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9 décembre 2011 5 09 /12 /décembre /2011 23:08


Seul le film contient plus de ***SPOILERS*** que ce texte.

 

 

 

The Ides of March - George Clooney 

 

 
Les lectures de l'histoire au sein des Marches du pouvoir divergent beaucoup, y compris en France (1). Il est souvent réjouissant qu'un scénario permette les interprétations multiples, et c'est logiquement le cas ici puisqu'il s'appuie (au moins) autant sur ces ellipses que sur son explicite - ce qui me semble assez rare aujourd'hui à Hollywood -, et sur des personnages, et leur ballet, relativement complexes ou inaccoutumés.

J'ai donc besoin de dire un peu, et à un tout premier niveau, ce que je vois de l'histoire et des personnages qui la peuplent, d'autant que si je ne doute pas qu'il y ait d'autres lectures possibles, je ne comprends pas du tout celle qui ferait légion (tant bien même rien d'un peu attentif n'ait été écrit sur le film à ma connaissance) et qui se résumerait à : Clooney fait un film politique, et il est désabusé, et on s'emmerde, parce que c'est pas bien original d'être désabusé, et c'est pas bien intéressant de faire un film politique depuis la nostalgie des 70's en version cynique contemporaine. Je vais vite, mais ça donne surtout lieu à des articles expédiés sur le mode du circulez-y-a-rien-à-voir.

On peut aussi remarquer que le film en question n'est pas vraiment plus politique qu'un autre : simplement, il se passe dans la classe politique, mais pourrait tout aussi bien se dérouler ailleurs, au moins dans pas mal de sphères où se recroisent enjeux certains de pouvoir et professions de l'ombre, à commencer par Hollywood. En outre, le centre nerveux du film ne me paraît pas tant le milieu où il s'inscrit que son protagoniste principal : le mélange de densité et de béances du récit n'est pas au service d'une construction de type thriller (qui serait alors évidemment faible bien que rondement mené) mais bien plus simplement et efficacement d'un portrait.

 

 

The Ides of March - George Clooney 
   

Récemment ressortait en salle  Portrait d'une enfant déchue qui procède ouvertement par fragments via une forme dite moderne. Au moins depuis son second film, Good Night and Good Luck, le réalisateur George Clooney évolue dans ce que l'on appelle, je crois, le classicisme ou bien le néo-classique - comme, à sa manière, l'acteur-réalisateur en maître : Clint Eastwood. Son dernier film procède pourtant tout autant par fragments que celui de Schatzberg, par blocs successifs contribuant au portrait sans le "résoudre" : la comparaison s'arrête là mais le fait que ces derniers s'enchaînent chronologiquement et soient extrêmement ramassés dans le temps n'y change fondamentalement rien.

Ce qui préside au découpage de ces blocs, et aux ruptures ou ellipses qui les séparent parfois (avec une fluidité et une pertinence qui m'impressionnent), n'est que la réalisation du portrait de Stephen Meyers (Ryan Gosling), pour ainsi dire de toutes les scènes : Les Marches du pouvoir n'en propose presque pas sans lui ou dont il ne soit au moins et in fine le puissant hors-champ - ce qui donne alors au film certains de ses plus beaux moments. Ainsi de l'éviction finale de Paul Zara (Philip Seymour Hoffmann), avec son premier hors-champ (l'échange avec le candidat) caché dans le champ via l'impénétrable voiture, ne nous laissant alors presque plus qu'en la présence invisible de Stephen Meyers, de son pouvoir étendu.

Si le portrait me semble particulièrement beau et fort, c'est qu'il atteint les fragiles points d'équilibre entre simplicité de la ligne et complexité du matériau, précision du regard et irréductibilité du modèle (ni caricaturé, ni schématisé, ni véritablement "résolu", tel celui du top model jouée par Faye Dunaway). Entre la première et la dernière séquence du film, Stephen Meyers a certes basculé, mais : en lui. Il n'y a pas de rupture radicale, et pas de véritable explication : il y a accélération d'un mouvement (commencé avant la narration) jusqu'à ce que celui-ci provoque un changement d'état, comme en physique. Le processus est anti-spectaculaire au possible - les climax potentiels sont le plus souvent passés en ellipses fertiles - et d'essence tragique : c'est une marche continue jusqu'au point de non-retour.

 

 

 

The Ides of March - George Clooney  
   

"I don't have to play dirty anymore. I've got Morris"… La carrière de Stephen Meyers n'a pas commencé avec la candidature de Mike Morris (George Clooney) à l'investiture démocrate. C'est un homme particulièrement brillant et ambitieux : les premières rencontres avec la journaliste Ida Horowicz (Maria Tomei) et avec le directeur de campagne de la partie adverse Tom Duffy (Paul Giamatti) servent aussi à nous le rappeler. Il en a déjà beaucoup vu, en coulisse, comme il le confie lui-même. Les Marches du pouvoir ne m'évoque pas le portrait d'un enfant déchu, d'un idéaliste tombant des nues et découvrant des noirceurs insoupçonnées. Loin de là.

Meyers n'est pas non plus un personnage caricatural au service d'une démonstration programmatique : la singularité tient en ce que le récit commence lorsqu'il est en plein "état de grâce". Cet état de grâce, c'est Morris. Meyers croit en Morris, totalement : en sa capacité de changer les choses ET en sa capacité extra-ordinaire de remporter les élections présidentielles face aux Républicains (emmenant dans son sillage Meyers aux plus hautes fonctions qu'il puisse envisager). Les deux aspects coexistent intensément chez Meyers, dès le début du film, et son basculement se signale comme la victoire progressive mais écrasante de l'un sur l'autre. Simplement : le récit s'ouvre au moment de sa vie où son ambition - sa volonté de pouvoir - peut se mettre, avec Morris, au service de ses meilleures intentions.

Depuis l'état de grâce confus à la machine de guerre implacable, la précipitation de la chute, servie par la sécheresse de la narration et de la réalisation, évoquerait alors la déflagration d'un coup de feu, mais porté avec un silencieux : la douleur sera mate - très singulier ton du dernier mouvement du film, connecté à l'implosion de Meyers. De nombreuses œuvres nous ont habitués aux grands cyniques avérés et conscients d'eux-mêmes, en figures faciles et repoussoirs du Mal. Ce qui devient intéressant ici, et redoutablement juste, est que Stephen Meyers entretient d'abord une inconscience relative quant à la réalité de ses actes : il y a simplement malaise, petits arrangements avec soi. Mais dès ce premier mouvement du film, avant les grandes crises, avant la condensation tragique de sa personnalité, au moins deux moments-clé annonçant le désastre ne devraient être ignorés.


(… suite et fin assez vite, j'espère)


 

The Ides of March - George Clooney

 

 

 

 

(1) Je ne peux pas m'empêcher de penser que "l'affaire DSK", dont j'ignore comme tout non-initié la réalité, aura totalement parasité la réception de ce film, dont l'histoire n'évoque pas ce type d'affaire particulièrement trouble. Ce sont à des scandales du type "l'affaire Clinton" qu'il faut revenir… si tant est que sur ce point nous soyons encore capables même en France d'avoir une réaction différentes des républicains états-uniens. Stephen Meyers, lui, ne saurait être humainement effondré par ce type de "découverte" (j'y reviendrai sans doute).

 


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commentaires

J
<br /> Tu as vu et aimé le film, David ?<br /> <br /> <br /> à+<br />
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D
<br /> <br /> Oui, je sais, c'est très embarrassant :-))), je me souviens d'une fin irregardable, d'une partie française globalement gênante, et<br /> j'en passe. J'ai même eu du mal à "admettre" qu'Eastwood nous livrait un film fantastique, et le "sujet prétexte" m'indiffère au plus au point... Et puis tout cela dit, il y a aussi pas mal de<br /> choses du film qui me sont restées, et j'ai envie de le revoir (ça devrait pouvoir se faire bientôt en salle d'ailleurs) : j'avais trouvé belle la partie centrée sur Matt Damon, et toute la<br /> relation avec Brice Dallas Howard, ou encore la scène du Tsunami (à l'exception du tout dernier plan). Bref, j'avais trouvé le film inégal, et pas tellement de mon goût, mais quant à ce qui me<br /> retient dedans, j'y vois de vraies réussites. Je te lirai avant de la revoir. à +<br /> <br /> <br /> <br />
J
<br /> Je ne sais pas si c'est joyeux, mais en tout cas c'est publié : http://www.scienezma.com/DC/hereafter  ;o)<br /> <br /> <br /> à plus tard...<br /> <br /> <br />  <br />
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D
<br /> <br /> Ouille ouille ouille, je vais le lire bientôt (j'hésite encore entre me stresser la toute fin 2011 ou le tout début 2012) ;-))<br /> <br /> <br /> <br />
J
<br /> A propos d'Eastwood, j'ai vu Hereafter l'autre jour, j'en dit pas plus ici, c'est pas le lieu, j'ai préparé quelque chose que je publierai un jour ou l'autre sur scienezma ! Je te ferai signe<br /> quand ça sera online. ;o)<br /> <br /> <br /> bonne fin d'année<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br />
Répondre
D
<br /> <br /> Ah, ça va encore être joyeux, ça ;-)))<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
J
<br /> Il s'agit d'un remake (de remake), en 3D IMAX tout le bazar, de son propre "New Dragon Gate Inn". Je trouve l'idée amusante en regard du film de Tsai Ming Liang "Goodbye Dragon Inn" qui mettait<br /> le premier "Dragon Inn" au centre de son hommage mélancolique à la fin des petites salles de cinéma chinoises. Ce type de nouveau film prouve que quelque chose subsiste, pour le meilleur et pour<br /> le pire.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> C'est pour une raison pas si éloignée que le Scorsese m'intéresse. Son intention de rendre officiellement hommage à Méliès à travers Hugo est assez franche, en ces temps où tout un pan du cinéma<br /> (avec effets spéciaux) s'inscrit sans doute à la suite de l'ancêtre. Bien sûr, le côté "hommage officiel", grosse machine, sera sans doute ce qui coince, mais ça permettra de mettre les pendules<br /> à l'heure, voir ce qui a changé, ce qui subsiste ...<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Tu penses à quoi pour les reprises ?<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> à plus tard..<br />
Répondre
D
<br /> <br /> Merci pour les précisions. Je n'ai pas vu l'original en fait, mais j'aime beaucoup le film de Tsai Ming Liang, alors très indirectement ça commence à me faire envie ! J'aime bien ce que tu dis<br /> sur ce qui peut subsister, je n'y avais pas pensé.<br /> <br /> <br /> Pour les reprises, je pense notamment au Voyage dans la lune de Méliès, que je n'ai encore jamais vu et qui est proposé en "programme double" avec un documentaire sur son histoire il me<br /> semble. Sinon, en moins festif, y a beaucoup de films de Cronenberg et surtout d'Eastwood qui repassent en ce moment à Paris, et j'aimerais bien en profiter un peu... mais c'est pas gagné<br /> :-)<br /> <br /> <br /> <br />
J
<br /> En Chine, pour les fêtes, j'aurais aimé aller voir le film de Scorsese, mais malheureusement il n'y a pas de sortie prévue ici pour la fin de l'année. Je pense que nous irons voir le nouveau Tsui<br /> Hark, ça peut être pas mal aussi ! J'imagine qu'il sortira en France prochainement.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Joyeuses fêtes de fin d'année.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> JM<br />
Répondre
D
<br /> <br /> Ben, je n'avais pas encore entendu parler du nouveau Tsui Hark, et sur imdb je ne vois pas encore de date de sortie pour nous, mais je suppose qu'on y aura droit en 2012.<br /> <br /> <br /> Rien de très festif pour moi dans les sorties en fait (je crois que j'attendrai pour le Scorcese : je suis bizarrement pas attiré du tout, spontanément), j'irai voir du côté des reprises !<br /> <br /> <br /> <br />

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