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16 septembre 2012 7 16 /09 /septembre /2012 00:26

 

 

 

Matthew McConaughey - Killer Joe 

 

 


 

Mon embarras premier avec Killer Joe n'est pas de savoir si, par exemple, la scène KFC est possible telle quelle et/ou hautement discutable : plus simplement, le film ne me transmet ni le désir ni la nécessité d'en dépasser son déroulé immédiat. Friedkin s'amuse, il a le droit, je peine terriblement à le voir faire autre chose que se reposer sur un savoir-faire (possiblement) enviable par beaucoup.

 

Je recommence : j'ai pris un plaisir certain à voir le film. Pas que. Mais je ne ressens d'autre attente dans l'idée de le revoir que le bel investissement de la troupe de comédiens (1) : celui de Friedkin m'apparaît finalement si léger (malgré le brio) que s'intéresser profondément au film deviendrait totalement invalide ; je n'arrive pas à me sortir d'une impression de consommation (disons de haut vol pour ne pas trop se mépriser soi-même), quelque chose de vaguement chic et choc où le mauvais goût et la désinvolture interviennent avant tout comme nappage complice du gâteau pour cinévore en mal de tuer son temps.

 

Un des principaux symptômes de cette désinvolture (au sens d'investissement minimum de soi alors et non de légèreté irrévérencieuse) est par exemple le traitement du personnage de Juno Temple. La comédienne n'est pas en cause, et quiconque a vu (et aimé) Kaboom comprend d'avance la pertinence d'un tel casting (2). L'adaptation est peut-être faible sur ce point, ou la pièce elle-même, peu importe, ça n'interdit pas à Friedkin de se demander comment filmer et diriger sa comédienne pour que le final ne soit pas qu'un moment potache de plus. Mais le film ne prend presque jamais en charge (à l'exception d'une réplique artefact "sauf si on me met en colère" qui ne sonne guère plus qu'un alibi à la paresse) la part du personnage qui explose à la fin (son lointain côté "Carrie", tant bien même les motivations diffèrent, tant bien même l'ambivalence finale peut-être préservée - la suspension pouvant être aussi féconde que celle de Cosmopolis). Impardonnable faiblesse qui déséquilibre totalement la dramaturgie et le personnage : Friedkin ne semble alors garder à cœur que de ne pas rater une occasion de se rincer l'œil (3), ce qu'on n'aurait pas obligatoirement envie de lui reprocher si le personnage était respecté, dans toutes ses dimensions de Britney Spears de caravane. 

 

Si ce ratage devient impardonnable, c'est qu'il rend alors le film fondamentalement misogyne, son (dés)équilibre particulièrement ténu s'en trouvant brisé (l'humiliation des femmes dans ce film est incomparable à celle des hommes). Mais évidemment, tout ça n'est peut-être pas très grave, et l'on aurait tort de le prendre trop au sérieux, si Friedkin lui-même s'en fout réellement, n'en a cure. Il s'amuse. Mais l'on s'amusera toujours davantage soi-même qu'à regarder quelqu'un d'autre le faire à sa place, et après Bug, et cinq ans de silence, c'est tout de même sacrément frustrant, décevant. A moins de vouloir à tout prix privilégier la fraicheur qu'il y a à être inconséquent à 77 ans. Mais il n'y a pas grand chose dans le monde d'aujourd'hui, et pas moins dans le cinéma, qui me semble manquer de cette inconséquente fraîcheur-là. 

 

Reste qu'il y a des belles choses dans ce film, une manière de poser ou de faire monter des scènes qui m'impressionne (j'aime beaucoup ce qu'en écrit Asketoner), un sens de la dépense (plus que de l'étalage) et du malaise qui fait du bien. Mais je ne peux que m'en foutre. Aussi. L'on peut bien tous être mal élevés à bon compte. 

 

 

 

 

 

(1) Très belle générosité de troupe, et plaisir de retrouver Gina Gershon, ou de voir McConaughey aussi en forme que dans le film - que je déteste assez - de Soderbergh. Mais, à mon avis, grosse erreur de casting sur Emile Hirsch, jamais crédible par nature et qui aurait sans doute dû alors partir franco dans la composition comme pour Harvey Milk. car Hirsch m'a l'air tout sauf mauvais comédien, et il n'est sans doute pas sot, mais il est ici terriblement appliqué, propret, trop strictement "sincère", et à une ou deux exceptions près ne semble vraiment pas jouer dans le même film que les autres. Penser qu'au théâtre son rôle était tenu par Michael Shannon peut laisser rêveur...

 

(2) Ce que cette jeune femme rend possible me rappelle Juliette Lewis pour le meilleur du Cape Fear de Scorcese.

 

(3) Fort à parier d'ailleurs que dans sa version théâtrale, la nudité de Joe a beaucoup plus de sens et de poids, ce dont le vieux papy semble presser de se débarrasser une fois l'aspect blagounette de la scène assuré.


(Billet retro-publié le 29/09/2012)

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commentaires

K
<br /> Je n'ai pas été non plus enthousiasmé par la prestation de Emile Hirsch, décevant quand on voit son potentiel dans Into The Wild par exemple. En fait c'est le film dans sa globalité qui ne m'a<br /> pas du tout emballé...<br />
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D
<br /> <br /> Bonjour killer,<br /> <br /> <br /> Je suis bien d'accord avec vous sur le potentiel d'Hirsch, qui n'est possiblement pas dans une période bien faste. Je ne l'ai pas vraiment trouvé à la hauteur non plus dans Prince<br /> Avalanche, même si l'interprétation ne fait pas partie des "points forts" ce film (Paul Rudd me semble aussi plus intéressant ailleurs).<br /> <br /> <br /> Je pense que je reverrai Killer Joe à l'occase, mais je trouve qu'on a souvent tendance à en faire un peu trop avec Friedkin. A mes yeux, ce film-ci rejoint le groupe de films un peu,<br /> voire très, surestimés de l'inégal parcours de ce réalisateur (qui ne m'est pas ailleurs pas sympathique, cela n'aide pas ma perception, c'est certain).<br /> <br /> <br /> <br />
U
<br /> Pas encore vu mais ton analyse et la bande-annonce assez mauvaise ne me motive pas trop à aller voir cela !<br /> <br /> <br /> Ou alors je vieillis ... ou trop blasé ...bref c'est pas bon signe !<br /> <br /> <br />  <br />
Répondre
D
<br /> <br /> Salut Ultimo,<br /> <br /> <br /> Mais tu sais, tu passerais pas forcément un mauvais moment, je crois. Cela dit je te garantis pas un coup de jeune ou de neuf :-)<br /> <br /> <br /> <br />
C
<br /> Nous serons donc trois à avoir pris notre pied (ou nos pieds respectifs, enfin un truc fétichiste en salle obscure). Le côté excessif du film et la tension progressive des scènes et du scénar,<br /> moi aussi cela m'a plu. Pas aimé non plus le jeu (et le personnage d'ailleurs) du fils. Hallu complète sur la scène KFC, j'étais mal à l'aise immédiatement avec ce que je voyais en pensant<br /> "plantage monumental" et puis moins, la durée aidant. Les spectateurs de ma salle ont halluciné à la fin du film, les lumières se sont allumés et j'ai clairement compris qu'ils avaient vu quelque<br /> chose qui les avait dépassé, genre 18 heures de cinéma exérimental condensées en injectées directement dans leurs pupilles. Je l'aurais bien revu en fait, pour son ambiance bizare et ses petits<br /> sursauts dans le scénario. J'ai apprécié le personnage mystérieux "à moitié traité" selon toi, je n'y ai vu qu'une volonté de ne pas creuser l'affaire justement pour nous suggérer plus que pour<br /> traiter, créant une couche supplémentaire de malaise. Par dessus la jambe, un film intéressant sans être inoubliable. Pas sûr par contre pour la paresse du réalisateur. Bon dimanche (hors le net)<br /> !<br />
Répondre
D
<br /> <br /> Salut comprendre, <br /> <br /> <br /> Je suis d'accord que la durée est très importante pour la scène KFC. Il y a une maîtrise là-dedans qui m'impressionne. Mais je peux pas dire sinon que j'ai trouvé le film "expérimental", plutôt<br /> très classique même, n'était son histoire délirante.<br /> <br /> <br /> Pour le personnage de Juno Temple, je ne pense pas forcément à un "traitement de l'intérieur", mais on peut s'attacher à une énigme précisément, sans chercher à la dévoiler. L'énigme ici ne me<br /> semble portée que par la comédienne, le regard de Friedkin sur elle me semble trop pauvre, trop vite satisfait. <br /> <br /> <br /> La question de la paresse, c'est aussi par rapport à Bug, que je trouve beaucoup plus travaillé (et beaucoup plus "travaillé" - de l'intérieur) :-) <br /> <br /> <br /> <br />
N
<br /> J'attends ces critiques, car tu n'es pas le seul à parler de mysoginie. Que je n'ai pas ressentie comme telle, tant elle est cachée derrière du second degré. Mais c'est sans doute facile, tu dois<br /> avoir raison. Reste que j'ai bien pris mon pied devant le film. Quant à le revoir, peut-être pas....<br /> PS : je n'ai pas aimé Magic Mike non plus.<br />
Répondre
D
<br /> <br /> Et j'ai souvent "pris mon pied" aussi, c'est vrai. <br /> <br /> <br /> Hâte de te lire sur Magic Mike (je suis encore à la bourre, mais je progresse ;-) ) : je trouve l'accueil critique<br /> étonnament complaisant pour ce film. <br /> <br /> <br /> <br />

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