Il y avait longtemps, vraiment, que je n'avais pas été émerveillé comme ça dans une salle de cinéma. Oubliant aussitôt le bémol de la déflagration sonore en ouverture visant d'emblée à nous abasourdir (et le film y reviendra régulièrement, c'est épouvantable, je me demande sérieusement quelle est la législation en la matière ?), je biberonne goulûment le premier plan qui n'en finit pas de se déployer, majestueux. A peu près à la moitié du voyage, l'explosion de la station m'éblouira à nouveau. Putain de truc jouissif.
Je suis véritablement enchanté, mais tout de même, oui, frustré : ç'aurait pu être un "chef d'œuvre", ce n'est même pas un grand film, mais certainement le meilleur film spectaculaire de l'année, et depuis pas mal de temps pour MOIJE (dépité devant l'excitation généralisée sur les trucs genre Avengers ou Iron Man), celui qui tutoie au plus près le cinéma. C'est déjà ça. Je trouve que ça ne se refuse pas. Et l'opportunisme de Cuaron - est-il vraiment capable d'autre chose ? je commence à me demander ? - resterait sur un versant constructif, loin du cynisme atterrant d'un James Cameron obsédé par ses records.
Je recommence.
***SPOILERS***
La première fois que j'ai vu Gravity, quand George Clooney s'éclipse, j'ai commencé à cesser de croire à la possibilité d'un grand film - non, pas seulement parce que ça me faisait suer de plus voir mon copain - : il allait donc s'agir d'un simple survival, et il me semblait bien sentir que ça ne pourrait pas se distinguer par là (vu ce qui avait été mis en place). Pour retrouver dans les immensités un film aux enjeux vraiment adultes et poignants, il me faudra attendre de revoir Mission to Mars (ou, sans m'éloigner tant, je pense aussi à Abyss, et même sur le versant "survival à sec" à Open Water dans la catégorie "fauché").
La deuxième fois que j'ai vu le film, je me suis senti commencer à décrocher après ce moment, réveillé un bref instant pour la sublime explosion de la station... J'écoutais George dire son truc genre "you have to learn to let go" : j'entendais surtout le programme "rebirth" du film, que je ne trouve pas mauvais, mais sans grande inspiration non plus, mignon, rien à redire sur le fond, mais tout ça reste (à l'exception, d'un point de vue graphique, de quelques cordons ombilicaux) surtout appliqué et scolaire à mes yeux.
Et puis à un moment quelque chose m'a reconnecté, je n'arrive même pas à retrouver quoi, ça m'a pris par surprise tandis que je dérivais tranquillement, bref : quelque chose m'a fait réentendre une réponse de George Clooney à Sandra Bullock disant, à propos de la NASA : "They don't hear us". Et lui alors insiste sur la nécessité de parler dans le vide : parler parce que l'on ne peut pas être sûr que quelqu'un n'entend pas et que ça pourrait nous sauver. Et c'est ce "Let Go" là, pour le coup, qui me paraît devenir la vraie affaire de Gravity, son souffle incertain et sa charge émotionnelle sans balise. Là, la phobie du "let go" sur laquelle repose la communication du film et, à mon avis, son parcours profond, me semble passionnante. Là, je crois que Cuaron, possiblement incapable de filmer des interactions humaines (je n'ai vu que Les Fils de l'homme, que j'aime beaucoup, et c'était déjà ne faire corps qu'avec un seul homme, et les déclinaisons de l'impossibilité d'un lien), devient très personnel.
Le film s'ouvre sur le rappel que dans l'espace, sans air et sans pression, le son ne peut circuler. Et il pourra sembler étrange que Gravity ne semble avoir ensuite comme règle directrice que d'empêcher ce silence (il aurait d'ailleurs aussi pu attraper sa grandeur par là, dans son bain sonore quasi permanent en étant plus inventif que strictement efficace comme ici). Mais, la plus expressive exception : le très beau moment du retour de George - non, je ne l'ai pas seulement trouvé beau parce qu'il revient -, au coeur de ce qui s'avère être la vraie grande scène du film, l'est aussi parce qu'il débute sur cette ouverture insensée de la capsule pour que George entre. L'avènement soudain du silence qui en résulte, passée une sorte d'aspiration des sons, est un remarquable prologue(/écrin) pour l'avènement du moment où Sandra devient capable de parler dans le vide. Et notamment, donc, à elle-même, à d'autres, pourquoi pas à un dieu. C'est tout l'enjeu progressif de cette scène maousse qu'elle porte remarquablement : retrouver une ferveur absolue, première, de la parole, une parole dont la force ne vient plus du poids du sens des mots, une parole comme un aboiement.
Et là, je trouve que c'est pas rien d'exprimer ça, et comme c'est simplement beau de le faire advenir par l'étape d'une communication empêchée : l'échange avec la terre, avec le barrage de la langue (les mots n'existent que par la vie qui les porte). On ne comprend pas un mot, on ne s'appelle pas "Mayday", et quelque chose commence à passer dans ce lâcher. C'est l'étonnant tour de force de Gravity que d'être un film aux dialogues si réduits, misant surtout sur le spectaculaire, pour imposer la vertu d'un parler (en le détachant d'un simple rapport (psych)analytique) - fût-il terriblement solitaire, Cuaron oblige. Il s'agit purement d'en raviver et délester l'espoir premier : et peu importe qu'elle soit profane ou sacrée, la parole est une prière. "Please, elaborate".