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21 juillet 2012 6 21 /07 /juillet /2012 21:59

 

Isabelle Adjani, à une époque, c'était cette actrice, cette star, certainement très talentueuse, peut-être davantage, qui tournait terriblement peu. Quelqu'un m'avait dit, c'est peut-être une grande star, mais pas une grande actrice. D'une certaine manière, ne pas tourner, c'est ne pas expérimenter, ne pas apprendre, sur un terrain pas du tout anecdotique, ne pas grandir. C'est se prendre les pieds quelque part dans son quant-à-soi. On peut bien penser ce qu'on veut de Catherine Deneuve ou d'Isabelle Huppert : voilà des actrices qui, chacune à leur manière, y vont. Et le plaisir qu'elles ont à jouer, et même à choisir leurs rôles, est pour moi tangible. 


Alain Cavalier, par exemple, nous rappelle que qui veut faire des films, le peut. Je n'irai pourtant pas contester le rapport de Carax au numérique, loin de là (considérant la vitesse avec laquelle ce changement s'impose, et de manière totalitaire, pour des motifs strictement économiques). Mais en fait, peu importe : Cassavetes disait clairement aussi qu'il était possible de faire des films.  Ou je pense à Tarkovski, qui en a fait très peu, qui était très concrètement empêché, et je me dis que rien dans les films de Tarkovski ou dans sa présence visible ou invisible ne me rappelle ce que dégagent Carax et son film. Non. Carax me fait plutôt penser à Adjani. Et je ne suis réellement le contemporain ni de l'une, ni de l'autre. Le premier film de Carax que j'ai vu à sa sortie - et c'était encore trop tôt pour moi : Les Amants du Pont Neuf. La jeunesse de Carax a précédé la mienne. Je n'ai pas eu la fièvre en découvrant, bien plus tard, Mauvais Sang


Autrement dit, je ne suis pas dans le "trip". Mais je ne pense pas que ça me rende plus "objectif", plus apte à apprécier le travail proposé. Simplement tout cela m'étonne, cette vénération médiatique ou plus : ça m'est vraiment étranger. Mais c'est là. J'avais beau ne rien avoir lu sur le film avant de le voir, il y a toujours du bruit. A ne pas pouvoir m'empêcher de me demander si je résiste un peu trop au film, par bête réaction à tout cela, ou au contraire, si j'ai une sorte d'indulgence, ou de honte, qui me force à ne surtout pas en oublier les possibles qualités, alors qu'au fond, très personnellement, les qualités que je pouvais lui trouver en le regardant, m'importaient assez peu après vision... Disons que je suis étonné de ne pas trouver ça très intéressant, je regrette que ma réception du film bien qu'ambivalente tout du long ne l'ait jamais été sur un mode enthousiasme/rejet. Plutôt quelque chose comme des débuts de prises d'air vers l'émerveillement ou l'ébranlement et puis très vite, à chaque fois : ben non, pas du tout. 

 


 

 

Holy Motors - Denis Lavant et Edith Scob

 

 

 

Alors je n'ai pas trouvé ça désagréable, Holy Motors, dans l'ensemble, loin de là, mais tout ou presque me semble incroyablement lourd, avec cette impression frustrante que ça ne "décolle" jamais. C'est marrant comme plein de gens parlent des dialogues de Cosmopolis et de la difficulté du rapport à ça, que c'est imbitable et/ou envahissant, ce genre de trucs, le plus souvent pour discréditer le film. Moi c'est les dialogues d'Holy Motors qui me consternent et dont je ne vois pas du tout quelle dynamique ils produisent. Bien sûr, il y en a moins, mais je les trouve épais, sur-signifiants, le plus souvent sur-écrits d'une manière disgracieuse. La séquence avec M. Merde me fait alors beaucoup de bien, et je ris de bon coeur (malgré la faiblesse du traitement du photographe, les "visit my website" inutilement répétés sur les tombes), mais le second mouvement de cette séquence (la partie dans la grotte) m'apparaît juste catastrophique, vraiment à deux balles, on dit comme ça, à l'exception des borborygmes joyeusement incompréhensibles pour le coup. Cette scène illustre bien ce qui me gêne le plus : comment Carax me semble clouer chacune des scènes de son programme, à coups de marteau bien pe(n)sé, au moins via une ultime image (les ridicules monstres numériques, le crash devant la Samaritaine), ou un ultime mot (la "punition" du père à sa fille ; le "merci, Elise" de la scène de la mort du vieux, alors que quelque chose commençait à vibrer juste avant - juste après la mort -, quelque chose d'autre qu'un "plan qui tue" ou une "fulgurance" - qui flottent peut-être parfois comme au milieu de nulle part). Je songe un Carax produisant des trucs comme ça (des "fulgurances"), comme Adjani des Césars... La scène avec Piccoli est un autre modèle de pesanteur pour moi (les interprètes n'y étant pour rien)... Ou le banquier au téléphone : peut-on faire plus facilement démago sans brasser autre chose que des clichés engourdis ?  


Et je reconnais en même temps qu'aligner ces sentences, tant bien même je ne les développe pas, ne colle pas parfaitement avec mon sentiment devant le film (au point de ne pouvoir m'empêcher de trouver Erwan très dur en lisant son billet, alors que je ne dois pas être en désaccord avec ce qu'il dit), même si je pense et ressens chacune pour de bon. Le film me fatigue mal ; je ne dirais pas qu'il m'énerve, mais pas davantage qu'il est réellement ambitieux, dans un sens heureux. J'aime beaucoup le texte de Buster, il ne m'indiffère pas, loin de là, mais précisément, je n'arrive presque ni à aimer ni à ne pas aimer ce film, aussi parce je n'y vois pas de vrai risque, et je ne vois pas son moteur. C'est, à mes yeux, quelque chose comme... une posture sincère, c'est ça qui me vient. Un peu comme Adjani, ça doit être pour ça, surtout, que je pense à elle. Ce qui donne pour moi quelque chose de terriblement mort, et régulièrement complaisant. Quelque chose de profondément triste et mortifère, mais malheureusement même pas tragique... Je me demande aussi cette chose bizarre : Denis Lavant est un très bon acteur, j'ai du plaisir à le voir jouer, mais si c'était par là aussi que Carax s'enferme ? J'ai le sentiment que le regard de Carax sur Lavant est comme captif ou établi. Je ne sais pas comment exprimer ça précisément. Peut-être que c'est Timothée qui le dit justement. J'ai l'impression que ce qu'il décrit a à voir avec ce qui m'interroge. Et peut-être qu'in fine, ce qui me rend le film possible dans sa totalité, ce qui fait que je ne me détourne pas purement et simplement malgré le passif que je ressens, peut-être que c'est Edith Scob. Là, je verrais chez Carax face à Edith Scob, un vrai désir de cinéma qui opère, mais il ne s'y collerait pas assez, il colle trop à Lavant, et le film en souffrirait... 


Enfin, cette impression que Carax ne s'en sort pas avec Godard. Qu'il se prend les pieds dans cet amour-là aussi, que ce ne serait pas ce qu'il est, au fond, qu'il est trop marqué, pas dégagé, pas assez libre... Mais on a dû trop lui dire qu'il était un génie. Et il l'aura trop cru. Ou pas assez. Car tout cela dit, j'imagine que ce pourrait être simplement un film qu'il avait besoin de faire pour refaire du cinéma. Mais comme je n'éprouve pas d'amour inconditionnel pour Leos Carax, j'ai du mal à prêter à Holy Motors plus que cette possible nécessité.

 

 

 

 

PS : pour finir sur une note plus joyeuse, j'aime lire le texte de Vincent, avec son enthousiasme qui ne sent pas la posture (sincère ou non). Et j'ouvre ma galerie 2012 en compagnie des phares sans visage !

 

(Billet rétro-publié le 25 juillet).

 

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commentaires

M
<br /> En fait ce n'est pas un film, ce sont plusieurs films en un. Et puis le casting est quand même très détonnant pour ne pas dire improbable, mais ça fonctionne bien...enfin je veux dire pour les<br /> personnes qui aiment les films qui font penser un peu à des rêveries.<br />
Répondre
D
<br /> <br /> Bonjour Motor,<br /> <br /> <br /> Je suis d'accord avec ce que vous écrivez ici, bien que je garde mes réserves.<br /> <br /> <br /> Merci de votre passage.<br /> <br /> <br /> <br />
V
<br />  <br /> <br /> <br /> Je crois qu'il faut avoir de l'humour pour aimer ce film et ne pas se prendre au sérieux.<br /> <br /> <br /> il s'agtit juste d'un film beau et moqueur, c'est pas mal non ?<br />
Répondre
D
<br /> <br /> Vincent, votre première phrase, quand même, c'est un peu gonflé  :-)<br /> <br /> <br /> Je n'exclus pas de revoir ce film bien plus tard. Et peut-être que "moqueur" est une piste qui m'aidera à recevoir autrement ce que je trouve de "sabré" dans les scènes, au moins<br /> ponctuellement. <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
B
<br /> Ouais. Pas à la fête non plus. Il y a un côté "gros sabots" auquel je ne m'attendais pas, comme le tout premier rôle (l'espèce de banquier), ou la scène avec Piccoli. Je suis d'accord sur la<br /> question du "décollage" qui ne vient jamais, même si je comprends bien qu'un limousine ne vole pas. Celle de Cronenbreg, pourtant... <br />
Répondre
D
<br /> <br /> Houlala oui, le "banquier", quelle pureté dans le cliché démago... Bien lourde, je trouve aussi, la scène avec Piccoli...<br /> <br /> <br /> Mais revenons à l'essentiel : faut que tu revoies Cosmopolis ! J'en reprendrais bien une troisème fois ;-)<br /> <br /> <br /> <br />
N
<br /> Moi je me suis laissé emporter par les images du film. Au contraire de Cosmopolis que je trouve trop cérébral, celui-ci m'a plu par son côté sensuel, par les émotions à fleur de peau qu'il<br /> dégage. Un voyage qui peut laisser de côté mais qui peut également subjuger.<br />
Répondre
D
<br /> <br /> T'as bien de la chance, alors ;-)))<br /> <br /> <br /> En revanche, je trouve le Carax bien plus cérébral que Cosmopolis, à mon avis seulement beaucoup plus sec, ce qui n'est certes pas<br /> séduisant. <br /> <br /> <br /> <br />

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