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4 août 2013 7 04 /08 /août /2013 23:10

 

 

Vivre dans la peur - Akira Kurosawa

 

 

 

"Ben je crois qu'il y a un espace qui est fou, de toutes façons, c'est l'espace, effectivement, entre la vérité et puis le mensonge... ce moment-là où on entend quelque chose qui sonne vraiment faux - qui ne sonne pas juste - et si on a dans l'autre oreille l'idée de quelque chose qui est juste, entre les deux y a quelque chose qui vraiment rend fou, enfin je crois. 

Et c'est vrai que la littérature est quand même l'endroit où ça peut être juste, l'endroit où ça... enfin, où : si ça sonne pas juste c'en est pas... et ça fait des entrechoquements avec tout ce qu'on entend en permanence et qui est de l'ordre du discours, mais qui est pas de l'ordre de la langue propre, enfin, qui est vraiment quelque chose de toujours entendu, qui est du recopiage, quoi, permanent... et ça c'est vrai que quand les deux se confrontent dans une même tête, y a quelque chose qui est... ben... c'est insupportable, en tout cas, vraiment insupportable." *


 

***SPOILERS***


 

C'est par là que le chemin du vieux Kiichi Nakajima me touche ; ce pourrait être ce que le Dr Harada finit par accepter (depuis le début, ça le chiffonne), et alors un psychiatre lui formule clairement sa propre interrogation : "Est-ce lui qui est fou, ou nous de rester impassibles dans un monde de folie ?". Dans la tête de Kiichi Nakajima, il y a cet entrechoquement entre la vérité de la menace, et ce qu'il entend dans l'autre oreille, rabâchée, la langue recopiée (recopiée par les médiateurs qui le mettent sous tutelle ALORS QUE les médecins l'ont reconnus comme étant "normal", mais qui recopient la langue des héritiers, la langue d'un conformisme social matérialiste - le film enregistre fréquemment les signes du devenir marchand et affairé du Japon d'après-guerre). 

 

Ce qui me touche, c'est de voir Nakajima ne sombrer véritablement dans la peur, physiquement, qu'une fois qu'il est mis sous tutelle (j'aime beaucoup le fait de faire résonner cet échange sur l'effroi dans un tunnel). De même, le dernier pallier vers, à proprement parler, la folie ne semble se franchir qu'une fois qu'il a supplié en vain sa famille de l'écouter. En cela, je trouve le film poignant, avec ses assauts émotionnels tardifs et ponctuels (la protection panique du bébé le soir d'orage, et la scène de supplication donc). 

 

Au fond, le film d'Akira Kurosawa ne me semble pas interroger véritablement autre chose que le "sommes-nous fous de rester impassibles dans un monde de folie ?" et les deux dernières scènes cognent très fort à cet endroit, interpellent avec fureur et glace. Il me semble que la force du film est là, et pas tant dans la possibilité du portrait d'un homme de plus en plus rongé par la peur.  

 

J'ai lu que Chronique d'un être vivant serait le titre le plus fidèle à celui d'origine. Cela ne m'étonnerait pas. Dire Vivre dans la peur, d'une certaine manière, c'est déjà prendre le point de vue de la majorité des enfants du vieux Kiichi Nakajima, le point de vue des "héritiers". Le film me semble plus révolté que ça. Plus précisément, le chemin du Dr Harada, le médiateur, qui hante le film comme notre relai ou média, commence en voulant quitter ce Vivre dans la peur pour arriver, mais trop tard, à la Chronique d'un être vivant. Vivre dans la peur, c'est l'erreur judiciaire dont il parle, celle à laquelle il craint d'avoir contribué. 

 

Il serait déraisonnable le vieux Kiichi Nakajima, dans ce film qui s'ouvre sur les gens raisonnables et pressés, si être raisonnable c'est accepter l'inacceptable en s'efforçant de l'oublier. Il ne serait plus tout à fait "adulte" : des gens se moquent de lui (la séquence dans la cellule) ou le tourmentent (l'acharnement amusé d'un de ses fils). Tutelle, donc. Et c'est un beau parcours peu fréquent que le film propose à notre propre regard : il ne nous est pas très sympathique au début, ce personnage péniblement buté, intransigeant et hostile au "tribunal" avec sa ribambelle d'enfants illégitimes. Il faudrait tenter de faire sa connaissance quand il devient étranger à ses propres enfants (mais pas tous). Alors, son "je ne veux pas être tué" pourrait résonner de manière vraiment déchirante à l'oreille qui lui serait tendue. 

 

 

 

 

* Christine Angot, un entretien de 1999 (à 43 minute dans cette vidéo)

 

 

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commentaires

B
<br /> Hum...<br /> <br /> <br /> (Bon courage, courage...)<br />
Répondre
D
<br /> <br /> Si je te suis bien (ça vire à l'abstrait quand même) : it might be not so bad to end... in a whisper ;-)<br /> <br /> <br /> <br />

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