Cet article est la suite de ...(II)… ou No Attame, le tout bien sûr truffé de spoilers.
Deathproof (Boulevard de la mort…) donc : il est permis de m’appeler Gratounette…
Et je n’en reviens pas que ce qui m’a écorché pendant le film soit écrit noir sur blanc dans un entretien donné aux Cahiers du cinéma (Juin 2007, le numéro avec un très bel article dont j’ai déjà parlé sur Zodiac).
C’est vrai : il y a plein de trucs hyper divertissants et agréables voire excitants dans le film, et c’est drôle, et on ne peut que remarquer un certain boulot visuellement, et tout, et… dès la première partie : ça ne va pas comment on leur fait la peau aux filles.
Pas dans ce type de processus-là. Je trouve.
Tarantino le dit mieux que je ne saurais le faire, alors je le cite directement : « J’ai réfléchi à cette scène [la collision fatale] pendant tellement longtemps… Ce qui précède la collision est encore plus important. La musique, la juxtaposition des plans dans la voiture des filles et de ceux dans celle de Mike, la montée en puissance, l’attente… Et bam !!! […]
Dans cette scène, je pense constamment au public. J’aime jouer avec lui, l’emmener dans des endroits inédits. Quand je fais l’amour à une femme, je suis attentif au moindre des bruits qu’elle fait, afin de l’emmener là où je veux, jusqu’à la jouissance. Pareil avec le public. Ce que j’essaie de vous suggérer avec cette métaphore sexuelle, c’est que, pendant que la musique monte et que vous entrez dans le rythme, vous êtes Stuntman Mike : vous voulez que la collision arrive.
Les Cahiers - Pas sûr. Les filles sont très attachantes.
Tarantino - Je pense que si. Here’s my point : you want the sensation. Laissez-moi vous dire exactement ce que je pense : si au dernier moment, après tout cet énorme travail de mise en condition, la conductrice aperçoit la voiture qui fonce vers elle et fait un écart pour éviter la collision, vous vous sentirez floués. Ce qui prouve que vous désirez la collision. Non seulement vous la désirez, mais en outre ce désir fait de vous Stuntman Mike. Vous êtes comme lui, vous désirez le choc. Et voilà qu’il arrive. Mais d’une manière encore plus horrible que ce que vous imaginiez. Ce n’est pas vraiment ça que vous désiriez [Tarantino frappe son poing dans sa main]. Plutôt ceci [un coup moins fort]. Or pour avoir ceci, il faut avoir ça. Mais c’est trop tard ! Vous êtes complice !
Les Cahiers - C’est cruel, de se débarrasser des quatres filles d’un coup.
Tarantino - Quand on arrive à de telles extrêmités de violence, au cinéma, ça doit faire mal. Me faire mal, vous faire mal. Un mal qu’on ne fait qu’à ceux qu’on aime."
Cette possibilité de lecture libre passée… permettez à Gratounette de se déchaîner ! Quitte à verser parfois dans le (très) mauvais esprit, mais : pas que, et pas gratuitement, j’espère…
Tarantino : « J’ai réfléchi à cette scène pendant tellement longtemps…»
Capital : nous sommes au cœur du truc. Et au cœur du film.
« Ce qui précède la collision est encore plus important. La musique, la juxtaposition des plans dans la voiture des filles et de ceux dans celle de Mike, la montée en puissance, l’attente… Et bam !!! »
Qu’on pense bien à la passion et à l’énergie, si particulières, avec lesquelles Tarantino s’exprime toujours.
« Dans cette scène, je pense constamment au public.»
Voyons de quelle manière, à quelle fin, selon quels présupposés…
« J’aime jouer avec lui, l’emmener dans des endroits inédits. »
Marque de fabrique de Tarantino, ouvertement guidé par le « pas encore fait ». Ce qui ne correspond la plupart du temps qu’à un déplacement assez simpliste : alors là, ce serait une belle femme blanche qui va nous maîtriser les arts martiaux et nous faire le « cent contre un ». Ça n’a pas encore été fait dans la Hollywood Machine ? C’est bon ? Ok, on y va ! Chemin le plus court : filer aux femmes les rôles qui n’étaient jusqu’alors dévolus qu’aux mecs. Ce pourrait être réjouissant, et que justice, évidemment… Mais est-ce qu’il est vraiment beau et neuf ce regard porté sur ces femmes ? Ou passablement tordu et réactionnaire ? J’y reviendrai.
«Quand je fais l’amour à une femme, je suis attentif au moindre des bruits qu’elle fait, afin de l’emmener là où je veux, jusqu’à la jouissance. »
Alors est-ce que ça te dirait de l’emmener là où elle veut ? Est-ce que ce sera la même jouissance ? Pour elle et pour toi ?
« Pareil avec le public. Ce que j’essaie de vous suggérer avec cette métaphore sexuelle, c’est que, pendant que la musique monte et que vous entrez dans le rythme, vous êtes Stuntman Mike : vous voulez que la collision arrive. »
Personnellement : non. Pas si simple, et en l’occurrence : non.
Les Cahiers : « Pas sûr. Les filles sont très attachantes »
Consternation totale. Ça veut dire quoi « les filles sont très attachantes » ? Et si elles l’étaient moins, est-ce que là, sûr, pour de bon, on voudrait leur mort ?!?
Tarantino : « Je pense que si. Here’s my point : you want the sensation.»
Décidément non. Parfois oui (catharsis), là précisément non. J’y reviens.
« Laissez-moi vous dire exactement ce que je pense : si au dernier moment, après tout cet énorme travail de mise en condition, la conductrice aperçoit la voiture qui fonce vers elle et fait un écart pour éviter la collision, vous vous sentirez floués. »
Pas sûr. Evidemment, on a compris où il veut en venir, mais précisément, ici et maintenant : pourquoi cette démission de l’envie de nous « emmener dans des endroits inédits » ? Je trouve que : ici, l’inédit devient grand, et pas seulement marketing. D’autres l’ont fait et le feront.
« Ce qui prouve que vous désirez la collision.»
La seule chose prouvée : mise en place d’un système pour que le spectateur qui entre dedans désire cette collision. Ce qui ne veut pas dire, par ailleurs, que tel était son désir premier. En revanche, cela nous renvoie, de manière limpide, au désir premier du spectateur Tarantino…
« Non seulement vous la désirez, mais en outre ce désir fait de vous Stuntman Mike. Vous êtes comme lui, vous désirez le choc. »
C’est ce qu’il veut que je ressente et ça me fout un goût dégueulasse dans la bouche. Parce qu’il se trouve que ça ne correspond pas du tout à mon désir mais au sien (cf épisode II).
«Et voilà qu’il arrive. Mais d’une manière encore plus horrible que ce que vous imaginiez. Ce n’est pas vraiment ça que vous désiriez [Tarantino frappe son poing dans sa main]. Plutôt ceci [un coup moins fort]. Or pour avoir ceci, il faut avoir ça.»
Je trouve que : mise en place d’un parfait système de culpabilisation. Le fin du fin de la perversion. Le négatif d’une approche cathartique : j’ai vraiment envie de faire une saloperie, je vais faire cette saloperie, je la fais, et - last but not least - je suis super coupable d’avoir fait ça. Avec deuxième couche offerte : moi, réalisateur, je te fais remarquer que tu es super coupable d’avoir fait ça, de l’avoir voulu, comme moi.
« Mais c’est trop tard ! Vous êtes complice ! »
Il manque à peine un « youpi ! »
Les Cahiers : « C’est cruel, de se débarrasser des quatre filles d’un coup. »
On n’est peut-être pas loin de ce qu’il y aurait à dire mais : victoire de la platitude…
Tarantino : « Quand on arrive à de telles extrémités de violence, au cinéma, ça doit faire mal. Me faire mal, vous faire mal. Un mal qu’on ne fait qu’à ceux qu’on aime.[…] »
Fin du système pervers sado-masochiste et culpabilisateur à outrance, autosatisfait dans son terrorisme de l’émotion consciemment élaboré. Et là, j’ai vraiment envie d’en sortir…
Reste à évoquer un dernier terrain particulièrement glissant dans la rubrique "ça ne va pas comment on leur fait la peau aux filles"… et dans cet objet de l’obscur désir…
(à suivre donc…)
Euh… Encore un ou deux épisode(s) et la saga sera finie, promis, puisque l’été aussi !
Partie écrite le 9 juillet, arrêtée le 8 septembre.
PS : toutes mes excuses quant à ma présence qui semble devenue aléatoire. Mes problèmes informatiques/internet ne sont pas encore résolus... Bah ! Tant qu’on peut encore danser...