Ce billet est un sequel de Scream : joyeux anniversaire…
Pourquoi cette idée de peur générationnelle a surgi en voulant souhaiter un bon anniversaire à Scream ?… La remarque de Fredogino m'a aidé à y voir plus clair. Je ne crois pas m'accrocher à tout prix, alors je me lance…
Je trouve que : Psychose, vraiment, ça m'a fait très très très très peur à la télé quand j'étais môme. Les Dents de la mer, aussi, sans doute. Les Oiseaux, sûrement, j'ai vu plus tard. Et en même temps...
Je vais faire un petit détour qui devrait m'aider : Les Frères Karamazov est un de mes livres préférés (de ceux qui feront le voyage sur l'île déserte). Lu deux fois à ce jour. Je vénère Dostoïevski. Pas tout lu, pas encore, loin de là, mais bon…. J'ai lu, par exemple, Crime et Châtiment et L'Idiot, et jusqu'ici tout va bien. J'admire Crime et châtiment *, je craque totalement pour L'Idiot. Bon. Les Possédés attendent chez moi, depuis quelques années déjà, je les lirai un jour : je vais certainement vénérer, j'ai l'amour inconditionnel. Je tiens à l'amour inconditionnel. Pas fanatique. Pas fan. Inconditionnel. J'y reviendrai peut-être. Bon. Quelques années que le livre poiraute. Quand le nouveau Bret Easton Ellis va sortir, autre exemple, je vais le lire aussi vite que possible : certitude. Dans mon panthéon personnel, Bret Easton Ellis n'est pourtant pas supérieur, même si je ne suis pas du genre à éviter toute hiérarchie : Tarkovski et Verhoeven, exemples toujours, je n'ai pas de scrupule à ne pas mettre au même niveau. Je suis un inconditionnel de Tarkovski et j'aime Verhoeven, mais bref… Peut-être que je trouve Dosto plus grand qu'Ellis, je ne sais pas, le contraire, non, j'en suis sûr, alors la raison du décalage précité serait quelque chose comme : le bonheur de la contemporanéïté.

Le "petit" raccourci, qui m'a fait sauter de "redoutablement intime" à "générationnel" dans le précédent article, pourrait se situer par là… Hors toute appréciation strictement critique, il y a… une forme de préférence, un amour particulier, une injustice donc en faveur du contemporain. En tout cas pour moi. Je ne dis pas tout le monde.
Mais je trouve que : ce n'est pas seulement réducteur. Je ne vois pas de contradictions, ou alors fructueuses, avec le fait de reconnaître une forme d'intemporalité et d'universalité dans les œuvres (cf scotch perso Dosto). Mais, pour faire très court, quand on vit un quotidien dont le squelette a intégré l'informatique, la vidéo, la surmédiatisation, internet ou encore la démocratisation / vulgarisation de la psychanalyse (qu'on y adhère ou non), exemples toujours, on n'est pas seulement dans l'anecdotique. Quand une œuvre comprend ça, elle a un impact particulier pour celui qui lui fait face. Tout cela interagit aussi avec notre intimité et la question peut devenir jusqu'à quel point, jusqu'à quel point ça génère du possible (et la forte reconnaissance d'une œuvre contemporaine) ou de la perte (et la forte reconnaissance d'une œuvre non strictement contemporaine).
Il n'est donc pas question de poser que Le Silence des Agneaux est un meilleur film que Shining ou Psychose. Mais le Silence des agneaux étaient méchamment synchrone avec moi alors ça m'a double méchamment scotché au fauteuil !

Mais… (non : j'ai pas fini, mais merci à ceux qui tiennent)… Là vient ma réflexion, encore bien courte, sur l'adolescence et la "maturité" de spectateur. Qu'est-ce qui peut faire que la terreur infligée par Psychose à ma cervelle de mioche retient finalement moins mon attention que Le Silence des agneaux ou Scream, au niveau de la peur ? En plus de la contemporanéïté…
A chacun son chemin : par exemple, moi, je viens d'assez loin… Dès ma première séance de cinéma, j'étais devenu accro. J'avais trois ans. Et pendant longtemps ce sont mes parents qui m'ont emmené au cinéma. Et pour eux, la salle de cinéma est avant tout un lieu de divertissement. On commence par là. Je ne dis pas tout le monde. Bref. Ici, c'est une question de temps et de naissance de l'amour. Parce qu'au départ, non : on ne peut pas dire amour. On peut dire accro, ou passion, ou ce que tu veux, mais pas amour. Je trouve que : aimer, c'est comprendre. Pas intellectuellement. Et paradoxalement ce n'est plus seulement projeter donc, mais voir : ce qui est projeté. Evidemment on projette toujours un peu, rien n'est pur, je passe. Quand on fait un chemin comme ça, vers un art, depuis l'ignorance la plus totale jusqu'à ce que l'on sent être de l'amour, et qu'on le fait assez seul, avec du temps, en voyant des films, en lisant des articles (de l'exposition des goûts et des couleurs jusqu'aux tentatives réellement critiques), et surtout, évidemment, en vivant, il y a donc quelque chose qui ressemble à :
- l'enfance : j'absorbe. Tout dans la tronche. C'est bien, sûrement ouvert, mais la conscience du cinéma en tant que tel n'existe pour ainsi dire pas : je veux dire que la peur inspiré par Psychose quand on est enfant n'est presque pas liée à sa nature d'œuvre cinématograhique, au plus près il y a le rapport à des images et une histoire, mais comme dans les contes, ou la télé en général, ou une photo, une BD.

- l'adolescence : prise de conscience du cinéma en tant que tel et là se dessine ce que j'appellerai mon système d'intolérance (va bien avec l'idée de ne pas tout foutre au même niveau). Tout art se découvre, et ça n'en finit pas. Je ne sais pas où j'en suis. Mais je sais où je n'en suis plus. Il y a les grands, il y a les lapins facétieux, qui peuvent très vite nous perdre. Tout le monde n'arrive pas par les mêmes chemins. Les lapins sont précieux même si pas forcément brillants. Parfois indispensables. Souvent, quand on vient de loin, la première approche du cinéma passe par une découverte formelle, je crois. Par exemple, moi, je pense que Greenaway à un moment, ça m'a fait prendre conscience d'un certain nombre de choses. Evidemment, on peut mourir là. Ou y agoniser. Mais si on ne fait que passer, ça peut-être précieux.
- la vie : oui, plutôt que la maturité, parce que ça vit, quoi, c'est pas figé. Enfin on espère. Autrement dit, soit je suis devenu un vieux con, soit il y a une dizaine d'années maintenant j'ai passé un cap. Voilà, perso, vers les 25 ans, je crois que je suis entré "dans la vie", en cinéma, même si ce n'était que le début, mais : les déplacements de réception d'une même œuvre depuis lors sont moins "radicaux" (ce serait à préciser, car ça n'est donc pas non plus statique).
Tout ça pour dire que : si peur générationnelle il y a, si point d'entrée il y a, il serait au plus tôt à l'adolescence (cinématographique donc). Le Silence des agneaux, moi, c'était pile dedans.

Et pour enfin finir !… Pourquoi donc un point de sortie ? Franchement, je ne suis pas sûr. Ce n'est qu'une hypothèse (le reste aussi, mais là c'est pire….). Peut-être que je vais avoir de monstrueuses chocottes un jour d'une manière totalement inédite. Pourquoi Scream reste, une impression particulière pour moi ?...
Quelques sentiments pas forcément contradictoires. C'est à cette période que j'ai quitté mon adolescence cinématographique. Evidemment, je ne l'ai su que rétrospectivement. Du coup, ça peut relever de quelque chose comme la perte d'une virginité. Le Silence des agneaux, c'était vraiment le cœur de l'adolescence cinématographique (ce qui ne veut rien dire en l'occurrence sur le film lui-même mais bien sur mon histoire).
Et puis, moins drôle, mais… c'est peut-être quand on entre dans la vie (parce qu'évidemment, dans mon cas, l'entrée dans la vie, et l'entrée dans la vie cinématographique sont parfaitement synchrones, tandis que je me sens très adolescent en arts plastiques, par exemple), allez disons le mot, la vie d'adulte, c'est peut-être précisément là que l'on commence à décrocher, que l'on commence à ne plus être soi-même… totalement contemporain. Je ne sais pas si ce que je dis est très con ou trop évident mais… Sans avoir du tout l'impression d'être à la masse et total largué, il ne me semblerait pas aberrant, même à pas encore trente-cinq ans, que l'extrême contemporanéïté du monde (qu'est-ce que je raconte ?) ne relève plus de ma génération, pas essentiellement, pas intimement… Il y aurait alors un point de sortie. Il y a des choses sur lesquels de plus jeunes gens flippent à mort aujourd'hui parce que ça dit des choses propres à leur quotidien que je ne soupçonne pas de l'intérieur. Même si je peux le lire ou réfléchir dessus, savoir que ça existe, c'est autre chose.

Bon. C'était quand même bien d'avoir été contemporain quelques jours. Le silence des Agneaux et Scream, ça me va. Ce n'est pas Psychose ou Shining, je sais bien. Mais quand même, oui, c'était bien. Non : c'est bien. Et j'ai encore peur. Alors, ça va.

* Ça n'a rien à voir, mais j'adore Babar, parenthèse donc : ce que j'adore notamment avec Crime et châtiment, c'est ce qu'en a dit Nathalie Sarraute. En résumé, après avoir écrit ça, Dostoïevski aurait pu, presque légitimement, se dire : "a y est ! j'ai fait mon chef d'œuvre, regardez comme il est beau, toute une vie pour arriver à ça, je ne pourrais pas aller plus loin". Sauf que non, il continue à vivre, il ne raccroche pas (et Manoel de Oliveira) et il fait Les Frères Karamazov. La fête, quoi. La vie en plein. On ne meurt qu'une fois, c'est entendu, mais pas avant, manifestement : c'est déjà pas si mal. Je retiens ça.
(Billet remis "au propre" le 23 février 2012)