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11 novembre 2011 5 11 /11 /novembre /2011 01:45


Habemus Papam - Nanni Moretti


En revoyant Habemus Papam, je m'amusais soudain d'y trouver une manière inattendue d'embrasser (même si du bout des lèvres, et avec espièglerie) le film d'horreur (sans oublier que je n'y connais rien aux "genres"). Quelque chose au Vatican aurait à voir avec la maison hantée - un des dérèglements initiaux est une panne de courant, funeste et classique présage, plongeant une première fois le Vatican dans les ténèbres -, ou le film de fantôme(s) via ce spectre que devient le pape, que l'on tentera même d'incarner par jeux d'ombres et de rideaux. Et puis, peut-être, le film a comme un parcours de train fantôme plutôt joyeux, avec les pérégrinations de Piccoli-Melville qui se cherche dans la ville, Melville enfermé dehors, au dehors de lui, dépossédé… peut-être que c'est une dépossession… il faut l'inorciser !

Plus sérieusement, à l'annonce des résultats de son élection, les autres cardinaux convergent vers le nouveau pape, qui ne fait donc plus partie d'eux maintenant tant bien même il partage encore leur tenue, et c'est bien l'horreur de cette "exclusion"-là qui semble monter. Le motif revient un peu plus tard quand tous s'approchent à nouveau de lui (peut-être après qu'il se soit échappé) et me rappelle alors fortement des body snatchers encerclant quelqu'un, mais pour ainsi dire en pire, puisque les mêmes codes de mouvement conduisent ici l'individu cerné à réaliser que le body snatcher, c'est lui (les autres cardinaux n'ont pas changé, c'est son corps à lui qui est investi).
 
Je me souviens aussi comme le cri terrible de Melville, qui coupe court à sa présentation officielle, ne me saisit pas tant par un côté animal que par un côté "bébé qui naît", avec sa peur et/ou son désarroi propre... Je ressens encore l'effroi qui règne dans la scène de recul sur le balcon, avec les seuls rideaux flottants pour vrais témoins du massacre. Le recul ne serait pas différent face à un monstre surgi soudain et que l'on commencerait juste à reconnaître comme tel… Je repense même aux cauchemars du cardinal qui prend pourtant des tranquillisants diablement puissants, qui appelle sa mère en dormant, et c'est amusant, mais pas seulement.

 

 

 

Habemus Papam - Nanni Moretti (02) 



Voilà bien de petites élucubrations qui semblent peut-être tirées par les cheveux tant le film est lumineux, léger, drôle et plutôt chaleureux dans sa forme, et dans son ton. Mais cette joyeuse humeur à suivre l'œuvre, pour peu qu'on y adhère, n'empêche pas la peur d'être le principal moteur de la fiction ou des personnages. Il y a bien sûr celle qui tenaille les cardinaux (passée celle d'être élu) face à la situation, à son risque, à son inenvisageable issue, mais surtout, je crois : il y a celle de Melville, la peur de l'imposture (j'ai envie de dire " la belle imposture ").

[Et nunc habemus ***SPOILERS***]

C'est pourquoi je trouve que l'idée de situer en désir premier de Melville l'envie d'être comédien est belle : c'est peut-être sur cette condition-là (la condition d'être comédien) que la peur de l'imposture est la plus essentielle, consubstantielle. Là, je me dis aussi qu'il faudrait que je lise Le Paradoxe du comédien de Diderot, rêvant que c'est de cela dont il s'agit, je n'en sais rien. Je pense simplement à ce paradoxe apparent de cette peur de l'imposture du comédien qui passe (historiquement du moins car ce n'est plus nécessairement si vrai) par le propre de l'imposteur : mettre un masque. Cette "autre" imposture, celle de l'imposteur (celle du Meek de Kelly Reichardt), parcourt également le film. C'est pourquoi j'aime tant aussi la séquence télévisée à laquelle assistent Melville et la troupe de théâtre : celle de l'homme démasqué en ce qu'il prétendait avoir quelque chose à dire… et rien. Et c'est tout l'humour de cette scène de nous montrer l'embarras, et presque la solidarité du journaliste avec sa soudaine victime, nous rappelant alors combien la télévision n'est surtout, surtout, pas là pour démasquer ! Alors c'est sur les fils ténus et entremêlés des impostures que tout le film semble courir, en funambule incroyablement gracieux, et déjouant les cynismes, jusqu'à l'étourdissement que provoque la scène de la première révélation publique que Melville est le pape : cette scène dans un théâtre, ou le spectacle doit s'interrompre car il est bel et bien dans la salle, où il s'agit de faire cesser l'imposture de quelqu'un qui se prétend civil alors qu'il ne l'est plus, scène étonnante de douceur et de violence profonde du dévoilement ; ce n'aurait pas été rien déjà, pour MOIJE, si le film s'était arrêté là.

Mais s'il en est fini des impostures et des peurs, le film n'a encore rendu ni l'âme, ni les armes, et c'est un comble de l'intelligence de Moretti que d'avoir trouvé le chemin possible pour sa fin extra-ordinaire, portée par un Michel Piccoli extra-ordinaire, de l'accomplir sans le faire contre son personnage, sans l'exploiter bêtement. Il fallait que l'inouï soit rendu possible de son point de vue aussi, et sans lâcheté : et tandis que cet homme, à nouveau homme, aura suivi l'encouragement d'exposer (et publiquement) ses blessures à son Dieu, nous voilà encore émus pour lui et enfin sidérés par l'horreur révélée du pouvoir dans toute sa nudité, cette horreur dont plus personne ou presque ne semble vouloir nous entretenir. 

 

 

 

Michel Piccoli - Habemus Papam - Nanni Moretti (04)

 

 

 

PS : et voilà l'ami Eeguab, Morettiste s'il en est, qui publie également aujourd'hui son billet sur Habemus Papam. Je savais ce que représentait le 6 6 6, et m'interroge maintenant sur le 11 11 11 !

 

 


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22 août 2011 1 22 /08 /août /2011 23:30


Ludwig - Luchino Visconti

 
Le chagrin d'un regard où luit encore une braise de joie : elle ne cesse de le creuser, le fond de l'œil se consume de plus en plus profond ; le visage s'oblique.

Et je n'ai pas envie d'écrire sur Ludwig, mais… Je n'avais jamais vu ce film de Visconti, comme quelques autres encore, jusqu'à cette reprise du mois d'août. Je ne sais de l'histoire de Louis II de Bavière que quelques échos flous et lointains toujours associés à d'autres noms, et dans le même mouvement ce nom existe pourtant, un peu mystérieux ; je pensais que j'irai lire un jour à son propos…

J'irai lire un jour. Là, il s'agit d'autre chose, et cela (me) fait du bien, que d'un biopic de Louis II de Bavière : Visconti peint, par blocs (faute d'un meilleur terme) libres de transitions mais lacérés par les témoignages face caméra, un portrait de plus en plus vertigineux de Ludwig. Mais je n'ai pas envie d'écrire sur Ludwig, même pas sur la post-synchronisation, son déport vers l'italien pour de nombreux interprètes, la table d'un repas qui disparaît comme dans une trappe de théâtre, une impératrice dans un cirque qui fait marcher son cheval de côté, toutes ces choses qui tendent à…

Et j'ai vu le film deux fois cette semaine, à des horaires que j'évite d'ordinaire scrupuleusement pour risque d'affluence, et dans une bonne salle il me semble : il y avait si peu de gens, et encore moins de plus jeunes que moi. Les nuits en extérieurs dans ce film ! Ce n'était pas comme ça quand j'étais plus jeune moi-même : ce n'est pas si loin, je m'en souviens bien. Mais je reste dans la joie que le temps pris cette semaine en compagnie d'un tel travail m'a insufflé.

Ludwig se cravache à la spectaculaire beauté de l'amazone autrichienne. Ludwig étreint le grand fou dans la petite chambre. Ludwig braconne des éclats nus et lunaires de jeunesse virile. Ludwig enlise le regard qu'on lui porte, tel un Midas qui transformerait tout en ombre. Ludwig me hante.


 
Visonti - Ludwig


Un extrait que j'aime beaucoup du dossier de presse pour cette reprise :


"La magnifique réussite du film est indissociable de son interprète. Helmut Berger trouve ici bien plus qu'un personnage : Ludwig est tout simplement le rôle de sa vie. Il y a quelque chose de miraculeux dans la façon dont Visconti suscite l'identification. Berger est Ludwig, jusqu'au bout des ongles et le restera, comme une illustration indépassable, comme une projection si parfaite qu'elle se superpose au modèle, indélébile. On reste muet devant le bonheur d'inspiration - qu'il n'a plus retrouvé depuis - dont fait preuve le comédien pour exprimer la moindre nuance de l'égarement du roi sans jamais rien perdre de sa force intérieure, de son autorité. La métamorphose physique d'une vieillesse prématurée, les outrances, les moments d'absence, tout cela est rendu avec une grâce proprement shakespearienne qui ne tient pas pour peu au génie d'un acteur n'ayant pas hésité à se consumer lui-même dans l'affaire. Je n'en finirais pas d'énumérer les instants de pure magie qui ponctuent le film, la magnifique scène du couronnement ou le monologue de Durkheim, sommet d'un dialogue constamment remarquable. La visite des châteaux déserts, inutiles, par Elisabeth, est un autre moment d'anthologie, de même le voyage avec l'acteur Kainz. Mais le film de Visconti est tout aussi audacieux par ce qu'il choisit de ne pas montrer que pas ce qu'il dévoile. Tout est vu pas le prisme de Ludwig et par lui seul."
Olivier Assayas. Cahiers du Cinéma 1983.
 

 

 

Ludwig - Luchino Visconti

 


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14 août 2011 7 14 /08 /août /2011 00:00


Vincent Lindon - Pater - Alain Cavalier

 
Etrange comme de nombreux textes - surtout dans les médias - sur ce dernier film d'Alain Cavalier placent en argument de vente la nouveauté. J'ai peut-être tort mais le côté "on n'a jamais vu ça" ne me semble pas juste. Est-ce qu'il est seulement vrai ?... En fait, je ne sais pas, ça ne me vient pas : un autre exemple... Peut-être que c'est nouveau dans les multiplexes, mais j'ai peine à le croire. L'idée est tellement là, me semble tellement ne pas dater d'hier… Au moins dans les années soixante-dix... Peut-être pas dans les grands médias ?

Je n'écris pas ça du tout pour dénigrer le film de Cavalier que je trouve très bien, qui me plaît beaucoup, et avec lequel j'ai passé un moment amusant, et vif. Mais c'est dommage d'en vanter la nouveauté comme atout, parce que son atout, sa vraie force, me semble sa belle fluidité, soit la réussite de ce type de pari en quelque sorte... Et sans doute de pousser le système (basculement incessant entre "fiction" et "documentaire") vers un de ses horizons en dénudant un rapport réalisateur/acteur.

Cela dit, j'avoue aussi que je ne partage pas l'idée d'un indécidable traversant des plans : je n'ai pas du tout l'impression de ne pas savoir parfois si je suis face au jeu président/premier ministre ou face aux deux complices et amis. Simplement, la porosité est extrême, remarquable, particulièrement remarquable jusqu'à cette permanence des tics de Vincent Lindon, symptôme patent de la rare zone de jeu où il se risque avec Cavalier, car il n'est pas question de douter qu'il joue, et cette zone-là, que je peinerais à définir, est bien celle que je préfère : celle suffisamment éloignée des Actors Studio et consorts pour que quelque chose vacille (comme le feu). Beau paradoxe du visage des comédiens avec Vincent Lindon : si nu, si vêtu.

Bref, bref, bref : très belle porosité des plans de différents régimes, et l'air de rien, tranquille et le sourire en coin, ça oui. Mais pour l'indécidable, l'inouï resterait par exemple du côté de Copie Conforme, autrement plus vertigineux (alors même que les deux régimes ne sont pas tant liés au film lui-même qu'aux deux personnages fictifs qui l'habitent ; à voir d'ailleurs comme les deux personnages deviennent alors possiblement tour à tour réalisateur et acteur de l'autre, une fois le catalyseur - la veille dame - passé).

Mais assez élucubré sur ce film où tout a déjà été écrit, on dit comme ça, et où je préfère laisser le mot de la fin à Buster : j'aurais bien aimé écrire la dernière phrase de son billet.

 

 

 

 

PS : deux entretiens que j'aime :

              * avec Alain Cavalier, par JLK :
   " -  La question du pouvoir revient en force avec Pater…
     -  Oui, et la réflexion sur le pouvoir  ne m'a jamais quitté à vrai dire. Comme mon père était un haut fonctionnaire, j'ai su tout petit, en écoutant ce qui se disait à table, ce que c'est que le pouvoir. Mon père était très fier du sien, auquel j'ai bientôt échappé, mais le phénomène du pouvoir ne m'a pas moins toujours intéressé, et dans toutes ses manifestations, qui peuvent être aussi celles d'un metteur en scène de cinéma ou d'un artiste quelconque qui peut enthousiasmer, tromper, manipuler... Or j'ai renoncé à ce pouvoir depuis quinze ans puisque je tourne seul. "

              * avec Vincent Lindon, dans Libé :
     " Ça devenait très naturel, ce jeu entre la vie et le film. Parfois je vérifiais pour lui les signaux du son, il ajustait son cadre. Et allez, on filmait… Rien n'était écrit, aucun dialogue à apprendre. Et une seule prise ! A chaque fois, une seule prise ! C'est un film où je n'ai jamais entendu les mots "moteur", "action", "on la refait"… C'est inouï... "

 

 

PPS du 16 août : j'aime beaucoup le ton du billet de Neil sur Pater.

 

 

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30 avril 2011 6 30 /04 /avril /2011 21:59

 

Après un premier billet évoquant une rencontre autour du film...


 

 

Le Val Abraham - Manoel de Oliveira


D'une nuit sur la ville à la nuit dans une chambre (et sur la pellicule), et des lumières devant les yeux ouverts jusqu'à celles derrière les yeux clos… Manoel de Oliveira avait réalisé Un Film parlé, titre planant sur toute son œuvre ; Un Film rêvé pourrait compléter le titre d'au moins celui-ci.

L'étrange affaire Angélica s'ouvre sur les lumières nocturnes de Peso da Régua : une ville comme une frontière imaginaire posée contre le Douro. En aval, le fleuve conduit à la ville de Porto (1) ; en amont, il laisse se déployer totalement, le long de ses rives, les vignes du vin dit de Porto. Cet amont-là, dans mon souvenir de la filmographie d'Oliveira : ce sont les terres du Val Abraham, les terres d'autres rêves et d'un autre départ (bovaryens alors).

Dans une rue, une voiture s'arrête, attend, venue solliciter un homme absent, un photographe, disons : le professionnel de la ville. Il faudra aller chercher, dans l'urgence, un amateur - on dit comme ça -,  possibilité que le hasard d'une rencontre entre deux parapluies patients aura permis (2). Tandis que nous ne saurons plus rien de l'homme qui a pignon sur rue, et dont la vie poursuivra certainement son cours habituel, nous accompagnerons celui retiré dans la chambre d'une pensão alors qu'il commencera, pour de bon, à s'absenter. 

La chambre de cet homme, Isaac, nous révèle (ou rappelle) une autre frontière dessinée sur la ville par le fleuve : d'un côté de sa rive, le plan inaugural nous aura montré le cœur urbain ramassé ; sur l'autre, celui que nous apercevons depuis la chambre d'Isaac, règnent les terres agricoles. (3)

D'un côté, le cœur urbain disparaîtra très vite de la vie d'Isaac, aperçu en simple image humide (comme dans un processus de développement photographique, ou l'inverse, pour lui), s'éloignant à travers la vitre de la voiture qui le conduit à son sort. De l'autre, c'est un décor peint qui nous montre l'horizon. Entre ces deux images, Isaac viendra suspendre les siennes, ses photographies, au cœur de sa chambre, ou plutôt à la lisière de celle-ci. Tout tend à la frontière, et tout tend au passage…. Celui d'Isaac, celui de sa chambre, comme passée de labo photo à chambre noire, et Isaac tombe/s'envole (dehors et) dedans.

 

 

 

L'Etrange affaire Angélica - Manoel de Oliveira

 

 

 

Je ne sais pas ce qu'est la nuit, ou ce qu'est très exactement une chambre noire, encore moins le cinéma. Ça, je le sais de moins en moins, peut-être parce que j'ai l'impression de l'aimer de plus en plus et parce que je l'aime "mal". Mais peut-être qu'Isaac aime "mal" aussi. Disons qu'à sa manière il aime à mort (3), comme, à sa manière, Emma du Val Abraham, chacun dans ses rêves, et peut-être pas seulement ceux que l'on subit, mais ceux que l'on préserve voire que l'on crée : pour étancher sa soif d'enchantement et/ou d'absolu, pour reprendre les termes d'Isaac, consumant sa cigarette et observant sa fumée s'évanouir (ce plan, sa lumière !). Les vignes y aident peut-être. Peut-être les rives du Douro sont un bien bel endroit pour concilier puissance de la terre, et terre à chimères, et vie et mort, etc.

Alors il est une fois une jeune femme très belle. Et elle sourit. Et elle est morte.

Quand Isaac la rencontre, belle toujours au milieu des ombres qui la veillent, elle reposerait presque encore sur la grande frontière, entre la vie et la mort, juste avant de retourner à la terre. Ou de s'envoler. Comme une innocence qui retrouve ses terres sur un visage, plus aisément encore parce que la défunte est jeune, et que son corps ne porte aucune trace de souffrances ou de vieillissement. On peut y croire. Et le visage vierge (comme la page, j'entends) permet toutes les projections, et alors, aisément si la beauté s'en mêle, pourquoi pas celle de la passion. 

Isaac tombe amoureux, et c'est une belle chose que d'en incarner un instant la part d'effroi. Le temps du film est celui qui sépare encore cet instant de celui où l'effondrement s'actualise physiquement. Isaac finira, nécessairement, par y courir.

Il y a quelque chose comme ça, de très mortifère, dans le dernier film d'Oliveira. Mais s'y déroule dans le même mouvement tout le contraire : la force de vie de l'acte créatif. Envers et contre tout. Un enfantement. Le film préservera sa double quête jusqu'à la fin, jusqu'à extinction des feux, peut-être au-delà.



L'Etrange affaire Angélica - Manoel de Oliveira


L'étrange force du film est aussi d'enchanter le chemin d'Isaac, alors que celui-ci ne peut, narrativement, en restant honnête, qu'être extrêmement simple, sans alternative. J'aime beaucoup comme Erwan parle de la distribution des lieux, du fait que chacun a sa place dans le monde, sauf Isaac, qui ne cesse d'aller d'un endroit à l'autre, d'une rive à l'autre, etc… Et cela me fait penser aussi à cette conversation autour d'un pont qui ne sera finalement pas construit. Isaac continue de circuler - ou le tente (quand bien même il y serait condamné) - dans un monde où ça ne circule plus, où chacun est vissé à sa place, dans tous les sens du terme. Mais dans le même temps, et c'est un de ses vertiges, Isaac ne ferait que déplacer sa chambre avec lui, partout ; Isaac et la tortue, Isaac est la tortue. Et la puissance du cadre, l'extrême tension des plans (4), exacerbées dans son petit logis, s'ancreraient de plus en plus profondément partout où il va, en particulier dans la Quinta où il rencontra Angelica : ainsi ce plan, magnifique aussi je trouve, parachevé par le bocal au poisson couleur de fruits d'orangers, petit bain de développement où le réel s'inverse. 

Alors se multiplient les rimes, entre fenêtre, portes, embrasures, miroir (légèrement déformant), nourrissant le leitmotiv du passage, rendu d'autant plus obsédant par la fixité des plans. Et quand, tout à coup, la caméra se fait elle-même mouvement, les plans et Isaac entrent en éruption : le travelling latéral sur les photos, ou le moment fou où Isaac photographie la terre, battue par la machine, et peut-être nous aussi. Ces plans dialogueraient également avec une promenade terminale sous des orangers, ou une arrivée à Venise depuis un lit de mourante dans Le Miroir magique

Cela dit, la forme de sidération que j'éprouve régulièrement devant des plans d'Oliveira n'est pas nécessairement liée à la mise en mouvement de la caméra elle-même (5). Le mouvement extrême au sein du champ, qu'enregistre la caméra, presque sans ciller, accentue différemment le bouleversement ou l'achèvement à l'œuvre : la désarticulation finale d'une jeune fille blonde ailleurs, le détachement d'une âme ici.

Bref, j'ai peu à dire, et tout a déjà été écrit. Mais j'aime songer encore quelques lignes... à une fleur qui m'a cueilli au sein d'images déjà stupéfiantes de beauté souriante... au drôle de trio progressif d'un oiseau, d'un chat et d'un chien... à une chanson qui rythme le temps du travail et l'aide aussi à passer... au son d'un camion qui rattache violemment le contemporain à l'intemporel (ou presque) en même temps qu'il nous en arracherait... à tant de choses en fait, jusqu'à la dualité matériel/immatériel des images et singulièrement celles du cinéma... jusqu'à ce que cette dualité gagne un corps (6)

... jusqu'à tous les fantômes. Et depuis eux.

 

 

 

L'Etrange affaire Angélica - Manoel de Oliveira (02)

 

 

 

(1) Vieil adage portugais : Lisbonne s'amuse, Coimbra chante, Braga prie et Porto travaille.

(2) J'aime beaucoup cette scène où le temps pris permet à quelque chose d'advenir, comment l'homme qui marchait écoute et intervient à la fin de l'échange, comment la femme au balcon attend à son tour que la discussion arrive à son terme, le tout sous la pluie.  Là commence à se jouer, depuis la politesse, les oscillations d'une membrane très perméable séparant l'attention de la surveillance qui s'amplifieront au cœur de la pension et des sollicitudes de sa maîtresse.

(3) Je n'ai pas encore retrouvé la référence de ces propos du cinéaste : "L'amour est abstrait et absolu. C'est-à-dire, la vraie passion entre deux êtres est si violente qu'elle ne les laisse même pas avoir d'enfants. Ceux-ci représenteraient une distraction face à l'amour absolu. L'amour absolu est le désir de l'androgynie, l'envie de deux êtres de s'unir en un seul. C'est un désir impossible mais réel. Tout est violent ici, c'est un film extrêmement violent. C'est une violence beaucoup plus grande que celle de mes films de guerre, où la violence est plus ou moins calculée : elle est réelle, elle tue. C'est une violence de l'individu, de la personne.". Je me souviens que c'est dans Le Val Abraham que l'histoire de l'Androgyne est contée, ce qui renvoie aussi à la dimension profondément asociale de la passion, comme d'autres formes d'amour et/ou de désir.

(4) La puissance des cadrages et des plans fixes, sans véritablement comparer, m'évoque celle de Pedro Costa : tout autre chose dans les deux cas que le "au cordeau", souvent plus démonstratif et esthétisant. J'ai régulièrement l'impression qu'il y a des rapports très forts entre les deux réalisateurs, des rapports à la fois étroits et très opposés, par exemple aussi dans le fait de filmer la parole comme un acte. Je crois que cela dépasse la simple perspective d'un français face à deux réalisateurs portugais.

(5) "Je n'ai pas besoin de ces films qui contiennent 400 plans, avec un montage frénétique et une caméra agitée. L'autre soir, j'ai vu un film de Manoel de Oliveira, Douro, Faina Fluvial. Il y avait peu de dialogues, l'histoire pouvait se comprendre par le seul enchaînement des plans. C'est en voyant de tels films que l'on se rend compte de la puissance d'un plan de cinéma. Quand on repense aux films de John Ford, on ne se souvient pas tellement des bagarres, on se souvient des plans : par exemple, Henry Fonda dans La Poursuite infernale croisant et décroisant ses jambes sur son balcon avec Monument Valley en toile de fond ; ou John Wayne s'éloignant dans le cadre de la porte à la fin de La Prisonnière du désert. Ce sont des détails de ce genre, très simples, qui marquent durablement le spectateur. Aujourd'hui, il y a cette tendance à en mettre plein la vue. L'équipement est plus sophistiqué, plus léger, plus rapide, alors on en profite, souvent trop.". C'est Clint Eastwood qui parle, dont l'Au-delà n'est pas étranger à une tentative de réenchantement d'un monde par ailleurs insondablement noir.

(6) J'irais bien revoir du côté du silence des hallucinés de Kioyoshi Kurosawa ou de celui de leurs fantômes, et parfois même, l'évanouissement des couleurs.

 

 

 

Singularités d'une jeune fille blonde - Manoel de Oliveira



 
   

PS : comme je ne connais rien au judaïsme, et presque rien à l'histoire du judaïsme au Portugal, ce n'est pas un aspect du film que je perçois intimement, malgré son importance évidente. Il en est notamment précisément question dans ce post.

 

PPS : sans oublier ce billet de Buster, je suis très tenté de finir en passant par là



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30 mars 2011 3 30 /03 /mars /2011 23:36

 

Foster Child - Brillante Mendoza

 

 

 

Je recommence… et par ce qui m'a d'abord impressionné dans le film : les deux traversées du bidonville (cf le billet d'Asketoner). La première nous y introduit en suivant les pas de Miss Bianca - la responsable des placements d'orphelins -, la seconde, dans son cheminement opposé, nous fait y entrer, pour de bon. La force qui se dégage de chacun de ses deux trajets (1) et de leur mise en rapport, de ce passage d'une ingérence à une participation (via une séquence un peu plus découpée, créant de micro-ellipses (2) ouvertes aussi sur d'autres histoires, leur devenir propre, non plus seulement réduites au périmètre de l'efficiency de Miss Bianca), achève de nous amener à marcher aux côtés de Thelma, maman "professionnelle" en charge de John John depuis trois ans, sans nous laisser oublier de quel côté de la frontière du ghetto nous, spectateurs, venons sans doute.


L'effet d'inscription dans les lieux qui se joue alors pour le spectateur, comme en écho avec la remarquable capacité qu'ont Mendoza et ses équipes de s'y fondre, me semble plus mystérieux et plus profond que les stricts effets de reconnaissance (de personnages, d'une couleur, d'une musique,…) : dans la foison des petites différences (de ce qui est montré, et dans la manière de le faire) tiendrait l'ancrage progressif de la perception ("nourrissant" alors les liens entre les deux moments, aussitôt qu'elle les distingue).


Sans être stricto sensu un plan-séquence, le premier trajet rappelle le brio qui leur est souvent propre (et même si le hasard y délivre sans doute ses grâces, je vois une intuition saisissante du cadrage et de la beauté fugitive dans le mouvement chez Mendoza), et qui est ici dépassé, comme rarement, par la circulation incessante des corps, d'autres corps irréductibles à la fiction développée.


Cette circulation des corps accompagne le film et donne lieu à une orchestration ou une captation assez extraordinaire des arrière- (le plus souvent) ou avant-plans, dans les rues ou les intérieurs aperçus : très focalisée sur une personne ou deux, et sur leur lien, l'œuvre reste intensément vibrante de leur(s) environnement(s) physique(s). Je pense par exemple, outre les traversées, à la scène de la toilette de l'enfant, ou au dialogue Bianca/Thelma devant chez celle-ci. Et j'aime comme les rapports créés ne relèvent pas que de "profondeurs" horizontales, mais aussi d'approches plus verticales :
les échanges depuis les toits, de près ou de loin. Enfin, la promiscuité exacerbée n'est pas seulement donnée à voir comme étouffement, mais comme profusion des possibles : il suffit qu'un personnage change l'orientation de son corps, ou qu'un recadrage révèle un hors-champ contigu, pour que surgisse une autre histoire, une autre humeur, une autre énergie, re-fécondant le plan. les ***SPOILERS*** ne manqueront pas.

 

 

 

Foster Child - Brillante Mendoza

 

 

 

 Bref, je suis bluffé… total - on dit comme ça -, et très ému. Et le tout plutôt fait l'air de rien, ou l'air léger, et je ne sais pas à quoi ça tient, mais pas : "vous allez voir ce que vous allez voir", comme souvent. Air léger qui n'a pas déserté la fiction : quand Thelma s'absente quelques instants après avoir fini la toilette de John John (et à ce stade-là du film, nous avons déjà (re)pris conscience de toute l'énergie que demande un petit enfant), celui-ci s'élance nu vers une partie de basket, au milieu de la poussière volante de la terre battue du sol ; et je trouve bienvenue la manière dont Thelma le rejoint, et lance le ballon de basket avec lui, avant de devoir le rincer de nouveau.


Pour autant et plus généralement, je garde des réserves envers l'écriture et les ressorts fictionnels des scénarios de Brillante Mendoza (3), contrairement à sa puissance de mise en scène ("puissance de feu" me passe par la tête). Les voies qu'il emprunte peuvent rester assez convenues, et les démonstrations pèsent parfois un peu trop : ce qui me rend John John plus totalement aimable pourrait relever de l'épure et la simplicité de sa ligne.


Surtout : l' "exposé" à l'œuvre ici (sur les rapports néo-coloniaux, etc.) n'assujettit pas pour autant ce qui nous parvient du foyer de Thelma. Le traitement des personnages qui le composent et de leurs liens reste ouvert et concret à la fois : voir le départ du père le matin, le cadet qui cuisine, l'aîné avec le chiot (et son : "pourquoi tu ne grandis pas ?").


L'écriture m'emporte ici aussi dans son travail sur la différence de rapport au présent entre Miss Bianca et Thelma, également servie par le travail des actrices : Miss Bianca tend toujours à  l'instant d'après, dans une forme de fuite en avant qui n'est pas sans rappeler les mécanismes de croyances en la croissance ; Thelma, elle, via ses (inter)actions continues avec John John tend à démultiplier l'instant présent (et sans doute a-t-elle particulièrement besoin, ce jour-là, de l'épuiser). Deux rythmes très distincts sont alors générés tant bien même les vitesses seraient souvent très proches : différence qui m'apparaît rarement palpable autant qu'ici.

 

 

Foster Child - Brillante Mendoza 

 

Le point de divorce le plus net, à mes yeux, entre la force du scénario et celles de la mise en scène et des interprètes - et les ***SPOILERS*** vont reprendre leurs droits - est celle du pré-finale du film, avec la famille américaine. L'évitement ultime d'une programmatique un peu trop raide doit beaucoup au comédien qui incarne le père, à la complexité de son jeu (voir notamment les malaises qu'il relaie jusqu'au changement final de sa démarche, soudain soulagée, aperçue dans le miroir de la porte de l'ascenseur qui se referme sur Thelma).


Cela dit, la séquence est loin d'être réductible à son discours, et, par exemple, joue assez pertinemment, je trouve, de ce travers plutôt typiquement états-unien (au moins d'origine) qu'est cette singulière horreur souriante des rapports ("Have a great life"), qui me rappelle ce que j'ai cru apercevoir
dans Rachel Getting Married condition de ne pas prendre la narration au tout premier degré, comme la quasi-totalité des textes que j'ai pu lire à son sujet, et d'acter que le personnage incarné par Anne Hathaway est le relais de notre regard dans ce film, comme ici Thelma). Bien aimé aussi le moment où John John pisse sur le père, plutôt ambivalent puisqu'il l'avait également fait avec le mari de Thelma, son père "précédent", le matin même. L'accident de la douche aussi trouve sa rémission dans son écho avec la toilette du matin : un peu comme approcher une dernière fois ce rite quotidien. Et puis, juste après : le très beau fracas du silence qui advient (urbain et nocturne), après tout un film assez saturé au niveau sonore (même si ce n'est pas Serbis) quand John John dort une dernière fois dans les bras de Thelma ; comment ce plan se pose aussi, comment il dure, et parvient à reprendre après le passage de Miss Bianca...


Enfin, je suis assez partisan du rapport à John John, le petit garçon lui-même, que le film entretient : point de convergence de tous les autres personnages "principaux", le ressenti du petit garçon nous reste assez mystérieux. Cette opacité relative n'est pas forcée, le petit garçon n'est pas absent aux autres (voir la
belle étreinte soudaine de John John envers son frère). Comment John John vit-il ce temps d'un lien défait ? C'est un secret que le film, mené par d'autres moteurs, aurait certainement eu grand tort de traiter par-dessus la jambe, d'autant qu'il puise aussi sa force dans cette énigme préservée. Un lien défait, c'est aussi ce que je ne peux m'empêcher de ressentir quand le dernier plan se déploie, dans cette caméra soudain immobile, alors que Thelma s'éloigne dans l'escalier, et que tout à coup nous ne pouvons plus la suivre, nous ne marchons plus à ses côtés : déchirement violent qui advient, et sans  esbroufe, très précieux aussi après le climax émotionnel du moment où Thelma craque. Thelma et son fils s'en vont, et il y a aussi une part de douleur qui nous reste inaccessible, comme avec le père, ou le grand frère.

Cherry Pie Picache  (Thelma) - il faudrait parler des noms aussi, des personnages, comme des comédiens - est EXTRAORDINAIRE.

 

 

 

Foster Child John John (07)

 

 


 

(1) Ce n'est pas aller chercher bien loin que de penser aux frères Dardenne et à Tsai Ming-Liang, et c'est ce qui les distingue dans leurs approches respectives des trajets qui me semblerait le plus intéressant à développer.  

 

(2) Il y a, par ailleurs, une ellipse assez forte dans le film (et d'autant plus que l'impression générale relèverait d'une course en continu) : la sortie de l'orphelinat, et plus exactement l'arrachement que l'on suppose de Thelma au bébé qu'elle vient de remarquer. C'est précisément aux douleurs tues par ce personnage, "irréprochable" (médaillée chaque année pour ses compétences nous rappelle-t-on au moins deux fois) que cette ellipse nous donne accès dans le basculement soudain lié au brutal changement de lieu, d'intensité sonore, et de valeur de plan. 

 

(3) Une des choses que j'apprécie, en revanche, dans les récurrences de son écriture : l'imperfection des personnages, le fait que ceux-ci ne soient pas trop des "modèles". Il y a de la lâcheté, de la bêtise, etc. Pour le coup, cela achève de rendre les personnages sympathiques, pour de bon. Comme la grand-mère qui vole un client dans Lola, ou ici Thelma qui dénonce à Miss Bianca, l'air de rien, le manquement d'une de ses collègues (qu'elle croisera peu de temps après), ou lorsqu'elle parle assez assurément de la belle vertu de payer ses dettes, quelques minutes avant de s'enfuir devant le passage imprévu d'un usurier. 

 

 

 

 

Foster Child John John (09)

 

 

 

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10 décembre 2010 5 10 /12 /décembre /2010 00:10

 

*** Total Spoiler Attitude ***


 

 

The American - Anton Corbijn

 

 

 

 

Passés prologue et introduction, le générique de The American pose un des principaux leitmotiv du film : Jack/Edward/Eduardo conduit. Cette scène de l'homme au volant restera caractérisée par l'impression de sur-place que génère un tunnel trop long. Pourtant : quelque chose est en mouvement. Presque malgré soi.

 

MOIJE trouve poignant ce nouveau parcours de l'acteur George Clooney, aussi par sa forte connexion avec ses deux autres grands rôles - je n'écris pas grands films -, Solaris et Michael Clayton. Quand il ne fait pas ses numéros de charme - Ocean's et consorts - ou de comique - essentiellement chez les Coen -, la star s'entête à incarner ce mélange trouble et dépressif de tentation absolue de l'inertie et d'irrépressible résistance du vivant : l'impossibilité d'être mort, tant que le corps ne l'est pas. Chris Kelvin, Michael Clayton et l'américain sans nom diffractent une même figure spectrale de l'absence à soi et son impossibilité, tant bien même l'on se cantonnerait à être chair à chimères, chair à fric ou chair à canon. Chris Kelvin ne se demandait pas : "Am I alive or dead ?" uniquement pour des commodités métaphysiques ; Michael Clayton ne se plaisantait/présentait pas in extremis : "I'm Shiva. The God of death." par pur jeu. Cette fois davantage encore, tueur professionnel oblige - donnée efficacement acquise en ouverture -, George Clooney porte haut l'art du silencieux, via une puissante et non spectaculaire intensité physique : ses pas mêmes, ici, ne feront plus de bruit (beau moment de la poursuite déchaussée).

 

 

 

George Clooney - The American (04)

 

 

Cette défaite - au sens aussi où le personnage est dé-fait -, au moins provisoire, de ces trois hommes que nous rencontrons à chaque fois après leur déflagration intime, trouve ici sa parfaite caisse de résonance - et alors de pure implosion - dans la conduite du récit que délivre Anton Corbijn. La trame a beau être d'un classique épuisant - ce qui peut être bienvenu ici, malgré un lot de maladresses (efficiency old-school et fatigante du personnage du prêtre) ou d'invraisemblances (la trop grande beauté de Violante Placido) certainement dispensables -, elle s'appuie sur un très singulier flou permanent : il n'y aurait pas d'instant précis où les choses, les actes, les idées, les sentiments, se déclenchent. Il ne serait pas raisonnable d'affirmer avec certitude à quel moment exact Pavel décide de se débarrasser de Jack, à quel moment le prêtre sait à qui il a affaire, à quel moment Edward se convainc de l'innocence de Clara, etc. Les ressorts les plus simples se démultiplient (et le marteau d'une cloche peut couvrir le son d'un tout autre marteau), derrière la pure linéarité d'un récit pour ainsi dire basique, donnant au film sa sombre et glissante beauté, son fragile éclat de fantôme, à l'instar du personnage à la fois éclatant de précision dans ses actions muettes et tueur flou.

 

 

 

George Clooney - The American

 

 

L'étrange harmonie de cette œuvre au rythme lent, marqué par le silence et des alternances chromatiques simples et nettes (rouge d'une chambre, bleu froid de bistrots, doré des pierres taillées sous les lumières nocturnes, etc.), réside alors dans cette quasi-impossibilité de recourir à des termes tels climax ou anti-climax pour en qualifier les principales vibrations, même lorsqu'elles s'arment de romanesque comme pour le finale. Le certain et l'incertain sont si intimement mêlés que cette chroniques d'une mort annoncée échappe à la programmatique comme au poids du calcul pour laisser se déployer tragédie et paix, chacune certaine et incertaine. Dès lors, même la toute fin, et quelles que puissent être ses visées émotionnelles, reste irréductible, voire malaisante. Car un american, nous rappelle ce satané prêtre, c'est aussi celui qui pense qu'il peut échapper à l'Histoire, qui ne vit que pour le présent. Et le présent, au croisement du bouddhisme new age et des croyances libérales béates - quoi de plus purement libéral qu'un tueur à gage ? -, n'est que l'aboutissement des actes et des pensées qui l'ont invité : il est l'accouchement perpétuel de l'épuisement progressif de l'histoire qui y conduit. La catastrophe, qui commence là où ton destin cesse de t'appartenir, n'y a pas droit de cité. Cette logique serait pourtant ici tout autant à l'œuvre que sa contradiction. Le point d'arrivée n'est pas romantique, l'amour et la mort y attendent tous deux, mais distinctement. Il faudra le vœu, ou pas, de chaque spectateur, pour décider si l'american a suivi sa route vers l'un(e) plutôt que l'autre. Tout autant ne s'agirait-il que de choisir quelle femme regarder lorsque l'on peut enfin fermer les yeux : dans le même temps, l'homme n'aura fait que construire l'arme censée le tuer, quitte à la renverser, quitte à échouer incompréhensiblement (et donc réussir ?) via une sorte de deux-ex-machina. Rien n'empêche évidemment de prendre l'histoire à la lettre, et de ne croire alors qu'en la catastrophe, mais son contrepoint ne se laisse pas oublier pour autant.

 

 

 

George-Clooney - The-American (06)

 

 

Au fil du temps imparti, l'american découvre autant de traces et d'indices de sa mort (impossible avant l'heure donc mais son masque est là) que de sa vie (progressivement désensevelie et c'est la lente renaissance d'un visage), ce qui n'est pas sans m'évoquer The Ghost Writer, dans l'idée où le tueur ici coïnciderait à la fois, dans le même mouvement, avec le nègre et avec l'écrivain déjà mort du film de Polanski. Amusant de penser que là, un livre tuait franchement, alors qu'ici, il aurait pu sauver la vie. Ici, on meurt avec le regard, par un pare-brise, par un viseur, et l'on fait du shooting pour de bon. Mais je dérape, il y a tant de lacets : ils vont et viennent entre Jack, Edward et Eduardo, entre Mister Butterfly et Signore farfalla. Et puis, avant peut-être d'avoir révélé son nom ou de l'être devenu, le visage s'est tu. 


 

 
The American - Anton Corbijn (02)

 

 

 

 

 

PS : quelle que soit la durée concrète de leur rôle respectif, et même si le cœur des trois films tient dans l'agonie/renaissance d'une ombre, que je m'amuserais maintenant à nommer le dé-faîte d'un homme, il ne me semble pas anecdotique de noter que l'accomplissement de ces parcours n'est permis que par le contact avec des femmes bien plus denses et complexes que les stéréotypes hollywoodiens habituels, et impeccablement incarnées dans chaque cas. J'espère donc bien revenir un jour sur Natascha McElhone et Solaris, Tilda Swinton et Michael Clayton. La profonde ambivalence de The American s'exprime alors aussi via un duo : Thekla Reuten (Mathilde), l'alter ego, à laquelle reviennent deux des plus brillantes scènes du film (la livraison de l'arme et auparavant le test dans la nature, peut-être la plus belle séquence via sa charge érotique très haute tension), et Violante Placido (Clara), l'amoureuse, exaltante et magnifiquement directive (l'invitation au restaurant, la scène du restaurant elle-même). Le dernier mot, au moins dans le film, de l'une est "Jack", celui de l'autre, "Eduardo" ; et cela tend encore à brouiller le sens du dernier "Eduardo" crié…


 
The American - Anton Corbijn (03)


 

 

PPS : ne pas manquer les billets d'Asketoner et d'Erwan Desbois sur le film.

 

 


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25 août 2010 3 25 /08 /août /2010 08:39



Juliette Binoche - Certified Copy
 

Sorti de ma première séance du film d'Abbas Kiarostami, après quelques paroles échangées, j'ai senti monter le besoin, et surtout le désir de plus en plus intense, de revenir auprès du film. Alors, je suis reparti à sa rencontre.

Aujourd'hui, à tenter de mettre quelques mots sur ce sortilège, eh bien… cela recommence ! Je ne sais pas trop ce qui se passe, mais cela me semble différent des fois où "je me tape un trip sur un film" - on dit comme ça. (Amusant rétrospectivement comme au fil du premier mouvement du film, à sa première vision, je ne m'attendais guère à cet attachement).

Alors, ce qui m'étonne un peu : je ne cherche pas véritablement à démêler la narration ; pas le sentiment qu'il y aurait une énigme à résoudre, à éclaircir. La bifurcation s'imposerait "naturellement". Malgré l'inattendu, ou pourquoi pas : l'inespéré. La force du film serait indépendante d'un syndrome "les dix clés pour comprendre Mulholland Drive". Elle serait liée à la tranquille assurance avec laquelle il déploie son mystère - qui n'est pas intrigue, donc, ou attente d'une révélation -, quelque chose qui aurait à voir aussi avec une liberté entrevue chez Bunuel. Par exemple. Le caméo de Jean-Claude Carrière ne contredirait pas cette sensation.

D'une certaine manière, le film me hante, et c'est à la fois très doux, presque discret, mais tenace.

Autre impression : son jeu aurait davantage à voir avec Vertigo qu'avec Le Voyage en Italie, évoqué plus systématiquement dans les articles. Peut-être parce que je ne suis pas un cinéphile qui connaît bien ses classiques, mais en regardant Copie Conforme, le film d'Hitchcock me… lance… comme on dit parfois d'une douleur. Alors que : celui de Rosselini me paraît une référence moins organique au regard du processus à l'œuvre ici, de son émouvant système de duplication(s), voire de duplicité(s). Une des choses qui me bouleverse : voir que l'homme va mettre sa main sur l'épaule de la femme et quelques images plus loin, voir la main sur l'épaule, mais quelques images entre : un tronc d'arbre  disparaît le geste. *




William Schimmel et Juliette Binoche - Certified Copy
 
 
Le film joue régulièrement de disparitions momentanées. L'une des plus nettes reste bien sûr celle de Juliette Binoche derrière le large corps de la femme du café, là où tout commence à basculer… Je pense aussi à la scène du portable avec Carrière, qui nous laisse croire, avant de laisser apparaître le téléphone, que l'homme serait en train de s'adresser à la femme en face de lui. Encore, il y a l'enfant qui s'amuse à se plaindre de la disparition de son nom de famille pour la dédicace que sa mère a demandé… **

Sans entrer dans les débats d'idées - que chacun estimera plus ou moins pertinents - qui portent de nombreux dialogues, le film ne cesse de se recomposer autour des tensions original/copie, apparition/disparition.

Vertigo donc, jusqu'aux escaliers, jusqu'au clocher lointain, légèrement dissocié, le film restant  relativement solaire : il ne relève pas du traumatisme ; mais le vertige est bien là, celui du temps, de sa charge, et de nos états multiples…

Quand le film s'ouvre, on pourrait croire que l'auteur du livre prend la parole, mais non, c'est le traducteur, dont l'art peut s'apparenter à une forme de copie, censé reproduire le plus fidèlement possible dans sa langue l'œuvre écrite dans une autre… Le film revient quelquefois, et notamment avec le tableau que Binoche tient à montrer, sur ce temps suspendu où la copie est l'original… tant que l'original n'a pas été découvert, tant qu'il n'a pas réapparu. Pourquoi ne pas rêver aussi que cet homme et cette femme ne se reconnaissent pas tant que leur passé commun ne leur est pas réapparu, conjuré par un tiers ? Délivrés de leur histoire, ils pourraient vivre, à nouveau, cet instant où l'autre est encore inconnu… Ce n'est qu'une des possibilités, bien sûr.

Quelque chose comme une tragédie lumineuse, inacceptable et acceptée, qui joue avec le temps même, lors qu'il ne cesse de se jouer de nous, où l'on sourit aux/des originaux en retard sur leurs copies, où l'on sourit peut-être aussi des/aux films qui croient trop à leur originalité, à leurs ignorances qui voudraient passer pour des naïvetés…

 

 

Certified Copy - Abbas Kiarostami 
 
 
Evidemment, nous sommes face à des archétypes hommes/femmes tout ce qu'il y a de plus traditionnels. Modèle archaïque au mieux, réac' au pire : chacun verra midi à sa porte, ou à celle de sa génération. Mais l'absence de cynisme, ou de manipulation maligne, encourage à les accepter ainsi, ne serait-ce que le temps d'un film, comme tant vivent.

(A ce titre, la " sagesse " de la vieille femme du bar pourra volontiers faire froid dans le dos dans son clivage homme/femme…)

Qu'importe : de ces modèles, où (s'in)filtrent alors aussi des modèles d'actrices - je n'avais jamais remarqué comme elle plissait parfois le nez à la manière de Gena Rowlands -, Juliette Binoche fait bel et bien mille feux. Différents liens se dessinent avec son personnage et son jeu dans Le Voyage du ballon rouge : mode d'improvisation, capacité à assumer les vulgarités du personnage, multiplicité des états au fil d'une ligne ego-voltée... Si elle m'apparaît encore plus brillante chez Hou Hsiao-Hsien dans son assimilation du travail du temps au sein même d'un plan (ce qui reste finalement un peu moins le cas ici, où le rapport au temps s'éprouve davantage dans ce que le montage a de plus réussi), il y a dans Copie Conforme une correspondance entre les enjeux et les situations qui rend la présence plus explosive. 

Le jeu des comédiens dans ce film fait d'ailleurs régulièrement débat, et l'on imputerait des maladresses au fait que Kiarostami ne tourne pas dans sa langue. C'est très possible. Ainsi de la longue scène dans le restaurant, où l'impro peut tendre tantôt vers la roue libre (plutôt elle), tantôt vers le surjeu (plutôt lui). Rien à faire : la possibilité que les personnages soient eux-mêmes en train de s'improviser comédiens, de leur propre vie ou d'un fantasme, me tient à  goûter les décalages produits - surlignés même par la frontalité de la caméra. Non, décidément : rien que du plaisir pour MOIJE dans ces entrelacements ludico-tragiques ou tragico-ludiques, et tout autre chose, donc, que "comédie dramatique" !

Troublante réussite de ce film : il résiste à ses théories (pourtant bavardes), il résiste à ses acteurs (pourtant très bons à mes yeux, William Schimmel aussi, assez impressionnant dans le dernier plan), il résiste peut-être tout autant à son metteur scène et à son spectateur amoureux, et pourquoi pas à l'Italie. Alors, j'irai sans doute le revoir, encore, et mesurant qu'il est de ceux qui ne se laisseraient précisément pas revoir. Sans doute, oui, c'est une rencontre qui se jouera, (comme) une première fois.



Kim Novak - Sueurs froides - Alfred Hitchcock 
 

*
Voilà bien des films pour lesquels il sera permis d'enchâsser deux ":" !


**
Ne pas avoir de nom de famille pourrait être ne pas avoir de précédant, d'original. L'original n'étant l'original que tant que son origine n'est pas découverte, tant que n'est pas découvert qu'il est duplication d'un précédant, voire d'un modèle, voire d'un ancêtre, à suivre le jeu de certains dialogues… En effaçant la lignée, la mère, qui affirme son attachement à une hiérarchie entre originaux et copies contre les provocations de l'auteur, pourrait tenter ainsi de préserver, d'assurer, l'originalité de l'enfant ?


PS : ouverture, tout doucement, de ma galerie 2010.

 

 


James Stewart - Vertigo - Alfred Hitchcock
 

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8 août 2010 7 08 /08 /août /2010 00:20


Pire que du ***spoiler***, à nouveau…


 


Chéri - Stephen Frears

 

 
 

 

Léa de Lonval (Michelle Pfeiffer) éteint la lumière. Et il y a ce sursaut d'image. A peine. Cette persistance rétinienne de sa beauté. 

Et son extinction à l'œuvre : l'évanouissement des toutes dernières traces de jeunesse. Cette peau qui lâche un peu trop et retient alors mieux le parfum, lui rappellera sa meilleure ennemie…

(Bien sûr, la cause "réelle" de ce retour, à peine, de la lumière dans ce plan - qui m'a sidéré les deux fois où j'ai vu le film - est simplement la manière dont s'éteint la lampe elle-même.)

Le film narre donc la vie de courtisanes sur le retour et s'attache à celle qui aura été, nous dit-on en ouverture, la plus puissante peut-être : parce qu'elle ne commît jamais l'erreur de tomber amoureuse. Comme dans Les Liaisons dangereuses du même Stephen Frears, la possibilité de l'amour est ce qui dérègle l'organisation et la réussite sociales (tant bien même celle-ci s'inscrit dans une marginalité - les courtisanes -, ou dans une guerre relative contre la société - les libertins de Laclos). Merteuil ou Léa se sont, chacune à leur manière bien distincte, constituées en machines de guerre pour conquérir une indépendance et/ou une puissance interdite(s) aux femmes de leur temps et/ou rang. Le plan final de  Chéri puise aussi de sa force dans sa rime un peu décalée (pas de miroir à l'écran ici) avec celui des Liaisons dangereuses.

Mais cette fois, l'amour n'est pas seulement ce qui cause ou concourt à la chute (de Valmont, de Chéri). Il n'est pas seulement maladie : il en naît. L'amour entre Chéri et Nounoune prend ses racines dans une grande morbidité (ce qui fait davantage écho à  Mary Reilly, auquel j'étais attaché, et qui me manque, là) : la fin de la vie qui commence à prendre pour de bon le corps de Léa, l'immaturité de Chéri, sa virilité " incomplète ". Alors je trouve bien de la beauté au "morceau de bravoure" de la dernière séquence : la douce, impossible et pourtant finale rupture. En effet, ce que le film aura discrètement mais tangiblement porté tout du long, au travers de sa reconstitution ironique et minutieuse, c'est une part de lumière née de deux âmes malades (et aussi l'une de l'autre), un éclat de rire, un fragment de complicité intime et sensuelle. La pleine conscience des deux amants dans leur chant du cygne s'éloigne alors d'un scénario qui sur-expliquerait maladroitement ses personnages littéraires : une joie très singulière est aussi à l'œuvre dans cette séparation, non réductible au soulagement de se séparer. Et ça, quand même, il fallait l'amener !




 
Chéri - Stephen Frears

 

 

 

 

Cela m'aurait suffi, mais la séquence va offrir un dernier climax inouï : ce "face à face" du spectateur et de Léa où, soudain, c'est comme si le visage de Pfeiffer générait lui-même les nuances de la lumière du plan et leurs extinctions. Je ne sais pas. C'est une des choses les plus délicates et les plus troublantes (à la revoyure, je doutais encore de mes yeux !), que j'ai vues ces dernières années.

Tout cela n'empêche donc pas le film d'être d'un classicisme absolu avec lequel l'on souhaitera être plus ou moins patient, y compris dans ses rouages ironiques ou humoristiques.*

Toute la machinerie du film est grandement lisible et prévisible, et de ce carcan là, dont le travail (les costumes et décors sont hallucinants de détails et de qualité) est à la fois vain et admirable, et par là-même émouvant aussi, qu'est-ce que je disais, de ce carcan là, et de toutes ces restitutions des mécaniques du social, accoucher, ne serait-ce que deux ou trois fois, de moments où des prières seraient exaucées.

Une lampe qui s'éteint. Un visage fixe qui semble s'évider, presque une taxidermie à vue. Ou simplement une demoiselle qui s'approche un peu d'un bleu pur qui s'appellerait Biarritz, dans une image où le soleil laisserait croire un instant à toute réconciliation, baigne tout, et l'ivoire d'un balcon, sans mordre de ses rayons. Presque un écho, sans que le plan lui ressemble directement, à la comtesse dans Le Temps de l'innocence. Cette fois, l'on ne verra de Pfeiffer que sa silhouette et cette tentation de l'infini, dans un cadre doux mais sans merci, sans horizon.

Les plus irréductibles ennemis de toute approche dite naturaliste ou réaliste au cinéma, je manie mal ces termes, sont souvent ceux qui ne jurent que par un jeu des comédiens naturaliste/réaliste, précisément. Et réciproquement ?... Chéri a ce parfum assez rare d'un film totalement artificiel, comme on le dirait du théâtre en n'y connaissant pas grand-chose, et qui laisserait régulièrement éclater la vie la plus nue, celle que l'on n'oserait peut-être pas toujours affronter. Ce ne serait pas le seul film à fonctionner ainsi, et notamment pas le seul de Frears, mais ce qui le distingue me semble bien la rencontre paroxystique avec l'art de Michelle Pfeiffer, lui aussi totalement artificiel (et je ne dis évidemment pas superficiel ou mensonger, ni ne sous-entends aucun bémol). Michelle Pfeiffer, son jeu, cette dentelle aux mailles qui ne laisseraient parfois presque plus voir le jour, et qui, tout à coup, par la force des codes créés, répétés, et soudain dépassés ou brisés, tout à coup… foudroie.




 
Chéri - Stephen Frears


 

 

 

* J'imagine que bien des traits viennent du texte de Colette, mais je ne l'ai pas lu, comme je n'ai pas " lu " d'où vient Tamara Drewe. On y retrouve l'artificialité et le goût pour l'ironie. Il paraît que presque tout le monde aime Tamara Drewe. Mais j'étais bien heureux après l'avoir subi que Chéri repasse, tenant déjà à le revoir en salle et ne souhaitant pas rester fâché avec Frears, que j'aime régulièrement. Tamara Drewe se cantonne trop à son programme : renflouer les caisses et la notoriété après le désastre commercial de Chéri. Intéressant de noter que son argument de vente est la chair fraîche, la sympathique et très sexy Gemma Atterton, que le film ne vampirise d'ailleurs pas assez, tout occupé qu'il est à sa mécanique Predators (même logique de sursaturation narrative, de non-stop, d'utilisation de la musique jusqu'à l'écoeurement). Amusant de repenser à Léa de Lonval disant quelque chose comme "You've had a taste of youth", puis "ce n'est jamais pleinement satisfaisant, mais l'on ne peut s'empêcher d'y revenir." Elle sait de quoi elle parle, Léa. Il y aurait certainement des choses à dire sur Chéri comme film diurne de vampires. Mais ce n'est pas mon genre :-)

 

 

 

PS : je ne sais pas si j'aurais le cœur de voir ce que le plan "de la lampe" et le plan final peuvent connaître comme restitution en DVD.


 

 

 

Stephen Frears et Michelle Pfeiffer - Berlin 2009

 

 

 

           Chéri - Stephen Frears     Chéri - Stephen Frears     Chéri - Stephen Frears

 

 

 

 

Chéri - Stephen Frears

 

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23 novembre 2009 1 23 /11 /novembre /2009 23:33


Singularités d'une jeune fille blonde - Manoel de Oliveira


Avoir vu une première fois le film de Manoel de Oliveira avant de m'absenter cinq semaines, y courir avec reconnaissance à mon retour : ce qui aurait presque été la norme quand j'avais emménagé à Paris (quelques semaines d'exploitation) était devenu un exploit. C'est bien, la loi du marché : on devient reconnaissant pour rien. Pour : la moindre des choses. Et : les exploits des exploitations !


C'est bien, la Loi du marché : une fiction qui ne dit pas son nom. De moins en moins : qui veut faire croire, crise oblige, qu'elle a toujours tenu les institutions pour nécessaires. Et c'était vrai aussi : il en faut bien, des institutions, pour s'assurer les bons contrats en Irak, ou se renflouer en cas de maladresses financières.

Le pire étant que je n'ai pas du tout l'impression d'être uniquement hors-sujet.

Le petit Macario sourit en avouant qu'il est pauvre, et même, il sourit un : "pauvre comme les banques". C'est pourquoi Macario est un petit voleur, aussi, peut-être, oui, c'est possible. D'ailleurs, quand il croit avoir été prêt à tout perdre "par amour", un homme venant le troubler au bord de l'eau est vite tenté de l'identifier comme celui ayant dérobé son chapeau.  Par ailleurs,  les arrières du petit Macario sont plus qu'assurées...

Oui : le petit Macario a l'innocence de l'ignorance, et les bonnes manières de qui n'a encore eu à se battre pour rien. Il est attachant. D'ailleurs, il aimerait bien (se) lier (à) une jeune fille blonde. S'il le faut, ce ne sera pas vraiment un problème d'aller faire fortune dans les terres du Cap-Vert (une colonie qui ne dit pas son nom), et même, ce ne sera pas un problème de le faire deux fois, en cas de pépin. Pourquoi pas ?


 Singularités d'une jeune fille blonde - Manoel de Oliveira


Qu'est-ce que c'est : faire fortune en quelques jours ? Et n'avoir, à ce sujet, de compte à rendre à aucun spectateur ?...

Ce n'est pas comme elle… Elle, elle a au moins un spectateur : lui. Elle devra lui rendre des comptes… Et comme il est d'usage que les femmes en doivent aux hommes… Non ?

Alors : la brutalité - énorme et pourtant doucement amenée par une logique progressive mais implacable - de la répudiation peut prendre des parfums de reconnaissance de soi en l'autre. Là où l'on ne veut pas se reconnaître du tout.

Le petit Macario est un homme droit, bien comme il faut, un homme (bien sûr) de (son bon) droit. Comme d'autres... Rien à se reprocher... Et il est bon de rappeler qu'on ne laisse pas entrer les pauvres dans la boutique.
 
Une chambre sans fenêtre entretient la douce combustion de l'orange d'une armoire et du vert des murs. Elle serait trop petite pour un jeune homme : à un moment, dans la rue, tentant de suivre son pas, la caméra procède par zooms successifs sur ce corps qui n'en finit pas de grandir à l'image alors qu'il est censé s'éloigner. C'est très troublant, ce grand corps. Ce corps de suffisamment bonne naissance pour ne pouvoir s'enfermer dans n'importe quelle cellule.



Singularités d'une jeune fille blonde - Manoel de Oliveira 



Ou bien… Une jeune femme orchestre avec grâce, c'est peu de l'écrire, un éventail et des rideaux : aussi est-il plus difficile de voir en elle la marionnette qui s'ébroue. Et cessera.

Cette jeune femme a un spectateur : ça, c'est une certitude. Tandis qu'un grand acteur peine terriblement à en avoir ne serait-ce qu'un, mais pour de bon, même en lisant du Pessoa.

Le mot "amour" ne pourrait jamais être prononcé. Il n'y aurait de place que pour le désir et l'argent. Et donc le vol policier. Le viol policé ? Il y aurait une jeune femme blonde qui ne pourrait dépasser son statut d'icône, ou de bel objet. Elle pourrait être condamnée sur le motif d'être consciente de son statut. Ce serait commode.

Pourtant, elle peut se fondre dans une fenêtre où tout n'est que crèmes et pastels. Dehors et dedans. Elle est peut-être tout simplement surcadrée. A peine aurait-on pu rêver d'une transmutation en amour de ce vertige scopique dans la remarquée scène du baiser, et il est bon d'y croire, et de sentir ce qui se scelle là… mais pas plus : un miroir en fond de plan ne retient entre les amants qu'une (jolie) paire de jambes.

Une jolie paire de jambes. Bien encadrée. Tout juste ce qu'il faut pour courir, disparaître du cadre (pour de bon). Quand l'ordre est donné. Tout est en ordre.



 



PS : ou bien… il serait bon d'aller ici (, ) et ici pour lire plus au cœur du film…

PPS : on ne répétera jamais assez, on dit comme ça, la magnifique sidération de la scène finale… Qu'est-ce qui s'est passé ? Qu'est-ce que je vois ?...

PPPS : dernières notes en vrac...
Le premier plan suspendu de la jeune fille, seul, entre deux confessions. L'apparition pure permise par le flash-back : plus que renforcée.
Au sein du centre historique de Lisbonne, un segment de petits immeubles séparent tout juste deux places : celle de Figueira et celle du Rossio… Tôt dans Christophe Colomb, l'énigme, la place de Figueira marque le début de l'élan (des (re)découvertes) via la statue et l'alternance des fortes plongées et contre-plongées qui ne font pas que servir malicieusement le respect du budget du film. (Trop) tard dans Singularités d'une jeune fille blonde, la place du Rossio se devine dans les vitrines de la joaillerie, puis dans un de ses angles coupants où la jeune fille s'éloignera, répudiée, dans le plan horizontal : comment le film travaille sur les obliques (les fenêtres des deux amants). Le film antérieur appelait des désirs de savoirs et de découverte, et ses désirs inextinguibles pouvaient s'élancer. Celui-ci marque les incontournables entrées et sorties de scène du désir des sens, aussi intense soit-il.
Raconter une histoire dans un train, à une inconnue. L'immobilité au milieu des paysages qui défilent. La suspension. Une fois le récit achevé, le train file, et la suspension s'évanouit. Se souvenir des suspensions de lumière sur Lisbonne.
Les entreprises ne veulent pas des comptables sentimentaux. Et qui dansent dans leur bureau. Les "amitiés" professionnelles, et la consultation des amis par intérêt sont bienvenues.
"Pense bem" : la répétition, la sortie comme un personnage de conte. Il faut ici réussir pour échouer. Quand d'habitude, il faut échouer pour réussir.
Catarina Wallenstein, Ricardo Trêpa, Diogo Doria, Julia Buisel, Leonor Silveira, Luis Miguel Cintra, etc. ... Tous les comédiens impeccables.






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22 juillet 2009 3 22 /07 /juillet /2009 21:50

Précédent billet sur le film : Dehors et dedans… ***SPOILERS everywhere***



Two lovers - James Gray

Cela ramènerait à l'ouverture du film, mais : c'est la nuit… Et la silhouette marche maintenant sur le sable : le  corps sait déjà que se jeter à l'eau serait plus difficile que depuis un ponton… Léonard doit simplement réaliser que son corps reste déjà, cette fois-ci, du côté de la vie. 

Le reflux n'apparaît pas aussi fort qu'en ouverture, malgré tout ce qui s'est passé. Je trouve que : la bipolarité de Léonard est évidente, certes sans spectaculaire, mais toutes formes de degrés, et d'évolutions avec le temps, existent. Aussi : les troubles des personnages ne servent pas ici à les stigmatiser. A mes yeux, les aventures de Léonard ou de Michelle ne tiendraient pas du tout la route sans leur(s) trouble(s) respectif(s), je les trouverais très théoriques et petits acteurs d'une démonstration. Alors qu'ils me déchirent, délicatement : en suivant les pointillés des veines et des nerfs sous la peau ; pas de coups d'éclat ici.

Mais j'en étais à l'homme-vague, s'approchant de la mer sombre, et, doucement, un plan baigne le profil de son visage dans l'écume… puis, doucement, l'écume enlace ses chaussures… et Léonard ne va pas mourir… Parce que son corps libère un gant que l'écume lui rendra visible, le lui (re)présentant... Un reflux est terminé. Pas purement et simplement, mais : le temps d'un nouveau flux commence, fut-il de courte durée ou de moindre ampleur. On dira crûment : la phase maniaque, celle du désir qui jette son dévolu. Reviendra le temps de la dépression, etc. Mais maintenant : le désir jette son dévolu ; nouvelle impulsion. Il y a ça, aussi. Sans doute pas pour de vrai, mais : pour de bon. Alors, bien sûr : à corps perdu…

Sandra avait offert les gants à Léonard.

Le corps de Léonard a fait un tour de passe-passe. C'est le moment des tours de magie et des princesses. Comme le père de Léonard appelle souvent sa femme… Princess… Et il n'y a pas de mal. Ou pas seulement… Sandra… Très beau travail de Vinessa Shaw, aussi.


Two lovers - James Gray

Léonard, seul, dans l'appartement familial. Quelqu'un vient… Sandra : elle arrive d'une soirée avec leurs parents respectifs. Elle dit quelque chose comme : "Tes parents m'ont dit que tu voulais que je vienne". Alors elle est venue… D'ailleurs, ça a commencé comme ça : Sandra est venue.

Et puis, dans le couloir, devant les photos de famille, parce que Léonard s'y attarde un peu trop, Sandra hésite : "Ce n'est pas toi qui a voulu que je vienne, n'est-ce pas ? Ce sont tes parents…". Mais Léonard va l'embrasser.  Est-ce que c'est possible ?

Parce que Sandra est douce, belle, attentive ; et elle a le choix, avec les garçons, elle le dit, et n'en doutons pas. Mais : elle l'a choisi, lui… Alors Léonard, va choisir quelqu'un d'autre… non ?... Qui a vu qui en premier ? Sandra a vu Léonard. Puis : Léonard a vu Michelle. Cela pourrait suffire.

Ou bien… Il y a quelque chose de trouble, aussi, dans le désir de Léonard de fuir son environnement : l'histoire de la rupture avec la première femme, inscrite en traumatisme à l'ouverture du film ; la question d'une maladie héréditaire, singulière, surreprésentée dans la communauté de Léonard, la maladie de Tay-Sachs. Peut-être que Léonard ne veut pas risquer de revivre ça… Il faudrait voir ailleurs... Mais si l'ailleurs se révèle aussi  une autre classe...

Two Lovers : des histoires de regards et de troubles. De regards qui troublent, de regards troubles, et de troubles du regard… Et alors : qui regarde-voit-photographie-épie-surveille qui… Et même : qui - le plus souvent les aînés - invite à le faire… Keep an eye on her for me…  Alors bien sûr : les dégradés dans des tons plus ou moins graves du voyeurisme… Et, au-delà des épreuves, un court instant, une grâce, ou son reflet dans un œil rêveur - I never really saw you… Do you see me now… I never saw you either : toujours ça d'arraché à la nuit, ou au jour, puisque les vampirismes sourdent aussi, jusqu'à l'ombre d'Elias Koteas penchée sur Gwyneth Paltrow exsangue… Toutes ces histoires de faire attention à l'autre, à basculer, délicatement, de veiller à surveiller…


Two lovers - James Gray

Dans tous les cas… Michelle est survenue.

Le contrepoint des scènes avec Sandra, ne s'avèrerait pas tant celles avec Michelle que celles où Léonard est seul, à l'extérieur. En repensant aux scènes Michelle-Léonard, je me rends compte que toutes les scènes avec Sandra se passent à l'intérieur. A l'intérieur.

Ce serait un couple qui naîtrait quand nous pourrions le voir à l'extérieur, pour de bon : pas dans une véranda, pas en photo. Puisque l'extérieur est aussi l'impossible du couple Léonard-Michelle : l'écosystème de ce couple là se paraient de médias pour le regard comme pour l'écoute (les vitres, les téléphones portables, etc.), jouant dehors et dedans. C'est dans cet espace virtuel-là, que ce couple existe intensément : pas sur les toits, dans le corps à corps précédé par le terrible regard-caméra de Michelle ; et évidemment pas dans la cour tout en bas, tout à la fin...

Les deux couples ont leur part de possible et d'impossible : Sandra et Léonard sont aussi deux amants. Two lovers. Ou bien : les Two Lovers du titre seraient plus précisément Sandra et Léonard, pas l'un envers l'autre, mais chacun, parce que ils sont les deux à avoir choisi d'aimer un(e) autre. Via sa faille. Puisque tout l'intérêt vient aussi du fait que Sandra est charmante, affirmée, séduisante et qu'elle le voit. Ou pense le voir. Sandra l'a vu. Danser avec sa mère, dans l'arrière boutique. Elle a voulu rencontrer Léonard. Désir. Et reconnaissance. C'est ce qu'elle dit plus tard : ce sont les mots que Léonard reprend avec Michelle. Je te comprends. Léonard pense voir Michelle. En cela, Michelle ne serait pas une lover de cette nature. On ne sait rien, intimement, de son amant. Et ce n'est pas un attachement à la faille que l'on sent. Plutôt le contraire : une restauration.

Il faut voir Michelle au grand restaurant italien, se fondre dans le décor, par le détail du travail sur la coiffure : les bandes de ses cheveux riment avec les rideaux, les rayures de ce lieu dans lequel quelques instants auparavant Léonard n'en finissait pas de buter de manière soulignée… Cette scène où l'on apprend les origines de Michelle, son histoire… Ces cheveux, que Léonard apercevra à la fin de son espoir en jetant son sac par la fenêtre de sa chambre avant de vouloir partir, qui auront l'air de tomber, comme les rideaux des théâtres, sur les représentations défuntes…


Two lovers - James Gray

Je recommence.

Je repense aussi à Isabella Rossellini, la mère de Léonard, qui ouvre les dialogues du film par… un stupéfiant… Hello… I was beginning to think you weren't going to make it… Cela, très exactement, elle le dit, sans malice, avant de comprendre que son fils vient peut être de flirter avec la mort à nouveau… Alors, ne pas perdre ça, non plus, au dernier regard-caméra du film, celui de Léonard, certes terrible, mais pas que : il n'est pas seulement en train de renoncer. He hopes he's going to make it.

Et - je n'aimerais pas plus l'exclure que m'arrêter à elle seule - je revois la belle, très discrète mais irrépressible montée de sourire de Léonard, sur le départ, quand il voit le roulis sur l'air de la chevelure de Sandra, dans ses nouvelles ondulations…

Et je trouve décidément que : pas du tout anecdotiques, ces mouvements capillaires… A se souvenir aussi de Léonard accompagnant Michelle jusqu'à son "travail", et comme, tout à coup, elle délie ses cheveux, et comme : c'est implacable. Et comme : cela ne le fait pas sourire du tout, quand elle monte ainsi dans la belle voiture…

Voilà, c'est fini ! Je voulais simplement dire au revoir à Two Lovers, de manière à (me) rappeler comment il s'extrait de l'océan des films où l'étoffe des personnages est strictement résumable à un pitch - sans parler de ceux où c'est l'ensemble du produit lui-même qui l'est. Toute la beauté du film de Gray revient aussi, il me semble, à ne réduire aucun des personnages à des marionnettes psychiques, ou sociales, ou... Toute sa générosité : cruelle, et concerned. Les films de James Gray sont terriblement concerned. A ma dernière vision, tandis que le film défilait, m'envahissait encore : quelle merveille, quelle merveille… Two Lovers continue de déployer ses infinies nuances, ses ambivalences vivaces, tandis qu'il me semble toujours fort dommage d'évincer son  fragile équilibre en voulant sacrer le règne d'une fiction. Ou le déjouer.


Two lovers - James Gray



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