Le territoire des ***SPOILERS*** s'étend toujours...
Ce n'est pas l'envie de détester ce film qui me manque, mais quelque chose me retient de m'y laisser joyeusement aller. Tant mieux. Je préfère comme ça. Malgré tout. Malgré les dialogues consternants. Malgré l'imaginaire rance et incroyablement machiste - même pour une période réac' comme aujourd'hui ça détonne encore un peu, à ce point - autour d'une certaine idée de la "masculinité" (celle de livres d'images pour petits garçons d'aujourd'hui ou stars d'autrefois, dont Liam Neeson est comme le spectre têtu, mais pas plus), et donc de la "féminité". Malgré le puritanisme propre à cet imaginaire-là (ça aussi, ça marche bien avec Neeson, décidément parfait pour le rôle en ces sens). Malgré surtout diverses fascinations mal dégrossies mais bien là pour la souffrance, le chemin de croix à la con, la bestialité et une idéologie du dépassement de soi dans le "combat" qui doivent sans mal faire pleurer d'envie quelques nases nazis. Bonjour aussi la lourdeur de l'organisation du récit avec le "poème du père", on croit rêver à chaque rappel, le mec nous prend pour des poissons rouges. Bref, Joe Carnahan n'a pas, loin de là, une très haute idée de son spectateur. Mais j'abrège mes souffrance, et je passe...
Ou je recommence : disons que Joe Carnahan n'a peut-être pas une très haute idée de lui non plus (à ce titre, le commentaire du réal' en bonus DVD me paraît assez révélateur - son possible intérêt). Aussi : il ne méprise pas son spectateur. Ce serait un peu ce qui "sauve" le film : davantage celui d'un sincère abruti que d'un salaud sincère. Alors quelque chose peut passer, ça fonctionne - on dit comme ça -, et même un peu au-delà de la sauce divertissante : le film tient pas mal en haleine, fait un peu peur, bref tient déjà beaucoup plus son propre pari que la plupart des autres numéros un du box office US cette année, j'ai l'impression. Si l'imaginaire n'était pas si rance et réac', j'aurais sûrement pris un peu mon pied - on dit comme ça, aussi. Hormis l'intro : pas mal de choses efficaces, quelques trucs bien anxiogènes, pas forcément nouveaux mais qu'importe, qui font même oublier que les loups sont loupés visuellement (pas mal de gens gueulaient sur les singes de la planète, bizarre qu'on entende moins parler de ces loups à mon avis bien davantage ridicules). Et puis tout ça se prend les pieds dans le minimum syndical de "prétention" (ce qui se dégagerait ici de l'horizon de l'efficacité immédiate) que Carnahan s'autorise : toute son idéologie torve et macérante, et ses pseudos questionnements sur la foi, la pas foi, et surtout recopions bien tout trois fois.
Pourtant, je crois que je serai curieux de le revoir. En ayant fait mon deuil de tout ce qui me gonfle ou m'ennuie dans ce projet, en ayant dépassé le petit plaisir passif de m'être fait soufflé glacial dans le museau à s'en coller quelques frissons, et ne prêtant plus attention aux grands n'importe quoi des écritures : je crois qu'il va rester quelque chose, qui est déjà là par fragments, qui n'est pas tout à fait le film, sa volonté, mais qui le traverse, parfois l'habite. Quelque chose qui a à voir avec le tragique et un rapport à la mort (déjà, ça, un rapport à la mort, ça court pas le cinéma hollywoodien du moment, pas de manière aussi brutale bien que confuse). Il n'y a d'ailleurs en mon sens presque qu'une seule vraie belle scène dans ce film : le premier mec que l'on voit mourir, assisté par Neeson. C'est l'endroit du Territoire des loups où tout le monde a l'air d'être intensément à sa place et ensemble : même Neeson, même Carnahan, même MOIJE. Le reste n'est presque qu'une variation, plus ou moins faible, de cette scène originelle-là. MOIJE crois que la scène matricielle du film, c'est celle-là, tandis que Carnahan s'englue avec son poème.
Pour ça, peut-être, qu'il ne réussit pas si bien que ça la mort de Diaz. Il n'en fait qu'une étape de son programme, alors que c'est peut-être bien davantage son programme. Bien sûr, il y prête attention à cette étape, mais il ne l'épuise pas, elle reste soumise à la préservation de l'efficacité de ce qui doit continuer d'advenir. Hors, je reste plus intéressé par l'hypothèse que le vrai personnage central du film est bien Diaz (malgré son démarrage poussif, uniquement supportable grâce à l'honnêteté première de l'acteur qui fait bien avec). Celui de Neeson n'est que son fantasme, son rêve de surhomme, sa chimère au même prénom dotée d'un libre tout-à-l'égo asocial (dans une libération subie, ici, assumée coupablement : importance de l'humiliation et de la perte via les poids lourds du père et de l'épouse ; on n'est pas dans certaines fictions décomplexées de gangsters ou de cow-boys), le trip sur lequel toute la sensibilité et la confusion mentale (adolescentes ?) de Carnahan vient buter. L'avènement de l'alpha-male Carnachose n'est possible que dans l'anéantissement du programme réac' sur le couple et la paternité (les autres stéréotypes virils sous-écrits ne sont là que pour ultra-baliser ce chemin - et les comédiens ne sont pas en cause), ce qui rend in fine le parcours terriblement cohérent, et assez pathétique mais réellement mélancolique (la part réussie de la scène de la mort de Diaz). Car Diaz ne meurt pas par hasard au moment de sa vie où il a possiblement une compagne et où celle-ci est enceinte, tandis que Neeson est donc nécessairement affranchi de cette double contrainte (ce que le film ne manquera pas de fixer avec de gros clous ensuite, mais/et comme malgré lui). Comme si le vrai ressort de l'horreur était inconsciemment là. Alors, malgré tout, si ce type de désir ne m'intéresse ni ne me séduit, et si je ne sais pas vraiment le prendre au sérieux (pas dans un déploiement profondément pauvre et si souvent grotesque), sa radicalité mi-volontaire mais sincère jusqu'au bout me laisse face à quelque chose d'un peu différent qu'un simple film de plus.
PS : pour plus d'enthousiasme, il fait bon lire les Spectres, même si je trouve particulièrement ici que ça a davantage à voir avec le désir et l'intelligence des rédacteurs qu'avec, directement, le film lui-même.
(Billet retro-publié le 01/09/2012)