Episode précédent : La Fille de mes rêves… ou Devenir une grande personne…
Le Mariage de Maria Braun sort sur les écrans, mais je suis loin de (pouvoir) le savoir. Ce sera bientôt l’année de Stalker mais j’ai une tente d’indien, un bac à sable dans le jardin - j’ignore encore la chance que c’est d’avoir un jardin -, et des voisines avec qui je m’amuse bien, et, parfois : je suis emmené au cinéma.
Voir de grandes personnes, d’un autre genre, un peu foufou, qui amuse. C’est rigolo. Je ris. J’adore. Ce n’est ni dangereux, ni attirant. Je vais de C’est pas moi c’est lui en Coup du parapluie, et le nom de Valérie Mairesse s’inscrit dans ma tête, ce qui m'offrira plus tard de troublantes retrouvailles avec Le Sacrifice... Bref, c’est vraiment Pierre Richard que j’ai préféré alors, et je crois, tout bêtement, parce que le contemporain, c’était lui. Il restait Louis de Funès, aussi, et ça sentait la fin.
Mais ce n’est pas ce qui m’étreint : Romy Schneider, Alain Delon, et surtout des films américains avec Cary Grant, Grace Kelly, Ava Garner ou Clark Gable ; eux, ils ne me lâchent pas, même si je ne fais parfois que les apercevoir de loin, la nuit. J’écoute parler des sorties de La Mort en direct (le titre me fascine et me terrifie à la fois) ou de La Banquière et je pense confusément que tous ces gens-là, au cinéma, sont dans des films de grandes personnes. Comme si ce que je voyais à la télé, c’était la part émergée de l’iceberg. Je rêve du jour où je verrai ces films-là. Il y a ce film aussi qui s’appelle Elephant Man et dont j’aperçois des images sans être sûr de ce que je vois …
Et finalement, c’est assez simple, cette première croyance d’enfant, ce tout petit renversement des mots, qui me fera marcher sur la tête longtemps : croire que les grandes personnes, ce sont des personnes GRANDES ! Alors, forcément, avoir tellement hâte de rejoindre cet endroit-là. Qui ressemble certainement à ce que j’en vois, bigger than life, je ne me doute de rien, puisque j’ai un jardin, que tout le monde autour a plutôt l’air de s’en sortir… Puisque papa et maman ressemblent tout à fait à ces gens sur l’écran… Et elle aussi… Mademoiselle…
Plus tard, quand des mamans disent « mon grand », c’est émouvant, là, ce petit mensonge, alors qu’elles savent... Et seulement là.
Heureusement, avant la chute : il y a Pif et Mickey, à croire que je n’avais déjà pas peur de me contredire. Trop sans doute, puisque c’est ainsi que je perdis ma bonne vue, à lire la nuit, ne dormant pas tôt déjà, avec ma lampe de poche, comme si mon lendemain dépendait de la suite des aventures d’Hercule et de Donald.
J’étais encore bien loin de la littérature. Mais j’éclatais de rire et papa et maman, ou maman et papa, débarquaient dans la chambre, s’écriant comment c’était possible que je n’ai pas encore compris que je m’arrachais les yeux.
Et la lampe de poche, dans le petit tiroir de la table de nuit, attendant là en cas de coupure d’électricité, disparaissait pour quelques jours.
Et il fallait lire à la lune…Ou fermer les yeux… Et revoir… Cary Grant, Ava Garner, Grace Kelly, Clark Gable… et… et mademoiselle… ?…
J’ai pas sommeil. Déjà. Pas la nuit… Je me souvenais très bien de l’annonce de la mort de la mère de mon grand-père maternel. La première fois que quelque chose comme ça était arrivé, comme c’était triste de ne plus la voir. Les grandes personnes s'en vont. Et ça a à voir avec leur secret. Après, c'était Claude François, ce type qui chantait et dansait des trucs joyeux à la télé et c’était presque plus étrange encore, ça avait quelque chose d’incroyable. Et puis là, maintenant, c'était au tour Alfred Hitchcock. Quelqu'un en noir et blanc. Je croyais qu'il était déjà parti. Il avait l'air d'avoir un secret très grand, même si je ne le trouvais ni attirant, ni fascinant. Mais des histoires qu'il racontait, et des films où il y avait son nom, si.