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22 mars 2008 6 22 /03 /mars /2008 00:32

  Episode précédent : … Des films et des vies






Pedro Costa : "Un jour, je suis entré dans le quartier avec des messages, des lettres, des cadeaux que les gens du Cap-Vert qui nous avaient aidés sur le tournage de Casa de lava m'avaient donnés à l'attention de leurs parents émigrés à Fontainhas. J'ai fait un peu le facteur...

et j'ai découvert un quartier que je ne connaissais pas - ce n'est pas un quartier qu'on va visiter comme ça, pour se balader.

Je parlais un peu créole, ce qui fait que j'ai peut-être été plus vite accepté. Et je suis resté parce qu'ils m'y ont invité. Ils m'ont dit : "Venez demain, on fera un dîner ! Venez après-demain, il y a le mariage de mon frère !..."

Alors j'ai commencé à y passer des journées, à traîner, boire, parler. Ca m'a beaucoup plu, ces choses que je devinais chez ces capverdiens, quelque chose de très concret et en même temps de très mystérieux : une espèce de tristesse, qui n'était pas loin, sûrement, de la mienne... Je me suis dit : peut-être qu'il y a quelque chose à faire ici, puisque j'y trouve un accord avec ma sensibilité et qu'en plus plastiquement, ça me plaît beaucoup.

Mais davantage que les couleurs, les espaces et les sons, il y avait la force un peu désespérée de ce groupe de gens très en marge, très perdus, très misérables et très invisibles. On a trouvé un fait divers pour faire Ossos, et après j'y suis revenu pour faire les autres films. " *






Avec Ossos donc, Pedro Costa commence à filmer les habitants de Fontainhas. On retrouve également l'immense Isabel Ruth - aussi pour elle que j'ai eu envie de découvrir ce film à l'époque. Mais la plupart des personnages, encore dans le sens traditionnel de la fiction, ce sont eux.

Le chemin de Pedro Costa m'apparaît si évident et si secret à la fois… Pour un cinéaste qu'on pourrait être tenté d'associer à la lenteur (de la création elle-même ? des plans ?), la vitesse de mutation de son travail est vertigineuse, et presque exponentielle.

Et face aux plans presque tous fixes de Juventude em Marcha : je ressens quelque chose comme cela, aussi, cette polarisation réconciliée de manière inouïe entre la vraie lenteur - du vivant ? - et la vraie vitesse - de ses éclosions ? dans un clin d'œil, nous serons tous morts, et pour beaucoup (la plupart ?) : assassinés. Donc : le présent et son impossibilité. La liberté et l'aliénation, ou plus immédiatement la spoliation. La chute et le salut. Ou ce que Costa peut dire : le réel et sa vengeance.

Mais je vais trop vite. Et je deviens particulièrement incomplet et imprécis. Le contraire de n'importe quel plan de Juventude em Marcha.

Je recommence.






Ossos sort en 1998 en France, qui découvre pour de bon le cinéma de Pedro Costa. Elle n'est pas la seule : même les Golden Globes se fendront d'une nomination. Muhaha, on dit comme ça. Mais le cinéma, c'est bien à Fontainhas qu'il prend vie. Et Pedro Costa, lui, paraît ressentir au sortir du film un nombre certain de frustrations.

Comme s'il savait que sa place peut être là, mais : il a dérangé. Pas au sens : alors, ça vous a dérangé ce film ? Non, ça, évidemment, pourquoi pas. Non : il trouve qu'il a dérangé les gens de Fontainhas avec les grosses équipes et les grosses machines du Cinéma. C'est une des choses qu'il a ressenties pendant le tournage.** Qu'il a ressenties. Lui. Pas : qu'on lui a reprochées.

Il paraît que Vanda Duarte a encouragé Pedro Costa à poursuivre son travail à Fontainhas.

Alors Pedro Costa repense tout : il va filmer, lui-même, avec une camera numérique. Une seule autre personne est présente pour le son. Et : les habitants de Fontainhas jouent maintenant leur propre rôle. 130/140 heures d'images sont filmées. Et au cœur de ce nouveau film de trois heures : Vanda.

Le tournage a duré deux ans. Six jours sur sept.***






Autour du tournage de Dans la chambre de Vanda, commence la destruction de Fontainhas. Les habitants doivent être relogés dans une zone à bas loyer. Cet arrachement : Juventude em Marcha, en ce sens terminus d'une trilogie. Avec toujours les habitants du quartier. Sur tous les plans.

En février 1998, j'ai 25 ans, je reviens de l'ouest total, et plutôt là où ça fait mal… Je vais voir Ossos, je commence à être un peu vraiment curieux, et ma manière de vivre les films changent, je dois même dormir un quart d'heure : parce je sais que je reviendrai, que j'y reviendrai, parce que j'y suis très bien, et très mal à la fois. Il est trop tôt. Pour MOIJE.

C'est autre chose qui est là. En face.

En 1998, je ne connais pas l'histoire et les méthodes de travail de Pedro Costa, j'ignore tout de Fontainhas, je ne sais pas que Ossos ouvre une trilogie dont je ne pourrai pas revenir quand je découvrirai son dernier volet… Je ne sais pas que là, entre temps, je n'aurai pas encore revu Ossos, j'aurai raté Dans la chambre de Vanda. Pourtant ce premier rapport singulier à Ossos m'a, aussi, secoué les puces pour ne pas rater Juventude em Marcha.

J'ai eu peur d'Ossos, comme j'aurais alors peut-être eu peur de Juventude em marcha, comme j'aurais sans doute été terrifié par Dans la chambre de Vanda, et même, par Vanda elle-même. J'ai été tenté de le rejeter. Je sentais que je ne pouvais pas. Par amour de la vérité, d'une sœur, ou des vérités, et des frères ? TOIQUIVOIS.



A suivre…


 




* Extrait d'un entretien retranscrit ici (c'est moi qui reviens à la ligne).


** "Nous tournions de nuit et balancions de la lumière à l'intérieur des maisons. J'ai compris qu'il y a quelque chose qui ne va pas dans la manière dont les films sont faits aujourd'hui."

Traduction maison de  "We would be shooting late at night and shining lights into people's houses. I realized there's something wrong with the way movies are made today." depuis ici.

D'ailleurs à partir de Dans la chambre de Vanda, il commence à travailler presque exclusivement avec des réflecteurs pour la lumière, et non des lampes.


***
Et ça, nous y reviendrons au prochain épisode !

Et je retiens aussi ceci, dans les raisons des changements adoptés par Costa : "Je voyais seulement 20% de ce que j'aurais du regarder chaque jour parce que mon regard était attire par les types de l'équipe ou quoi que ce soit d'autre, les moyens et les fins n'étaient pas pensés de manière juste et aboutie. Alors je me suis dit que je devais m'y prendre d'une autre façon. Et cela m'a amené à penser que la manière traditionnelle de faire les films était totalement incorrecte. "

Traduction maison de " I saw only about 20% of the things that I should have been seeing every day because my eyes were attracted to the guys in the crew or whatever; the means and the ends weren't thought through correctly. So I thought to myself I had to do things another way. And this led me to think that the normal way of making films is all wrong. "

Dans Mark Peranson, "Pedro Costa: An Introduction", Cinema Scope 27, Summer 2006, cité depuis ici.

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commentaires

J
Il n'est malheureusement pas venu au festival cette année. Le festival était de moins bonne facture, soit dit en passant.
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D
<br /> Il y a des moments "sans" ;-)<br /> <br /> <br />
L
Je commente où je peux...Le cinéma va (re)devenir muet ?
Répondre
D
<br /> Désolé pour le désagrément temporaire quant aux commentaires.<br /> <br /> Chaleureux sourire quant à votre question : non. Seulement un peu de chaos...<br /> <br /> <br /> <br />
P
un coucou du soir, et ne speed pas en allant bosser ce soir, mets ta ceinture bises!!!! :0010:
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D
<br /> Coucou, et oui, j'essaie pour la ceinture, j'essaie... d'y penser ! Bisous :-)<br /> <br /> <br />
J
Bonjour,C'est effectivement rageant de ne pouvoir commenter ton dernier article. Pour revenir sur une de nos vieilles discussions, le réalisateur Espagnol controversé qui a "grillé" ses compatriotes dans les églises Piortugaises n'est autre que Jesus Franco. C'est Fernando Trueba qui m'avait conté l'anecdote (je fais le mec qui se la joue d'avoir croisé Fernando trueba alors qu'il parlait à une assistance trop peu nombreuse) lors d'une projection d'un grand classique Espagnol que j'avais pu admirer.
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D
<br /> Bonjour Julien :-)<br /> Merci pour cette histoire. M'étonnait aussi de Costa, en tout cas dans ces termes...<br /> <br /> Tu embrasses Fernando pour moi ?<br /> <br /> <br />
B
Yep, j'aurais bien aimé le voir No country for old men. Je me rattraperai sur le DVD. Quoi qu'il en soit, je te souhaite encore un bon voyage. :)
Répondre
D
<br /> Ah la la, crois-moi, je pense que le DVD lui enlève singulièrement. Mais bon... Viens à Paris ! :-)<br /> <br /> <br />

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