J'avais vu Faust une première fois début juillet, mal placé dans une salle étouffante - j'étais au moins heureux qu'elle soit pleine -, et c'étaient peut-être de bonnes conditions : est-ce que c'était la première vision ? est que c'était l'atmosphère de la salle ? qui avait à ce point fait prévaloir dans mon ressenti cette sensation grouillante et asphyxiante de chaos. J'étais crevé aussi, mais je ne pouvais pas lâcher le film, balloté d'un goulot d'étranglement à un autre, me laissant entretemps autrement couper le souffle - on dit comme ça - par la beauté de certains moments : les bains, Schygullah encerclant Faust et Wagner, un cortège funéraire glissant sur un flanc de colline, un double dialogue furetant une forêt, le visage suspendu et terrassant de Margarete, une aube de cauchemar, un abandon dans l'eau glacé, un geyser dégorgeant au rire fou, j'en oublie. Sorti groggy.
Le film ne m'avait pas lâché ensuite. J'attendais de le revoir. La paresse ou la crainte me retenaient. J'ai laissé filer l'été. Mes congés d'octobre allaient me permettre de le revoir apaisé dans une belle salle clairsemée.
Presque étonné comme ce qui prévaut maintenant est une sensation jouissive de fluidité virtuose, même sans perdre son caractère de chaos grouillant, mais je ne perds plus le fil (depuis le plan sur le sexe mort en ouverture jusqu'à la révélation éjaculatoire finale), et je chute sans discontinuer aux côtés du docteur Faust mais pas seulement : le grotesque et génial Méphisto proposé par Sokourov (hallucinant travail de l'interprète Anton Adasinsky) révèle à Faust qu'il lui manquerait ce que nous aurions tous de manière innée, la légèreté. Je crois que c'est cette légèreté qu'une seconde vision me permet de recouvrer, qui m'évite de m'embourber de-ci de-là ou de n'être qu'un peu stérilement fasciné. Je respire davantage et m'amuse bien plus (le film est souvent drôle, je l'avais presque oublié).
De ce que j'ai pu voir, Faust est encore pour moi le très grand film de 2012 avec le Cosmopolis de Cronenberg, deux propositions assez peu aimables d'emblée (le Cronenberg ne m'a d'ailleurs vraiment conquis qu'à la revoyure, et, là aussi, dans une jouissance quasi inattendue), deux films-monde dont les organismes s'opposent presque (l'un est aussi incroyablement foisonnant que l'autre est sec), mais qui gardent en commun un travail extraordinaire sur le son, à mon avis très loin devant tous les autres films que j'ai pu voir (y compris Take Shelter ou Moonrise Kingdom qui me semblent plus simplement dans la maîtrise sur ce point, moins dans l'exploration et le souffle).
Enfin, s'ils n'y sont pas réductibles, l'un comme l'autre nous invitent à un cinéma absolument sensuel et intuitif, ce qui devient à mon avis, et malheureusement, l'exception.