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20 mars 2009 5 20 /03 /mars /2009 18:30
Sans transition : je n'avais pas prévu de suspendre ma pause maintenant, mais…



Rabah Ameur-Zaïmeche - Wesh Wesh, qu’est-ce qui se passe ?


Dimanche dernier, au 104, la revue Vertigo a proposé une rencontre avec le réalisateur Rabah Ameur-Zaïmeche, autour de ses trois films : Wesh Wesh, qu'est-ce qui se passe ?, Bled Number One et Dernier Maquis.

Je ne voulais pas manquer ça - on dit comme ça. Dernier Maquis reste un des plus beaux films sortis l'an passé pour MOIJE - et pour bien du monde -, et un des plus importants.

Je n'avais pas bien compris quelle forme prendrait la rencontre, mais en entrant dans la salle, découvrant des tables en U, un vidéo projecteur et un écran, je ne doute plus que ça pourrait vraiment changer des discussions "frontales" après un film.

Pas mal de gens viennent, malgré l'après-midi doux et ensoleillé plus que tentant, et les paroles délivrées varient davantage ici qu'à d'autres modes de rencontre que je peux connaître.

Le 104 est censé tenter pas mal de choses, et Vertigo s'y attelle fort honnêtement… Le temps donnera ses réponses… Aussi je croise les doigts pour que ce soit le type de voie emprunté ce dimanche-là, avec cette rencontre prévue sur deux heures, et qui dépassera joyeusement les trois.



Meryem Serbah - Bled Number One


Je recommence.

Il est courant de dire qu'une œuvre, ou un auteur, est ou semble singulièrement proche de soi. Manière de dire… Pas précisément les goûts, les couleurs, mais : la sensibilité. Faute de mieux, on peut dire par là… Même si : de manière parfois mystérieuse... Je ne sais pas pourquoi je vibre autant avec Tarkovski ou Eastwood, pourquoi je suis si simplement immédiatement avec. Toujours ou presque. Quels que soient les degrés d'adhérence et/ou de reconnaissance éprouvés œuvre par œuvre…

Et Rabah Ameur-Zaïmeche, je ne crois pas que ce soit exactement ça, pour moi… Ou je ne le sais pas encore.

Pourtant c'est là, comme une évidence. Une autre forme d'évidence…

… Cette manière de parler, très concrète et sensible, dans une force aussi palpable que "discrète". Je ne sais pas comment dire. Une puissance qui invite, qui ouvre. Pas qui s'impose. Surtout pas qui en impose. Qui ouvre... En ayant bel et bien des choses à dire, des combats, croyances et questionnements…



Mamadou Kebe - Dernier maquis


Dernier maquis… J'y suis bien… 

... La rare complexité de la figure du patron Mao, préservée par le jeu nuancé de Rabah Ameur-Zaïmeche et renforcée par le fait que le réalisateur interprète donc la partition… Cette manière singulière de RAZ de faire d'un obstacle et/ou d'un imprévu une providence (Mao est la "synthèse" de deux personnages antagonistes initialement prévus ; voir encore le premier plan du film)… Le travail du partage entre comédiens professionnels et ouvriers de l'entreprise où se situe le film… La force graphique et protéiforme des palettes rouges… Comme elles, la caméra reconfigure l'espace - et masque et révèle -, ou semble mûe, pourquoi pas, par un chariot élévateur (notamment les travellings verticaux)... Comme elles, elle semble travailler autant qu'elle l'est, travaillée... Epouser les mouvements du travail, d'un travail... Qu'est-ce que je raconte ?... Ces palettes qui semblent "sauver" davantage ceux (les mécanos, pour la mosquée à ciel ouvert, pour la barricade) qui n'en sont pas comme les subordonnés (les ouvriers, n'était le muezzin)... Travailler autant qu'être travaillé, et RAZ, et le spectateur... Et entendre le chef du village... "Faut pas partir. Faut pas me laisser comme ça"...

Qu'est-ce que je veux dire ?

Que samedi, demain déjà, au 104, Vertigo propose une projection* de Dernier Maquis à 17h30… MOIJE dis ça, je dis rien…

Qu'il y a de bien beaux articles, à mes yeux, sur le travail de ce réalisateur et un chouette entretien dans le dernier numéro des Spectres du cinéma



RAZ par Antoine Doyen



* Ne pas oublier, tout de même, qu'il se joue toujours à Images d'ailleurs, où j'ai pu le revoir récemment… Et puis, il semblerait : Libourne, ce soir, Cherbourg et bientôt Cluny, pour ce qui est de l'hexagone…



Intermède surprise donc ; la pause ne devrait plus durer longtemps ;-)



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26 janvier 2009 1 26 /01 /janvier /2009 05:05



Le Chant des oiseaux


Je sors du film d'Albert Serra tout sourire, on dit comme ça, ayant un peu oublié que nous n'étions pas dix, et que cela m'avait fait un peu mal en entrant dans la salle.

Je traverse un couloir du cinéma, un jeune homme m'arrête d'un : "C'était dur, quand même !"… Il a un beau sourire ouvert, le regard qui va avec, et l'air d'un étudiant curieux et vif. Je ris et reformule spontanément, sans malice : "Ça a été dur, pour vous ?". Il est peut-être un peu surpris, ou craint le malentendu : "C'était beau… Mais vous n'avez pas trouvé ça dur... par moments… la fin ?"…

Non.

Rires, bref, et bonnes soirées : c'est allé très vite.

Je sors, bientôt minuit, et quand j'allume ma cigarette, je comprends que je n'ai pas envie de rentrer. Mais la ville me déçoit un peu, elle manque d'intensité, du moins, à portée de main. Tant pis. Je marche. Ce n'est pas grave. Je marche. Je regarde quand même, les quelques passants, les bars encore ouverts, pas envie de m'enfermer, je marche….
 


Le Chant des oiseaux


Un regret m'amuse : aurais-je dû préciser ? Mais c'était trop rapide. Question de  rythme.

J'aurais pu préciser que j'étais venu ce soir, parce que je me sentais suffisamment disponible pour un film qui ne cèderait rien à ma passivité. J'aurais pu ajouter que c'était une surprise pour MOIJE, de ne pas avoir trouvé ça dur du tout, précisément - ou peut-être un peu le fauteuil alors, comme souvent - mais que là, simplement, tellement simplement, j'avais été , comme rarement.

Et comme si le film densifiait davantage ma présence plan après plan, au cœur de ses longues marches, de ses humbles efforts, de ses bruissements. Et cet humour…

Et j'aurais presque pu ajouter comme c'était joyeux, aussi, de croiser ce sourire et ce regard ouvert qu'il trimballait, ce garçon, après un film comme ça. Et… à son âge… Et… par les temps qui courent (tant), mais que, non, j'espérais ne pas être totalement devenu un vieux con, ce n'était pas ça, seulement j'aurais certainement trouvé ça très, très dur, MOIJE, à son âge, si tant est que j'eusse alors reconnu ce film. Peut-être. Je ne sais pas. Je ne saurais même pas quoi en dire aujourd'hui. Et même, je sais que je ne le recommanderais guère, ou à quelques amis très proches, avec toutes les formules de précaution dont je passe la vie à m'encombrer.

Simplement, il y avait trop de films, déjà, que je n'avais pas ressenti aussi vivement les corps, la terre, le sable, les pierres, le soleil, j'en passe, et la grandeur fragile du vivant. Son dérisoire. Son éphémère. Son humble mais entêté pied de nez à l'oubli. Son cinéma.



Le Chant des oiseaux


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12 janvier 2009 1 12 /01 /janvier /2009 02:54

Gare aux ***SPOILERS***

Précédent billet sur le film : Two Lovers… ou Trois femmes...



Michelle - Two Lovers
 

Il se trouve que : Léonard et Michelle habitent dans le même immeuble. Au cœur de cet immeuble : une cour intérieure. Léonard et Michelle, à un étage près, logent de part et d'autre de cette cour : dans cet espace " vide " particulier, à la fois dedans et dehors, et qui les séparent, naît, vibre et semble se sceller le dialogue de ces deux amants-là, en trois scènes offrant à mes yeux le plus beau de Two Lovers de James Gray.

Dans la première, Léonard aperçoit Michelle depuis sa chambre et s'empare de son appareil photo. Il ouvre la fenêtre, oriente l'objectif. Flash. Michelle ouvre sa fenêtre… Là, s'élance un joyeux dialogue vers une invitation à danser. Je ne peux m'empêcher de voir quelque chose de délicieusement insolite dans cet échange extraverti, ces voix à tue-tête, légères, emplissant et résonnant dans la cour. Dans des moments comme ça, I want to live in America

Un peu plus tard dans la même nuit, Michelle et Léonard sur téléphones portables. Elle regarde par la vitre, ne peut le voir qui rejoint la sienne en se cachant. Les fenêtres sont fermées. Nous sommes avec Léonard. Dans sa chambre. Et ce qui s'est déplacé, par rapport à la scène précédente, n'est pas tant que nous observons Michelle à la dérobée, sans plus d'échange des regards, mais : une des voix a changé d'espace. La voix de Michelle est passée, en quelque sorte, "dedans". Dedans la tête de Léonard. Dedans son corps. Dedans les nôtres. Michelle dans le miroir, Michelle qui marche, se démaquille, mais là : au plus proche, intime… Au creux de l'oreille.

Ce glissement s'achève avec la troisième et dernière scène. Maintenant, Michelle et Léonard, face à face, chacun derrière sa fenêtre fermée, se regardent, intensément - se projettent ? - lors d'une nouvelle conversation téléphonique : les deux voix nous parviennent par le "filtre" des téléphones. Chacun est dans l'oreille de l'autre. Et comme si nous flottions, dans cet espace un peu particulier, au cœur de l'immeuble, ni chez Léonard, ni chez Michelle, leurs deux voix au plus proche, dans ce rêve momentané en duo. Mais chacun est dans son aquarium.

Tout au long de ce film, comme dans le précédent, le travail sur le son et sur la lumière me semble rare, et dans une beauté encore plus forte et plus fragile ici. Le son surtout, me subjugue à chaque instant, touche au sublime dans la sensibilité du traitement des voix sur ces trois scènes. Avec cette impression, aussi, peut-être totalement imaginée, que le grain de l'image bascule lui aussi, à s'imprégner de leur rêve, leur rêve enfantin et moelleux.  



Léonard - Two Lovers


Je recommence…

Une autre série de trois scènes dialogue avec celle que je viens d'évoquer : deux moments (volés) sur les toits, et un (échoué) dans la cour intérieure de l'immeuble. Trois rendez-vous de Michelle et Léonard. Deux improvisés, un attendu.

Le toit : se retrouver ensemble, physiquement, voix au vent, loin des conventions, du social, qui semblent minuscules tout autour… Léonard y brûlera sa première déclaration d'amour. Plan-séquence : nous sommes de l'autre côté de murs de briques, sans savoir les murs de quoi, mais nous restons de l'autre côté. Comme eux, dedans : ils ne se rejoindront que pour la seconde scène sur le toit, qui nous convie cette fois entre ces murs de briques, avec eux. Cela ressemble à une petite maison : c'est leur cabane. Ici, un regard-caméra de Michelle me cueille à chaque fois : il dit, déjà, que cet amour vite fait, bientôt, ne durera pas. Le bruit glacé dans la cabane ouverte à tous vents, instant d'amour vif comme le froid… Tragique.

Ensuite vient se nicher la vraie grande scène à deux décrite plus haut, celle dedans et dehors à la fois, avec la voix de l'un(e) dans l'oreille de l'autre, celle où Michelle embrasse la vitre, l'écran des rêves, celle où l'on se sauve un peu de présent : "Can you see me now ?". Une scène de pur fantasme à deux... Eclair de nudité.

Mais il faut redescendre, et, dans la cour même, se voir une dernière fois, ne plus se retrouver. Michelle a disparu. C'est bleu… Et seul. Cette fois, Léonard, tu es dedans ! Pour de bon. Il va falloir essayer de (s'en) sortir. Ou alors tu es complètement dehors, en dehors du coup. Tu sais ?... Il va peut-être falloir rentrer.



two lovers - Two Lovers


A suivre...





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24 décembre 2008 3 24 /12 /décembre /2008 00:14

Gare aux ***SPOILERS***.



Un léger grain de l'image pose délicatement la silhouette floue mais massive de Leonard Kraditor (Joaquin Phoenix) sur un ciel couvant la neige…


Un oiseau passe, un réverbère, doucement…

Calmement, et sans la trace d'une hésitation - impression renforcée par un ralenti -, Léonard marche le long d'un ponton de bois, au bord d'une baie, l'enjambe, lâche, s'abandonne…

L'eau nous pénètre les oreilles, noyant des sons déjà ouateux et sourds. Un pantin coule : nous caressons sa désarticulation tranquille. Et puis : une lumière troue la surface de l'eau, et en surgit un ailleurs, inconnu, des images refoulées aux relents médicaux ; une femme entre et s'esquive, le temps de murmurer quelque chose comme "Je t'aime, mais je dois partir" ; elle disparaît… Et l'homme, finalement, remonte à la surface.

Comme une tentative de suicide à laquelle personne ne peut croire. Comme un geste quotidien. Non extraordinaire. Simplement un homme qui plonge, peut-être, pour aller retrouver dans l'eau une image. Une image qui ranime. Qui ramène à la vie. Qui en est presque l'essence, ou le symbole. Ou le fantôme. Le passé. Nous n'apprendrons que plus tard qu'elle est l'amour perdu. A ce jour.



Vinessa Shaw dans Two Lovers

 
Ou bien…

Il s'agirait des images reconnues. Puisque Léonard fait des photos. Des photos de paysage. Il dit que c'est suffisant les gens qui regardent les photos (ou/et les prennent) : inutile qu'ils s'y montrent, en plus. Le paysage, cela suffit. Le ponton et la baie, cela suffit. Le corps est comme en trop. Pour la paix de l'image ? Son immortalité ? Léonard fait des paysages "pris sur le vif", il dit ça, non sans humour, à cette seconde femme, Sandra, que l'absence de personnes sur les clichés semble surprendre.

Cette femme qui aurait pu être un cliché, incarnant l'avenir programmé. Déterminé. Celui qui arrange tout le monde, et que tout monde "arrange". Celui qu'il convient d'accepter. Qui maintient. Tiens-toi bien. Il faudrait se faire une raison. S'en tenir à Sandra. L'aimer.

Or : elle est belle. Et elle sourit. Elle pense le voir, Léonard : elle dit qu'elle le comprend. Elle dit ce qu'elle aime, chez lui : il n'essaie pas de paraître autre chose que ce qu'il est. Précisément. Double tranchant. Reste chez toi, Léonard. Mais "le bon côté" se laisse entendre. Aussi. Sandra est simplement porteuse du "dark side" of the issue. Et chez James Gray, c'est sans issue. Tout le monde sait ça. D'entrée.

Léonard s'est inscrit immédiatement dans le regard de Sandra, quand elle l'a vu, la première fois, entraperçu, dansant avec sa mère à l'arrière du magasin de la famille Kraditor. Ce serait une belle image, que nous ne verrons pas. Nous l'imaginons bien, pourtant. Mais le plus important : il faudrait parvenir maintenant à ce qu'elle s'inscrive dans son regard à lui. L'homme qui aime faire des photos sans personne dedans.



Gwyneth Paltrow dans Two Lovers


 
Je recommence.

Des images rêvées s'approchent, aussi, dans un léger glissement. De terrain, pourquoi pas. Changer de terrain. Aller jouer dans la cour des autres… A la fenêtre : la troisième femme ; on oublierait qu'elle est inaccessible, qu'elle vient d'ailleurs, veut (doit ?) y retourner (ne pas le faire serait mourir - "Assistant for life" - ; elle veut oublier sous X qu'elle vient d'échouer dans ce qu'elle ressent être le "trou du cul du monde").

La troisième femme, l'ailleurs (pas seulement "l'au-dessus", même si cet "au-dessus" engloutira tout), elle est jolie comme c'est pas permis. Pas que : on peut en rêver une seconde. Presque l'embrasser. Du pur présent. Sans avenir. Tiens, c'est déjà passé.

Léonard, bien inscrit dans une communauté, dans une famille à l'attention rapprochée, rêve de l'image impossible : celle qu'il ne photographiera jamais vraiment. Il sort la tête par la fenêtre, brandit son appareil photo : à l'étage au-dessus, en face, Michelle se maquille. Est-ce qu'il la prend en photo ?... Il veut attirer son attention : avec le flash, cet éclat qui fait souvent reculer, qui paralyse. Ici, c'est comme une illumination. Et comme un papillon. On peut bien s'enflammer un peu. La photo de Michelle ?... Pas vu.

Quelques plans plus tard, nous découvrirons des photos du visage de Sandra. Tout est là. En ordre. Le flux fut doux. Le reflux rappelle Léonard, l'homme-vague. L'homme vague… Dans son aquarium.



A suivre…
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3 novembre 2008 1 03 /11 /novembre /2008 01:05


***SPOILERS*** inclus, toujours…



D'après Honoré d'Urfé...


Rejoindre un cinéma le matin est contre ma nature. Et je n’avais pas l’envie spontanée de voir ce film. Cela arrive… Il ne se jouait plus qu’une fois par semaine, je sentais qu’il allait quitter les écrans : je décidai que trop de voix semblaient le défendre joyeusement pour que je me laisse le rater.

Au bout de quelques minutes, je me dis que je pourrais facilement refuser ça. D’emblée. Ne serait-ce que par fatigue : ne pas avoir envie d’entrer dans ces phrasés-là, dans cette diction, dans ce mariage entre nature (et lumière) brute(s) et savants artifices….

Mais : à quoi bon ?... Je peux me réjouir, aussi, que cette parole décalée m’arrache au présent plus sûrement que bien des costumes et décors dispendieux, tels ceux que livrent le plus souvent les films situés dans d’autres temps. Vaines tentatives sur lesquelles viennent se fracasser les corps, les intonations et les regards d’acteurs brandissant leur bouclier Actors Studio ou assimilé, mais ne suintant d’abord, ordinairement, que les vulgarités ou les charmes de notre air du temps. Mais passons, ou j’y reviendrai, et donc, assez facilement : je recommence…

Au milieu des gaulois du Vème, rêvés par le XVIIème, etc… Au milieu de la nature, surtout. Et comment les corps peuvent jouer dedans, avec, et se jeter dans des cours d’eau pour renaître, et comment les arbres peuvent devenir de vivants poèmes…

Il s’agit d’épreuves à l’amour, des preuves de l’amour, ou d’une épreuve de l’amour (avec toutes corrections possibles ou inenvisageables, à vouloir suivre ou non Galathée ou Hylas)… Il faut du souffle pour tenir tout cela, démêler la fidélité à l’autre et à soi, du souffle pour chanter l’autre, ou simplement jouer de la flûte, douter qu’heureuse sera la chute… Mais comme les arbres vibrent, l’herbe se couche, les robes se gonflent, et les chevelures dansent : bon vent à la douleur. Tout ira bien.



Les Amours d'Astrée et de Céladon


Tout ira bien. Mais mine de rien : il faudra emprunter de drôles de chemins ! D’une époque à l’autre, d’une condition à l’autre – plus discrètement -, et, surtout, d’un sexe à l’autre. Le plus tranquillement du monde, le parcours des amoureux repose sur trois travestissements de l’amant : pour la découverte de l’amour, pour la préservation de la fidélité, et enfin vers les retrouvailles, illuminant dans un heureux trouble toute la dernière partie du film.

Plus que ça même : grand bol d’air. Scène finale éblouissante, joyeusement étourdissante, lorsqu’on a pu rester avec le film : le jeune homme travesti en femme échange des bisous pas possibles avec son aimée, elle-même toute à la joie de câliner sa nouvelle grande copine. Et cela dure…

Cela dure : le temps du trouble, le temps d’une accélération du sens, et des sens, de quitter les épreuves, retrouver les mots justes - « Vis, vis, vis ! » -, et sentir s’harmoniser ce qui a précédé, de jolies rimes discrètes (les cuisses hautement découvertes de Céladon, puis, plus tard, d’Astrée) en douces confrontations (la nature embrassant les bergers, les jardins réglés des Nymphes)…

Pour s’éveiller, se préserver et s’affirmer homme, Céladon se sera donc fait femme par trois fois. Ce n’est pas rien que ce conte-là. Nous voilà rendus loin des imageries et des morales rances de bien des films qui se voudraient modernes, ou même plus simplement dans l’air du temps (au sens faible). Et dans cette partition masculine de plus en plus complexe, Andy Gillet s’impose au fil du film, sans tour de force, humble et élégant, jusqu’à révéler une présence d’une intensité et d’une ampleur étonnante pour un si jeune acteur, au premier abord si lisse. 

Alors pour qui trouve son pas dans la danse, voilà bien une oeuvre vers l’enchantement, d’une sensualité rare pour ces dernières années. De toutes les distances que le film d'Eric Rohmer interroge, l’originelle séparant Astrée de Céladon est donc littéralement comblée, et non pas annulée, bien au contraire : au comble de la fraîcheur, de la vitalité, de la joie. A bouche que veux-tu. 



Un film d'Eric Rohmer

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16 septembre 2008 2 16 /09 /septembre /2008 22:00

Au-delà des ***SPOILERS***…

Prologue : Cristóvão Colombo, O Enigma s'ouvre sur des lettres, d'il y a longtemps… Des mots et de l'Histoire… Le film s'inspire d'un livre, signé par Manuel Luciano da Silva et son épouse, et retrace cinquante ans d'enquête commune sur Christophe Colomb, initiée par la passion de Manuel : une recherche, leurs vies, des vies, entre Portugal et Etats-Unis.



Christophe Colomb, l'Enigme


1946, émigrer : Manuel, dix huit ans, et son frère, vont quitter le Portugal. Manoel de Oliveira nous propose une reconstitution historique en toute légèreté, alternant plongées et contre-plongées pour capter ce qui nous renvoie à l'époque. Voilà qui vous sauve un budget !... Voilà surtout ce que nous rappellent nos plus belles villes : en quoi elles deviennent autant notre présent que notre histoire. Voilà, aussi, ce qui peut faire dialoguer terre et ciel à échelle humaine… Alors, c'est déjà tant…

Un plan fixe de ciel aux nuages presque immobiles suffira à lancer un long voyage vers les Etats-Unis.

Sur le bateau, un homme parlant de sa femme et de leurs enfants : "Il faut que l'on se réunisse". Le plan suivant révèle une promiscuité avec d'autres émigrants. Il faut que l'on se réunisse. Des visages à peine sauvés de l'obscurité par une lumière faible mais chaude.

Et là, je me souviens que les personnages partagent une parole rare au cinéma, souvent rejetée, qui a à voir avec l'énonciation, voire le récitatif dans les opéras : ils racontent. Tout le monde raconte. Et se raconte. Ou raconte l'autre. Tout est histoire, récit. Comme souvent chez Oliveira, mais aussi : ne s'attache-t-il pas toujours à ce que l'on raconte (ainsi Le Jour du désespoir, Le Cinquième Empire, Un Film parlé…) voire à ce que l'on se (la ?) raconte à soi-même (Le Val Abraham, Le Couvent, La Lettre…) ?

Pas de "dialogues naturels" ici, dans leur absence trop régulière d'écoute, mais des transmissions. Ou des tentatives de transmissions. En partage. Et c'est comme une évidence que la langue portugaise s'épanouit magnifiquement, à l'oreille, dans ce registre-là.



Un film de Manoel de Oliveira


Nous voici aux Etats-Unis… Le nouveau monde… Et c'est la brume… Voilà qui vous re-sauve un budget !... Voilà surtout qui peut suffire à évoquer un doux désenchantement, sans verser dans l'amertume. Voilà qui offre une série de scènes visuellement somptueuses dont ma préférée reste sans doute : la Statue de la liberté dans le brouillard. La liberté floue…

Mais il n'est pas temps d'être triste, Manuel et son frère s'amusent à découvrir les feux rouges et verts qui règlent ici la circulation : les couleurs du drapeau du Portugal…

Et nous sommes passés de l'émigrant à l'immigré. Alors il s'agira aussi, joyeusement, et peut-être à l'échelle d'une vie, de découvrir dans la terre d'accueil les signes de sa maison intime.

1957 : aparté dans le Massachussets où Manuel, dont nous découvrons qu'il est médecin, tient une petite conférence. L'homme de science défend son autre passion : son exploration de l'Histoire. Il défend sa démarche, appuie sur sa compétence scientifique en matière de diagnostic : envers un patient, ou une archive… Cet homme est-il médecin ou chercheur ?

Il plane comme un mélange de respect et de douce incrédulité, voire d'ironie, parmi ceux que l'on imagine des membres du corps médical, en face, dans le contrechamp peut-être le plus direct et le plus frontal du film. Il sera admis que Manuel est médecin ET chercheur. Comme il sera admis qu'il va se marier ET a une maîtresse : ses recherches sur Christophe Colomb…



Porto da Sua Infância…


1960 : mariage à Porto et lune de miel studieuse… Les jeunes mariés vont traverser le sud de leur pays natal, l'Alentejo puis l'Algarve, sur les traces possibles de l'explorateur.

Dans le petit village de Cuba, nous apprendrons la disparition d'un des anges gardiens d'une des nombreuses chapelles du site : la statuette (habillée de rouge et de vert) a été volontairement brisée sur le parvis de l'église lors d'une guerre ou d'une révolution (là, c'est ma mémoire qui flanche…).

Serait-ce donc la silhouette déjà aperçue au début du film, vêtue des couleurs du drapeau du Portugal ? Cette jeune femme tranquillement espiègle, entre sabre et bottines à talons aiguilles, que nous rencontrerons de plus en plus souvent maintenant jusqu'à la fin du film ? Voilà qui serait joyeux… Cette présence muette, et pour le coup énigmatique, non dénuée d'ironie mais surtout bienveillante... Sauvée ?

Il s'agirait aussi, dans un même mouvement toujours, de sauver présent et passé, de rendre hommage, et déjà au travers de sa langue, de ses villes, de ses paysages, et bien sûr de son histoire, à la grandeur du Portugal. Et pas que…

Cette seconde grande étape du film rejoint la pointe du pays, au Cap de Sagres, jusqu'à embrasser l'horizon entre ciel et mer, où Sylvia, et Manuel en écho, envoient  des mots…



Le cap de Sagres


De l'autre côté de l'océan, 2007 nous attend : Sylvia et Manuel, à New York, observent un monument hommage à Colomb duquel se détache, aux yeux de Sylvia, un ange protecteur.

Alors, très vite, aux alentours d'Ellis Island, frémit un dialogue simple et vertigineux à la fois entre les deux amants… Parce que Sylvia, après cette longue route commune, a quelque chose à dire, à demander… Ou simplement pour échanger, encore, car elle connaît les réponses, et cette liberté des liens que l'on choisit peut-être. Et leurs sourires me bouleversent.

Sylvia, l'ange protecteur de l'explorateur Manuel ?...

Mais je redeviens sentimental, alors qu'un nouveau musée nous invite ! Enième plan épuré et magnifique : la maquette d'un navire de Vasco de Gama, sous verre (ci-dessous). Soit : le reflet de Manuel, l'arrête du cube en verre, les amants légèrement séparés par les mats en même temps qu'embrassés par la face vitrée, une autre arrête, puis le reflet de Sylvia.

Et là…


Manuel et Sylvia


Il suffira de se retourner. De recommencer. Avec la maquette de la caravelle à bord de laquelle Magellan aura fait le tour du monde. Et cette fois : le reflet de Sylvia, l'arrête du cube en verre, les amants légèrement séparés par les mats en même temps qu'ils sont embrassés par la face vitrée, une autre arrête, puis le reflet de... Sylvia et Manuel ensemble.

Alors, un plan écho des deux amants quarante-sept ans plus tôt, au cap de Sagres, affleure : Manuel et Sylvia, côte américaine, moins lumineuse, mais cela reste l'océan, le ciel, et le Portugal, alors, comme à portée de regard. Ou Colomb. Ou les explorateurs. Ou tout ce qui a goût d'infini, de par le monde…

Deniers instants du film, Porto Santo : Sylvia et Manuel entrent dans la maison de Christophe Colomb. Avec l'ange. Avec
Luis Miguel Cintra… Toujours ce plaisir des retrouvailles, après Léonor Silveira, António Reis, José Pinto, et bien d'autres, cette dimension familiale du film - Manuel et Sylvia étant interprétés pour la période contemporaine par le réalisateur et son épouse -, et alors, pour beaucoup sans doute, ce trouble, dans le dernier échange du couple :

Manoel - Nous sommes en devenir permanent.
Maria Isabel - Le devenir, c'est la nostalgie.

Un instant encore, pour chanter la saudade, pour une dernière belle échappée entre ciel et mer, et pour la saudade encore… C'est fini… Et maintenant : il faut vivre.



Manoel et Maria Isabel de Oliveira


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30 août 2008 6 30 /08 /août /2008 21:00



Le Premier venu



La première scène m'aura inquiété : crainte de la laideur possiblement persistante de l'image vidéo, d'une écriture de dialogues aux angles trop saillants, d'une direction d'acteurs qui échoue…

Là, quand je ne cède pas à la fatigue ou à la paresse, je me rappelle : il faut recommencer. Comme cinq minutes plus tôt. Juste avant que la première image n'arrive. Quand on espère avoir laissé toutes les tentations de prêt-à-penser, comme de prêt-à-ressentir, dans la rue. Quand ça va commencer… Faire à chaque fois le vœu de pouvoir être avec.

Ce qui encourage, par exemple : sentir tout de suite les prises de risque. Je trouve que : en soi, cela ne sauve pas. Mais : pas si fréquent. Surtout dans la discrétion. Et dans la confiance. Des invitations : rien qui cherche à s'imposer.

Quelquefois, il me faut recommencer plusieurs fois, pendant un film, pour ne pas seulement me heurter à ce qui - on dit comme ça - me défrise (angoisse du temps perdu vu ma raideur capillaire innée).

Mais ici : la première fois aura été la bonne.




De certains regards...



Intense sentiment que Jacques Doillon fait vœu de liberté. Dès : l'écriture. Très vite, la liberté narrative me chavire… Devenue rare, aussi. Imprévisibilité de ce que chacun deviendra dans la scène suivante. Ce qui prend de court, et ce qui en donne à voir long, ne puise pas dans de sophistes artifices, et/ou des wa-waouh twists, mais : le simple retour des possibles. Le vivant en mouvement, en oscillations fluides. Avec pour garde-fou : le dos tourné à la facilité.

Dès la première scène - pour le coup -, la jeune femme incarne cela très directement, littéralement : maintenant, on va tourner le dos, définitivement, à la facilité. On va voir ce qui est possible. On va voir ce qui EST. Possible ?... L'autre versant de cette montagne surgissant soudain : la résurrection de l'autre. L'autre, si souvent oublié : ce grand inconnu, irréductible à une fonction, une action, un genre, une intrigue, comme au(x) regard(s) porté(s) sur lui.

Liberté, donc : des prémisses de l'écriture jusqu'au bout du tournage, dans sa nature même. Je crois, aussi, qu'il est une liberté qui n'affleure que dans un au-delà de la maîtrise. Pas avant. Celle-là que Doillon attend : il multiplie les prises pour ses scènes, énormément pour notre époque rationnalisée, quand, à l'image, on croit voir naître de purs "premiers instants". Imprévisibilité, profonde donc, de ce qu'il adviendra… dans le regard suivant.

D'autres approches me sont autant voire plus chères, et celle-ci semble suivie par de moins en moins de gens maintenant, je ne sais pas, mais, à mes yeux : quel beau film !... Il y a sans doute des accrochages, des ratages, voire des complaisances, mais surtout : des moments de grâce, de belles échappées, du souffle.

Dans une palette inaccoutumée, doucement et étrangement belle - gris, bleus, verts-, le film n'en finit pas de s'ouvrir, sous son soleil d'hiver. Fort de sa distribution admirable, il déploie sereinement ses plans séquences sans tentation du tour de force : dans l'accompagnement, chaleureux et inextinguible. Aller, comme on dit, au bout de la scène. Le plus loin possible en tout cas. Dedans. Là où l'on ne s'y attend… plus. Et regagner les visages, tous les visages, par vagues, les caresser, et reprendre du champ, et de la plage, et saisir ce moment : où la lumière n'est plus seulement affaire de " photographie ", mais d'incandescence des êtres.




Nature vive…

 

Gérald Thomassin est exceptionnel : à pleurer de reconnaissance(s). 



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6 août 2008 3 06 /08 /août /2008 01:45


Aguirre, der Zorn Gottes



Plan prodigieux, dès l'ouverture, qui glisse à flanc de montagne et se laisse peu à peu approcher - gagner ?  - par une expédition insensée de conquistadores… 

Rugissements du perpétuel écoulement d'un fleuve qui se met à chuchoter, laissant jaillir le silence quand soudain la jungle se tait…

Etrange bateau rêvé à la cime d'un arbre, ou cheval lentement englouti par la jungle…

Ahurissantes séquences finales de cette agonie ad libitum, où des singes pullulent en cellules sur les déchirures d'un radeau…

Je trouve que : déjà de quoi être, oui, médusé, tant bien même ma sensibilité m'attire vers d'autres rives. Et, tant encore… Ce film d'un peu plus de trente-cinq ans, littéralement extra-ordinaire, est revenu secouer quelques écrans de France depuis le 9 juillet…



un film de Wener Herzog



Le film ne relaterait qu'une tentative de conquête espagnole au XVIème siècle : cela pourrait suffire, avec ses lots d'avidités ambitieuses, de matérialisme triomphant, de religion aveugle et obscurantiste, de barbaries vulgaires ou sophistes… Cela pourrait suffire à rappeler beaucoup.

Mais c'est l'Eldorado - itself ! - qui est ici convoité… Alors, outre les figures coutumières du "petit pouvoir deviendra grand" - et génocidé qui mal y pense -, émerge nécessairement la figure d'un Aguirre. Puisqu'à l'inaccessible, Aguirre est tenu.

La mégalomanie vénéneuse d'Aguirre transpire dès l'ouverture. Le déroulement du film n'est que le déploiement de celle-là, au fur et à mesure de la ruine collective. La déchéance et la démesure inaugurent le film et nourrissent une spirale inflationniste jusqu'à - au-delà de ? - l'enfer absolu du final : un grand rêve aryen... César ne règne que par l'espérance…  De tous ceux qui rêvent d'être César… Et les " héros " ne se distinguent peut-être des Aguirre que parce qu'ils n'ont pas - encore ? - échoué… Sommes-nous tous ego, et certains un peu plus que d'autres ?…

Mais encore : à quel moment, les possibles de la grandeur et du sublime de l'être humain, dans l'affirmation de sa liberté, dans la vitalité de son face à face conscient avec la mort, à quel moment tout cela devient-il malade et peut-il basculer dans l'horreur ?... Dans l'anéantissement… La force trouble et obsédante de ce film peut aussi se nourrir du vertige de sa réalisation même. Le chemin d'Aguirre ne saurait surprendre mais il génère d'autant plus l'effroi que la quête hors-norme de Werner Herzog lui-même nous évite les pièges de la bonne conscience à peu de frais : Herzog parti, avec sa caméra volée, sans story-board ou assimilé, confronter l'Amazone à ses désirs ; enrôlant Klaus Kinski si sciemment choisi ; s'accommodant, avec une équipe technique plus que réduite, de conditions de sécurité discutables - ou pas, TOIQUIVOIS - ; prêt à mourir plutôt que de ne pouvoir terminer son film comme le veut la légende… Herzog parti questionner le vertige… l'étreindre ?…   

Dans son combat, Werner Herzog aurait donc tenu bon la barre. Il en rapporte une œuvre duale à souhait : documentaire et onirique, misérable et somptueuse, envoûtante et répugnante, épique et dérisoire, démente et maîtrisée… Héroïque ?



avec Klaus Kinski


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15 juillet 2008 2 15 /07 /juillet /2008 01:30

Dernier retour sur No Country for Old Men, ***SPOILERS*** compris, cette fois… Impressions persistantes…



Ne pas jouer...



Cela peut-être quoi, aussi : mettre en histoire et en scène un personnage de tueur en série ?... Poser la question nue de l'empathie. De sa possibilité. Du moment où cela, peut-être, devient impossible. La figure du tueur en série interroge - en tout cas dans certaines fictions - la limite de l'universalité.

C'est quoi : croire que l'on peut - un tant soi peu, à peine peut-être, mais quelque chose - comprendre l'autre ? Un terreau commun. Au fond. Sans nier l'altérité, est-ce qu'il y a quelque chose à partir duquel je peux reconnaître ? Même si… l'horreur. Même si Hitler.

Il faut dire d'où l'on parle - une de mes croyances - pour délivrer ses propres approches. Je parle de l'endroit où des gens croient qu'il y a quelque chose de commun. Dans cet endroit où vivent les actrices et acteurs que je préfère : qui interprètent un rôle, non sous l'angle privilégié d'une autre vie à "performer", mais dans la recherche première de l'autre en eux. En quoi l'autre est eux, aussi.

On peut croire tout à fait le contraire. Comme on peut croire que la violence n'appartient qu'à d'autres, etc. … Ce n'est pas ma croyance.

Je recommence.



Where art thou ?...



L'espace du film est le déploiement d'un jeu, peut-être le plus légitime, car le plus originel, et celui qui se fonde sur une altérité radicalisée : la chasse… Ce ne sera que du temps qui lacère visages et terre, tandis que l'on tente de le tuer. Que du mouvement de survie, du jeu à tenir debout, encore. Il n'y a pas de héros. Mais : des chasseurs et/ou des proies. Voir, entendre, sentir et/ou être vu, entendu, senti. Les deux en même temps ?

Autant dire que je ne suis pas un expert de la chasse : impression formidable - erronée, vu mon ignorance ? - que la mise en scène nous plonge au cœur de : se cacher, se découvrir, traquer, être traqué, déceler les traces, en laisser… Les hommes - les vivants et les morts -, les animaux, les objets… Des histoires de surfaces, d'œil, d'oreille : des histoires de cinéma. Quelque chose comme ça. Et : qui visent le présent… à le rendre tangible.

Toutes les scènes de chasse me comblent, avec un vertige particulier pour celle qui s'inverse - scène exactement située au centre du film - entre Chigurh et Llewelyn, passant par une perte fugitive mais totale des repères : climax d'une violence souveraine, et tout à coup, vers l'abstraction, qu'est-ce qui se passe ?, d'où ça tire ?, ne plus rien (sa)voir… L'autre n'est plus résumable au pôle opposé, ne se distingue plus assez : terreur, dans la chasse...

Se rappeler comme la survie de Chigurh s'assure aussi par cette maîtrise (ou par cette essence) : ne pas laisser de traces… Do you see me…  L'homme qui tire sans balle… Rien… Ce n'était rien… Il ne s'est rien passé… Un corps est tombé… Presque tout seul.

Et chasser, aussi : évacuer, faire partir, tenter de faire disparaître. Et je peux jouer à : Llewelyn chasse l'avenir (/traque) et le passé (/évacue) ; le Shériff chasse le passé (/traque) et l'avenir (/évacue) ; Chigurh chasse doublement le présent, figure démesurée de présent pur ET son impossibilité. Du sang qui coule au sol : déjà du passé. Du présent qui voudrait durer. Alors Chigurh lève les pieds. Et cela signera une autre fin…



Un homme là et pas là…

   

Un autre jeu glace le film en contrepoint de la chasse… Pile ou face ?... Et finalement, quelqu'un qui reste en vie : c'est amusant ?... Entendre le changement radical de ton de Chigurh sur la fin de la scène à l'épicerie. Est-ce que Chigurh ne re-donne pas la vie (autant qu'il peut l'annuler avec ce jeu) ?... Call it… Ou assiste simplement à une naissance ? Est-ce qu'il attend qu'on la lui rende ? Pas : la monnaie de sa pièce. Mais : insondable beauté de l'accident de voiture.

Voilà ça y est, confirmé, redit : c'est le quart d'heure de folie de D&D.

Comme si Llewelyn, dans sa première scène, avait blessé le chien, montage… Alors que ce n'est pas lui, nous l'avons vu, de nos yeux. Mais ça va venir… La survie transmue chacun en tueur, peut-être pas en série… mais le Vietnam est tapi.

Qu'est ce que je raconte ? Le geste répété : c'est deux mains que séparent un billet. Etre à deux doigts de l'autre, mais contact direct impossible. Etre dans une transaction qui n'en finit pas de mal se passer. 

My mind wanders…



 … ou barbarie ?…



A propos d'être à l'Ouest - où, en effet, rien de nouveau, mais quel trait direct, sec et beau -, je m'étonne du mode sur lequel de nombreux spectateurs ont exprimé leur décontenancement (pour le moins) face à la fin du film. S'il y a bien quelque chose que je trouve brillant… A partir de : le dernier massacre… Et le Shérif qui arrive juste après - un tantinet trop tard -, et nous avec : ce moment où les deux sources d'identifications entretenues pour le spectateur vont se couper. Alors qu'elles se croisent pour la première fois, ces deux sources se tarissent. Llewelyn, c'est net. Le Shérif, une agonie.

Fausse piste, à mes yeux - peut-être écho réel au livre, je ne l'ai pas lu - que celle d'un parcours réactionnaire. No Country for Old Men... Le monde serait devenu si violent, tant de valeurs auraient été perdues, que ceux qui en avaient - en tout cas celles-là -, ne peuvent plus y vivre ?… Je trouve que : bien plus complexe et plus poignant que ça. Dans ce film dont l'histoire s'effeuille, en ouverture et en clôture, dans l'après d'un carnage.

Alors je continue, depuis le début…

Une parole est enregistrée, celle du Shérif en fin de parcours, et traverse tout le film : son questionnement inquiet… L'inquiétude du Shérif deviendrait la raison de son renoncement... Or, ce n'est qu'un alibi : la scène de dialogue avec le vieil Ellis qui rappelle que l'horreur, celle sur laquelle le Shérif bute, a toujours existé,.et son beau dén(o)u(e)ment sur la "vanité "…

Le parcours du Shérif a commencé sur cette prière - celle qui clôt l'extrait vidéo de mon premier article - : ne pas affronter quelque chose que je ne comprends pas… Mais la question se déplace : est-ce que je ne peux plus soutenir parce que je ne comprends pas ? Ou : est-ce que je ne comprends pas parce que je ne peux plus soutenir ? Parce que je ne peux pas reconnaître, même embryonnaire, ce possible-là, au plus profond de moi, parce que j'ai peur, et je ne peux soutenir cette peur, parce que mon père est mort, il est devenu mon enfant, personne ne pourra jamais plus me consoler, me protéger…




Trou d'air...



Cette dernière scène du film, le Shérif qui raconte son rêve, m'apparaît en échange remarquable entre ce hors champ du rêve et le regard de sa femme en face. Qui fait face. Et est avec. Pas qui est en face et fait avec !… Ne pas refaire trois pages sur la manière dont ce film décrypte la maison des hommes et comment deux femmes, presque à la place que ces histoires et ces sociétés leur assignent, incarnent malgré tout, absolument, la maturité et la résistance…

Par-dessus tout : Carla Jean… Ce qui l'emporte, je trouve, dans ce monde d'hommes, filmé comme tel : le plus beau personnage, finalement, c'est elle. Ce n'est pas aux côtés du Shérif, ni même de Llewelyn, que le film propose de nous emmener, mais : Carla Jean. Ou : c'est les deux. TOIQUIVOIS. Mais la liberté, la révolte et la pensée : elle, de son côté.

Alors : est-ce qu'il y a un endroit pour vivre, entre la chasse au mammouth et la résignation totale à l'absurde ou au principe supérieur (les deux flirtant joyeusement chez Chigurh) ?

Il n'y a que ça. Il n'y a qu'à : vivre. Etre là. Dans son propre vivant et son environnement. Et sans légitimer la force de ces femmes par leur fonction matricielle - tandis que les hommes chassent. Elles n'existent pas, ici, en tant que mères. Et c'est une bonne nouvelle. Aussi.

Même si… C'est une aube magnifique et terrible. Et, vraiment : ce pays n'est pas pour les enfants.



Une filmographie en 11 temps, et semble venir…



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12 juin 2008 4 12 /06 /juin /2008 20:19

Ce premier billet sur ce film se passe, pour une fois, de spoilers… Rien de calculé : ce n'est que le fruit du hasard…




diurne et nocturne


Ouverture : une aube en onze ou douze plans, et la voix de Tommy Lee Jones au début d'une sorte de confession presque d'outre tombe. Je suis tenté d'entendre dans ce monologue récurrent le cœur de la "bande originale du film".

Nous assistons à une aube magnifique, et terrible. Onze plans fixes, peu à peu soumis à la brûlure du soleil, avec pour signe de vie perceptible : un peu de vent...

Je ne le sais pas encore, mais je suis déjà conquis. Et semble venir dans un souffle plus intime, le douzième plan, un panoramique…

… La caméra finira son léger voyage vers le dos massif et s'éloignant d'Anton Chigurh, pour son arrestation dérisoire, provisoire. On connaissait The Undead : Chigurh pourrait être The Unalive. Un possible du mal absolu. Trou noir.

Alors, au fil de la projection, à chaque fois : terrible, et magnifique. Renversant de beauté, de maîtrise, de cohérence…



orange et bleu


Je suis surpris, aussi. No Country for Old Men ouvre pour moi un autre espace dans la filmographie des frères Coen… Après Fargo, leurs films avaient plutôt cessé de m'interpeller : pas de résonance. Parfois du charme, du plaisir, voire du Georges ;-), mais surtout une forme - même virtuose - totalement vaine, hautaine ?…

Et là : quel plaisir dans ce nouvel espace, quel retour en force du vivant, dans l'intense paradoxe d'un film qui nous demande s'il n'est pas (toujours ?) déjà trop tard… 

J'avais pu singulièrement et ardemment aimer Barton Fink et Fargo… Pour la première fois : je respire… Les Coen me semblent filmer depuis/vers la vie, et non plus depuis/vers leur savoir-faire, leur intelligence, et leur ironie…

Costa dit, dans une interview, quelque chose comme : il y a les films qui naissent par amour des films. Il y a les films qui naissent par amour de la vie...

Je recommence.



noir et blanc


J'ai besoin que les films naissent par amour de la vie, ou qu'ils rejoignent ce désir et cette nécessité de filmer le mystère du vivant : ce sont les seuls que je peux reconnaître… Que la forme soit  classique, ou peu, ou pas du tout, fervente ou désespérée, etc.… D'autant plus puissant que cela me semblera originel. A la racine.

Au fond, avoir envie de faire des films parce qu'on les/en aime relèverait plutôt de la moindre des choses : le "pourquoi" faire des films, et non de la peinture, de la musique, TOIQUIVOIS… Mais le désir incontournable : le vivant.

Et je trouve que : idéalement, c'est en même temps. C'est en même temps que le lien au vivant et au cinéma s'exprime pour le réalisateur. La forme cinématographique qui viendrait seulement "après" : un cinéma de "moyens", scolaire, laborieux… La forme cinématographique qui serait la première racine : un cinéma d' "attitude", des petits ou grands malins, des démiurges ? Dans ma perception, ce que j'en comprends et tente ici de formuler.

J'en suis là. Et pour les beaux films, alors, cela me donne tout autant Inland Empire que Iwo Jima. Ce ne sont que des exemples… Je schématise à outrance : est-ce que c'est du cinématographe ? est-ce que c'est connecté (au vivant) ?... Les deux mon capitaine, ou mon regard n'accroche pas.

Aujourd'hui, ça donne No Country for Old Men.



foisonnant et brûlé


Très vite… La distribution et la direction d'acteur relèvent des plus remarquables et des plus homogènes, au moins depuis le 1er janvier. Qui écraserait les autres ? Qui démériterait ? Chacun est filmé avec la même attention, la même justice. Cela m'importe. Beaucoup.

Et cette lumière, ces cadrages, ces axes et ces mouvements de caméra : je ne crois pas que ce soit très proche de moi, de ma sensibilité… Non. Mais je reconnais totalement. Rien ne m'éjecte. Rien qui bascule dans le surfait, ou la putasserie, ou le laborieux, ou le vain…

Le travail sur le son se distingue comme encore trop rarement. Sécheresse, précision extrême, intensité, et pas de musique illustrative ou faisant la belle pour elle-même, ce qui contribue aussi à ce déploiement du souffle - et souvent, alors, le couper brutalement.

Tout cela me plonge dans quelque chose d'extrêmement sensuel, au sens le plus simple : il ne s'agit pas vraiment ici d'un traité d'érotisme, simplement, tous mes sens y sont en éveil, sollicités, certainement mis à l'épreuve, mais jamais oubliés, ou insultés…

Sensation de maîtrise rare de la réalisation, travail confiant avec le temps. Sans étouffement : pas la maîtrise du "control freak". Respiration. Ample. Oui, pour la première fois dans leur cinéma, je trouve, pas seulement du talent, du brio ou de la virtuosité : de la grandeur.



soulevant et écrasant


Et je ne vais encore pas savoir dire ce qu'est la grandeur pour moi.

Ce sentiment-là. Cet appel-là.

Mais je trouve que : ce n'est pas réductible à la hauteur de vue. Il y avait ça aussi, jusque là, quand même, dans le cinéma des frères Coen, cette hauteur de vue, et très consciente d'elle-même, qui invalidait pas mal de choses. A moins de raffoler des clins d'oeils complices entre happy fews plus ou moins tremblants (de rire ?), plus ou moins sincèrement…

Alors, qu'est-ce qui le distinguerait d'un chef d'œuvre absolument incontournable ? Intuitivement, je dirais : la grâce. De la grandeur, donc, mais pas, ou peu, de grâce. Mais je l'aurais moi-même mauvaise - la grâce, oui, oui, quel humour, vraiment… -, de ne pas simplement applaudir à tout rompre... puisque même le sortilège est ici rompu - décidément, on n'en peut plus de rire...

Terrible, et magnifique.



devine...


Suite et fin au prochain épisode…


PS : j'attends tout de même avec empressement de revoir Barton Fink et Fargo en salle. J'en garde le souvenir de deux beaux films, importants, ou la grandeur, déjà affleure… Mais je ne me souviens pas d'avoir respiré librement…

PPS : le court extrait qui suit, et dont je ne suis malheureusement pas parvenu à affiner la qualité visuelle - avec notamment une saute, un noir, qui ne provient pas du film -, s'ouvre donc sur le "douzième plan", le léger panoramique... D'ailleurs pourrait être évoqué un "plan zéro" : le noir, qui précède les plans fixes de l'aube...







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