***SPOILERS*** en folie…
Chaque fois que la vie d'Irène Médée est en train de changer, pour de bon, elle entend - et est seule à entendre - une musique ; sinon, quand nous la rencontrons, elle chante, et Crazy Love ponctue le déroulé d'un mythe qui serait aussi implacable que les jugements portés sur Irène (par son amant qui l'expulserait doublement, par l'impersonnel de la loi et le personnel de la justice, voire par un agresseur inconnu - le cut du montage m'a alors violemment saisi) : effet de sur-place, de butée, ou de reprise de souffle, et, bien sûr, d'envers et contre tout.
Et dans le même mouvement, quelque chose se brise via une boucle qui s'accomplit (1). Elle se noue tant qu'elle se dénoue, elle a un goût libre et résistant, au moins régénérant, elle s'appelle "les petits souliers rouges", poème évoqué en début de film et dernier soin, au-delà de la douleur : arriver au point ou Irène, malade (de très beaux plans sourds et chargés que le réalisateur dit directement inspiré du souvenir de sa propre mère), souffle : "J'me souviens plus du tout des mots".
Jusqu'à ce que… les mots reviennent, via le poème et peut-être aussi : "Je l'ai dédié à moi-même. Je l'ai mérité.", et avec tout cela la vie s'ébroue de nouveau, et "Me voilà en piste dans la ville morte", et alors : il redevient simplement possible de vivre. Ce serait le miracle possible du vivant qui ne peut puiser qu'en lui-même : vivre. "Je veux seulement vivre.", "Je veux vivre.", répète le film au côté d'Irène, et il suffit de retrouver de la durée, lors d'une belle scène dans un café, le temps d'un au-revoir, d'une photo permise par un appareil providentiel, et alors : "VIVRE" est là. Envers et contre tout, aussi, mais : tout a changé. C'est qu'il n'est plus question de s'insérer, d'assimiler ou d'être assimilé, mais de s'inscrire, dans le monde, de s'écrire avec le monde.
Le film aura basculé de l'autre côté d'un regard caméra couleur "j'vais tout détruire" sans appel, ou presque. Il aura inventé son chemin en partant de rails interrompus par un portail. Il dessine généreusement sa propre boucle, s'étant ouvert sur sa scène finale, mais les plans continuent, débordent, se répondent, et des femmes se répondent, ou se questionnent, en miroir, plus violemment que les rejets, et "L'histoire d'Irène Médée commence seulement maintenant". C'est vrai.
MOIJE ne pourrais dire que je trouve tout "réussi" ou que tout me parle, mais il y a une telle prise de liberté qu'elle me rend souffle, et revoir le film a été une joie que la première vision ne m'avait pas totalement laissé pressentir. Last but not least, Isabelle Huppert - très belle idée "multicouches" d'Huppert étrangère en France, ou en banlieue nord-ouest parisienne - y trouverait bien sa partition la plus ample et la moins attendue, depuis… peut-être La Cérémonie.
(1) Cette co-existence et co-intimité du devenir et du cycle liés au temps, tout en s'inscrivant ici et là dans des enjeux et des esthétiques distinctes, est aussi une des forces à l'œuvre dans L'Etrange affaire Angélica comme l'exprime Edouard de Nightswimming dans son billet sur le film de Manoel de Oliveira.
PS : premier billet évoquant une rencontre autour du film de Tonino de Bernardi.