des choses, ça raconte des choses sur ce qu'on prétend montrer par exemple, et ça raconte des choses sur le fait qu'on trouve possible que des gens fassent le travail de ces plans-là et pas des autres. Je vais pas aller beaucoup plus loin parce que je suis pas un intello. Mais ça m'intéresserait de savoir si des gens ont écrit des trucs un peu sérieux (et pas puritains) là-dessus.
Ou bien : est-ce qu'il faut raisonner ici sur une sorte de régime d'exception ? J'étais en train de penser aux femmes de 40 ans et plus qui arrivent encore à avoir des rôles à Hollywood (pour aller là où la violence est la plus radicale). Là, c'est compliqué. Là, ce serait comme de la légitime défense (je parle pas des cas genre Portman ou Knightley, là, même si on pense que la doublure corps n'est pas un problème en soi, c'est de l'oppression).
Et donc, de même qu'une vedette hollywoodienne qui voudrait continuer son travail et ne veut pas se résoudre au fait qu'elle a moins le droit qu'un mec de le faire après 40 piges, etc... de même sans doute qu'il n'est pas possible aujourd'hui pour un acteur qui voudrait tourner autre chose ensuite de tourner une scène homosexuelle non simulée (déjà, simulée, la question de la nudité semble rester plus qu'épineuse pour un film qui entendrait ne pas rester confidentiel, ou avec un acteur connu, notamment en France et aux Etat-unis).
Mais : là où ça continue à m'emmerder, c'est pourquoi un mec comme Guiraudie ne va pas chercher des gens qui seraient très bien aussi et qui ne cherchent pas à avoir une carrière d'acteur. Ou même : des acteurs "ouvertement" gays (du moins avant quarante ans) et, si je ne m'abuse - Rupert Everett notamment en a témoigné -, qui seront globalement cantonnés aux rôles de gays au cinoche. Y en a bien que ça aurait intéressé. Y en a bien qui doivent savoir jouer. Y en a bien qui auraient été contents d'avoir (pour une fois ?) un grand rôle dans un beau film, et j'en passe. Je trouve que : c'était comme la moindre des choses de trouver parmi eux ceux qui auraient convenu au fier Alain.
Mais bien du respect et de la reconnaissance à Mathieu Amalric, à Marushka Detmers, à Raphaëlla Anderson, à Karen Lancaume, à Ricardo Meneses, à Mark rylance, à Kerry Fox, par exemple, et aux équipes qui les ont accompagné(e)s, ou à Laura Elena Harring et Naomi Watts, je n'ai pas de position de principe contre la simulation physique, ça peut le faire, ça peut suffire. Et parfois non, mais dans ce cas : on fait quoi ?
PS : billet sur L'Inconnu du lac, ici.