Depuis le mercredi 30 mars dernier, le Reflet Médicis propose de découvrir Médée Miracle de Tonino de Bernardi. J'attendais de voir ce film depuis un certain temps (et j'avais pu croiser Rosatigre), et le voilà sorti en France presque secrètement. Comme je ne me sens pas spontanément proche du travail du réalisateur, ou je le crois, je profite d'une "rencontre" avec lui pour y aller, conservant cette impression que la présence de l'autre, ce que j'en perçois, m'aide parfois à approcher ce qu'il cherche.
Pour le film, je repasserai (et volontiers) : la séance était bondée, ce que j'avais oublié d'envisager n'ayant plus du tout l'habitude que ça (m')arrive ; j'étais alors bien trop mal placé pour dépasser un simple aperçu de la proposition (1). Bref, le monsieur arrive, il y a aussi sa fille, qui joue dans le film : leurs présences me séduisent immédiatement (ou je me séduis immédiatement avec elles). J'ai l'impression que ça a à voir avec la bonté, que c'est ça qui émane fortement d'eux d'emblée.
Sans doute, je ne peux qu'avoir envie de suivre une démarche qui privilégie le possible à la démonstration, l'ambivalence à la schématisation (ou la relativité à l'absolu, pour reprendre les mots que le réalisateur emploie). Mais ce qui pourrait aussi devenir réducteur via la formulation, si le volontarisme l'emportait sur la recherche dans le processus créatif, me semble bien étranger aux deux films que j'ai pu commencer à regarder : la nature profondément organique de leur cohérence me semble évidente, bien qu'intime, presque secrète. Pas étonnant alors pour MOIJE que ce réalisateur ait depuis longtemps souhaité travailler avec Isabelle Huppert, et réciproquement.
Le distributeur italien du film évoque à un moment la manière dont, selon lui, Isabelle Huppert accomplit un véritable autoportrait du réalisateur (et, selon lui encore, peut-être son plus grand autoportrait à ce jour). Et de ce que j'ai cru voir et entendre du film et de l'homme, je trouve ça très troublant et très juste. Cela me rappelle que j'aimerais un jour tenter de parler de cette différence entre les interprètes dont le travail se fonde et se nourrit presque exclusivement sur le/du personnage qu'ils jouent et ceux dont le travail intègre profondément l'œuvre. (Je le dis pour le faire).
Mais ce n'est pas pour Huppert que j'ai "craqué" ce jour-là (ça, c'est fait depuis longtemps), et il serait dommage que les allergiques à l'actrice se détournent de cet "italien en fuite". Tonino de Bernardi préfèrerait dire : "Je n'appartiens pas au cinéma italien" (2), mais se reconnaît aujourd'hui italien parce que les films qui tentent de naître dans son pays d'origine sont en danger, plus que jamais (et comme tant d'autres choses), avec Berlusconi et ses sbires. D'autant que quoi que je finisse par penser du film, et qu'il me plaise ou non, je ne peux déjà plus refouler cette intime conviction d'avoir vu un artiste, grand ou/et misérable mais rare. C'est le second film que j'aperçois de lui, et le premier en salle. Il a été tourné il y a quatre ans déjà. Il sort seulement maintenant. Dans une salle. J'ai l'impression que ces situations catastrophiques se multiplient, même en France, même à Paris. Mais j'essaie de préférer penser : tant qu'il y a des miracles.
(1) Je ne connais rien à Médée, comme je ne connais rien aux grands mythes : j'ai vu, avec beaucoup de joie, la Médée déjà interprétée par Huppert au théâtre dans une mise en scène de Jacques Lassalle ; aperçu le film de Pasolini aussi il y a longtemps ; je me souviens simplement de la version la plus courte et la plus célèbre, en tout cas en France, du mythe. Cela ne m'aura pas vraiment empêché d'en apprécier beaucoup le "miracle" ici.
(2) Tonino de Bernardi fait partie des réalisateurs qui ne définissent pas leur terre de manière "nationale", mais, bien sûr, selon une cartographie intime de spectateur où il peut citer Rivette, ou, par exemple… Oliveira. Alors, décidément, aussi : comment saurais-je ne pas vouloir l'aimer ? ;-)
PS du 21 avril : depuis une semaine, les séances se sont réduites au Reflet, mais le film se joue également ponctuellement à l'Entrepôt.
PPS du 26 mai : notes sur le film.