Memory Lane fait partie de ces films qui rappelle avant tout qu'une des possibilités (propre ?) au cinéma est d'exprimer le temps qui passe, voire son dialogue avec le temps révolu. Et le film creuse singulièrement ces passages, et deuils, via toutes les marches qu'il propose et qui oscillent entre élan naissant, sédimentation et cortège.
On voit rarement quand la marche débute ou arrive, la vague est prise dans son glissé, comme une tentative peut-être aussi de la retenir (les marches sont toujours lentes ici) ou d'en rêver une permanence qui peut s'autoriser des suspensions, avec en contrepoint leur côté couloir - en ligne droite assez accentuée pour la plupart - où l'inéluctable frémit (et il peut être heureux, voire la marche en intérieur, dans les couloirs de l'école).
[Et je me demande si cela pourrait suffire, car le film appuie peut-être un peu trop : l'exécution des ralentis (alors que le changement de musique lors de la danse, oui, notamment via son astucieuse préparation offerte par la précédente interruption musicale dans l'action elle-même) et celle de la voix off (si le comédien est est bien le reste du temps, là, j'entends le Conservatoire) me semblent boiteuses.]
Promenades ou itinéraires, du solo au groupe en passant par le duo, les déambulations redistribuent ou reconfigurent en douceur les états de chacun et les proximités entre co-passagers. Ces scènes guident le ton élégiaque du film, en créent le rythme profond - en leur sein et entre elles -, et renforcent le sceau "en cours de route" qui marque l'ensemble, que l'on mange, que l'on danse, que l'on fasse l'amour ou de la musique. A ce propos, ce qui me touche aussi dans Memory Lane, c'est que Mikhaël Hers porte avant tout son attention sur les moments de partage, et les moments de partage qui ne sont pas liés au discours.
L'attention est bien une qualité remarquable ici, tant dans la réalisation du film que dans les rapports montrés, mais dans la rubrique "j'ai les défauts de mes qualités", le film me semble un chouia trop studieux, et quelque chose dans la recherche permanente de "justesse" peut frustrer. Quelque chose ne se mouillerait pas trop, même si le film n'est pas sec : presque étonnant alors qu'il s'établit sur une double distance par rapport au réel. Puisque non seulement nous sommes ici liés au souvenir, mais en outre l'ouverture joue sur un côté méta avec cet "été inventé rien que pour nous" et le jeu charmant (puis galant) sur les prénoms appropriés ou non. Ce serait aussi comme le revers de la phobie de la violence dont parle Edouard : le film aurait pour moi davantage à voir avec l'aplani qu'avec le refoulé (ce qui aurait pu être sa vraie force sans perdre la douceur du ton).
Mais bon, il y aurait plein d'autres charmes aussi, où le soin apporté dépasse l'appliqué : un film français qui ne se fait pas un point d'honneur à avoir l'air bien moche, ça fait du bien aux yeux ; le groupe de jeu est vraiment bon, avec les filles et les anciens en tête (plaisir de retrouver Didier Sandre et Marie Rivière) ; les dialogues concrets, précis et riches ("ça passe plus", par exemple, m'a saisi) ; etc. Bref, on l'aura compris, l'impression globale reste que : je marche !
PS : voir aussi le texte de Vincent qui s'attache notamment à la réussite du film dans sa volonté de faire vivre un groupe.
PPS : je termine avec Sophie Letourneur, grâce à Critikat, ayant découvert La Vie au ranch le même jour...
"C : Il y a aussi de forts échos avec Memory Lane de Mikhaël Hers, qui va sortir le mois prochain. Memory Lane, ça pourrait être l’histoire de votre groupe dix ans après ?
SL : C’est vrai ! C’est un film qui m’a beaucoup touché, que je trouve magnifique. Avec Mikhaël, je me demandais si les journalistes allaient mettre nos films en parallèle. Après je pense que la différence c’est surtout le rapport au langage, qui est vraiment contraire. C’est-à-dire que lui est dans un langage qui a du mal à sortir. Tout ce qu’ils disent est très beau, très profond et ça sort vraiment d’eux. Ce sont des personnages avec un vrai monde intérieur et le rapport aux autres est plus compliqué que le rapport à soi, alors que dans mon film c’est complètement le contraire. Elles parlent à tort et à travers mais il n’y a pas vraiment de poids dans ce qu’elles disent, et le rapport à soi est plus compliqué que le rapport aux autres. Je trouve que c’est très intéressant de voir nos deux personnalités parce que les films nous ressemblent énormément : dans Memory Lane on sent vraiment Mikhaël et dans mon film il y a beaucoup de moi, de mon rapport au monde et de mon langage."
(Billet rétro-publié le 30/08/2013.)