Je regarde le film. Je me dis que je ne comprends rien. Par moments, j'ai l'impression de comprendre un "truc", mais comme je trouverais ça affligeant de lourdeur et facilité, je désamorce aussitôt et je me répète : non, ce n'est pas ça, tu ne comprends pas. Respire et recommence. Pour partie, c'est intuitif et immédiat, c'est un rapport aux aspects "graphiques", "plastiques", du film - ce ne sont pas des mots que j'ai l'impression de maîtriser - mais c'est par là. Pour partie, c'est la persistence d'une conjonction qui a fini par me donner envie de voir le film : je n'ai jamais vu un film d'Harmony Korine et j'étais curieux que ça arrive ; Spring Breakers avait l'air d'intéresser beaucoup de monde. Arrive la scène dans la propriété du dealer black, et j'en suis au même point : le "truc" me prend à la gorge, et la consternation pointe, je désamorce : je ne comprends rien. Mince, c'est fini.
Je discute un peu avec les amis. Je laisse décanter à peine. J'ai l'impression d'attendre une révélation : "bon sang, mais c'est bien sûr"... Et vais donc me plonger assez vite dans l'enthousiasme de la critique... Et : pas de bol, parce que ce serait finalement super bien à cause... du "truc" que j'ai passé le film à écarter. Il est question d'"état terminal du contemporain et de la civilisation capitaliste", de "l'hédonisme, le consumérisme et le matérialisme incarnés jusqu'au délire", d'un nihilisme de la jeunesse et de l'époque, et leur vulgarité, et de "Korine a compris que les images de l'époque valaient tous les commentaires sur les images de l'époque". OK. Dommage (en tout cas pour moi). Si c'est vraiment ça, le "traitement" me consterne. Mais je crois pas.
Si j'ai écarté le "truc" en permanence, ce n'est pas seulement parce que je trouve ça pas possible de lourdeur et de facilité, mais aussi parce que Korine m'a l'air plus fin et/ou compexe que ça (me paraît très évident par exemple que le rapport avec Britney Spears n'est pas du tout pour lui celui très paresseux de la presse française... et si vraiment il s'avérait l'être : quel intérêt ?). Mais peut-être que Spring Breakers n'en est pas autre chose qu'une lointaine trace. Peut-être que Spring Breakers a davantage à voir avec un geste très léger de quelqu'un qui à un moment a le désir (pas cynique, mais un peu malin ou fatigué) de jouer la carte d'une forme de reconnaissance et/ou de succès possibles, qu'avec, disons, un "geste politique fort" (tout le monde convoque Godard). J'ai l'impression que c'est possiblement bêtement ça. Peut-être aussi que Spring Breakers est à regarder totalement autrement, qu'il faut ne s'attacher qu'à son aspet "plastique", peut-être que c'est passionnant par là. Je sais que ce n'est pas ma manière ou une de mes manières de voir les films. Je me dis que c'est dommage que quelqu'un comme Joachim Lepastier n'ait pas écrit sur le film. Sinon...
PS : marrant léger point de rencontre entre les filles en bikini, au moins les deux dernières, et Jessica Chastain dans le Zero Dark Thirty de Bigelow. Une volonté commune aux deux réalisateurs (peut-être) de sortir du psychologique à l'anglo-saxonne, qui devient presque forcenée (alors que je ne questionne pas du tout la légitimité de s'affranchir de la toute-puissance de ce principe directeur dans l'écriture de personnages). Bigelow ne tient pas son pari (la très malheureuse dimension personnelle que prend la traque après la mort de la collègue). Korine me semble le tenir, au moins pour les deux dernières filles donc, mais à tout prix, je ne trouve pas que ça produise quelque chose (encore une fois, autrement que "plastiquement").