En 2010, il s'est passé un truc pas anodin pour MOIJE : des tas de salles se sont équipées pour la projection numérique. L'accélération du processus semble aussi liée à cette chère 3D. Quoi qu'il en soit, de plus en plus de films sont tournés en numérique, 3D ou pas : pas aberrant en soi, donc.
Ma première séance en numérique : Les Climats de Nuri Bilge Ceylan, en 2007. Ça s'était bien passé, même si un peu étrange, déstabilisant, ce froid… Mais le film était tourné comme ça, et je trouvais que ça lui allait plutôt. Il fallait simplement que mes yeux s'adaptent. Et puis, l'an passé : ça a commencé à être la panique !
2010. Quand le film a recommencé, j'ai réalisé que ça allait encore clocher : deuxième fois que j'essayais de regarder Les Moissons du ciel de Terrence Malick. Cette fois, ça n'allait pas parce que la projection était de trop mauvaise qualité, la salle minuscule et surtout pas assez obscure, le son épouvantable. Je me sentais con… Tout ça pour ça ?
A ma première tentative, j'étais redevenu un jeune homme fiévreux avant un rendez-vous qu'il veut croire prometteur : je ne connaissais rien du secret réalisateur et j'étais joyeux d'aller l'approcher au Max Linder… Et puis… je ne comprends pas la première image que je vois. Je la regarde. Elle m'agresse, ou pas : je m'agresse avec elle ? Quelque chose ne (me) va pas : qu'est-ce que c'est que cette image ? Alors, je crois comprendre et vois passer le film en état d'hébétude face à sa texture "dénaturée". Je ne sais pas si j'ai vu Les Moissons du ciel. Ce n'est pas une coquetterie. Ou je ne le crois pas… Il s'agissait bien d'une projection numérique : d'un film qui ne l'était pas. Est-ce que c'est grave ? Je deviens très vieux, ou un ayatollah dans son genre, et j'ai l'impression qu'il n'en est question nulle part : je n'ai rien lu à ce sujet.
Bien sûr, ça ne doit pas changer grand-chose à l'histoire, même au scénario, ou au jeu des acteurs, ou ce que tu veux… Et il n'est pas question d'être en soi "contre" le numérique ; j'ai éprouvé semblable malaise devant une projection analogique de Kaboom. Où étaient, par exemple, passées ses couleurs ?
Le seul film où je ne me suis pas étranglé : Copie conforme. Vu une fois dans chaque mode de projection : quelque part, cela lui va bien, la copie, l'original, tout ça, pour faire court. Une part du film me hante, et sa chair n'en finit pas de se dérober. Pourquoi pas ?
Peut-être que ça me passera ?… Mais d'ici là, il va me falloir penser à ça avant de choisir mon ciné, et bien faire gaffe aux salles car elles ne précisent pas/plus toujours leur mode de projection dans les programmes.
Impression qu'il faut gommer tout aspect sensoriel de la réception d'une œuvre pour que ces basculements, dans un sens ou dans l'autre encore une fois, se laissent oublier. Et je reste attaché au désir du réalisateur, à son choix.
Me passe par la tête une histoire où une force mystérieuse aurait enlevé ta nana ou ton mec, et t'informe à sa libération qu'un détail est comme différent, mais bon, au fond, tout est pareil, il ne faut pas être superficiel : on lui a juste changé la peau… Euh…