
On brûle toujours ce qu'on a aimé. Je ne dis pas tout le monde. Je ne dis même pas moi. Mais ce désir existe. Il fait vivre la presse people. Et pas que : un désir qui sommeille plus souvent qu'on ne veut parfois le croire…
Et là, en tant que possible, je trouve que : chez tout un chacun. Œil de caïn.
A chacun ses vigilances. Plus dure sera la chute : quiconque est adulé - ou tout comme -, à un moment, le sait. Avec un peu de maturité.
Pas de ce désir-là dans l'amour inconditionnel. Alors je ne saurais brûler le film de David Cronenberg. Même si ce n'est pas son chef d'oeuvre… Et même, j'ai l'impression qu'on veut parfois brûler trop vite. Sous la plume des plus éminents, ou des plus affûtés, il y a eu la tentation du brasier sur eXistenZ, ou sur Spider, ou sur A History of Violence, ou aujourd'hui sur Eastern Promises. Je n'aperçois pas de vraie déception, ici.
Est-ce qu'il y a aura de la mauvaise foi dans cet article ? Je ne peux pas assurer du contraire. Je ne peux pas maîtriser ça totalement. Mais au pire, je trouve que : c'est la belle mauvaise foi. D'accord ?

Conservant l'inénarrable espoir que mon lectorat s'élargisse, répétons, répétons : mes articles sont truffés de ***SPOILERS***.
Pas forcément directement sur l'histoire. Les histoires, ici, je m'en fous. Je n'ai pas besoin qu'on me raconte des histoires. Au cinématographe. Comme dans tout art. Tout petit élément parmi d'autres. Même au cœur du scénario.
Exception de la règle : quand le processus de l'histoire est dégueulasse.
Ce que dit, au fond, l'histoire ou ce qu'elle prend en charge : ça oui, ça compte aussi, ça m'intéresse (cf Zodiac).
Alors, qu'est-ce qu'on prend en charge ici ? Pas comme sujet. Pas comme débat. Cronenberg artiste, pas essayiste, et son ambition n'est pas " les dossiers de l'écran ". Alors, qu'est-ce qu'on retient du monde ici ? Des histoires de mafia russe, de déportations d'enfants de l'Est pour en faire nos prostituées à prix cassés, des violences qui semblent bien bénéficier d'un déni de réel prolongé, le tout dans un Londres ultra-libéralisé. Alors bien sûr : les codes réactionnaires de certaines virilités affichées. Autrement dit, on va bien se marrer, pas vrai ?

Et c'est peut-être là que le bât commence à blesser.
Hypothèse : ce n'est pas Cronenberg qui a changé, c'est notre regard sur lui qui peut en avoir envie. Parce que : l'environnement du film est ultra-contemporain, ultra-réaliste, ultra-refoulé.
Sauf que : décidément pas son problème. Même sans aucune lâcheté. Tout est là. Tout est dit. Mais il poursuit son œuvre. Avec le monde. Pas à la merci de.
Alors la beauté du film ne se trouve ni dans son possible réalisme, ni dans sa contemporanéïté, encore moins dans notre retour du refoulé.
Je ne dis pas tout le monde. Mais je sens, peut-être à tort et à travers, toi qui vois, qu'une forte tentation est là, comme en sommeil, prête à bondir, chez moi aussi. Ce problème ne pouvait pas se poser avec A History of Violence. Parce que le semblant de virage à un plus fort " réalisme ", était compensé par notre habitude des figures proposées. Des gangsters d'origine familière. Presque un folklore. C'est inscrit dans la tête de chaque spectateur : pas de problème pour distancier… Ici, le réel assumé : du lourd. Très.

Je recommence.
Et je m'engage à ne pas faire, ici, dix pages :-)
La scène du hammam est exceptionnelle.
Je recommence.
La scène du hammam est exceptionnelle.
Je n'ai rien envie de dire, là, tout de suite, maintenant, pour faire semblant d'être intelligent.
La scène du hammam est exceptionnelle.

Un homme s'appelle Viggo Mortensen. Il est aussi comédien. C'est l'un des plus grands aujourd'hui.
Il est immense avec Cronenberg.
Ils se sont trouvés. Ils le savent depuis A History of Violence.
Exemple fracassant de ce qui le rend exceptionnel, au-delà de son talent, de la précision et des infinies nuances ET ambivalences - coexistences de contraires, répétons, répétons, dans mon vocabulaire - de son jeu ?
Il sublime la virilité, la vraie, la profonde, sans aucune trace de machisme rance. Sa contemporanéïté est renversante. Sa masculinité est libérée, vraie et TOTALE.
Il est totalement VRAI.
Tous les codes et les masques sont compris et neutralisés. Yeah !
Et ça tombe plutôt bien vu l'environnement pris en charge par ce film, non ?
Dans le mille, je vous dis.

Il y aurait des pages à écrire sur le désir nécessaire - et il n'est pas ici question de parties fines - pour un/e réalisateur/rice de filmer son/sa/ses comédien/ne/s/nnes. Il faut voir ces deux là en interview. Là : tu sais déjà que ça va être magique.
Des pages à écrire sur la poursuite des allégories de Cronenberg. Il n'a rien lâché. D'autres grands moments sont offerts dans ce film. Et parfois, ou souvent, une lumière magnifique, des cadrages splendides, un montage redoutable. Est-ce que j'oserai vraiment en parler ? * Mais essentiellement : dans une humble sécheresse, sans tentation pour l'imagerie (mon pire ennemi), sans effets de manche déplacés.
Mais aussi, oui, et comme si c'était la première fois : avec lyrisme, parfois (la séquence finale avec le bébé). Le lyrisme ne me dérange pas : un possible comme un autre. Je veux dire : je suis même plutôt du genre lyrique. Vous avez remarqué ? Pas que. Mais chez lui, ça peut encore faire bizarre. On ne s'attendait pas à ça, surtout dans cet environnement là. Mais j'y crois, je veux bien, ce n'est pas tout à fait évident. A la première vision. A la seconde : beaucoup plus. Alors pourquoi pas. Pourquoi pas, vraiment ? Peut-être qu'il n'y arrive pas. Je ne sais pas. La troisième fois, je trouve qu'il y arrive totalement. Est-ce que je m'aveugle ? Je veux croire que j'approfondis. Et que je me déplace. Librement. Invité. Et librement invité.
On pourrait développer des interrogations sur la nécessité d'une telle frontalité de la violence (mais ça, je n'y crois pas moi-même : oui, je pense encore que c'est nécessaire ici, et même si MOIJE tourne la tête ou le regard), sur la direction d'acteur peut-être déséquilibrée par le joyeux duo (les autres peuvent aller du carrément médiocre au très bon, cela dépend - de qui l'on parle et à quel moment), sur l'absence ponctuelle de grâce (avec des moments en force, et d'autres programmatiques ?)… Mais nous n'avons pas le temps : il faut aimer. Puisque ces défaillances ne prévalent pas, ici. Et puisque j'aime, quel temps ai-je à perdre, ici, avec ce qui n'a peut-être pas marché ? Il y a assez. Je suis repu. Non. Au contraire. J'y retourne. Ce soir. Hier. Demain. Je t'avais prévenu : j'aime David Cronenberg. Inconditionnellement.
J'aime Eastern Promises. Aussi. Pour cette raison-là ?... Pas que. Je le sais.

* Même problème qu'avec Lynch, Tarkovski ou Eastwood, et peut-être (certains) Godard. Mais comme dit récemment : j'ai la trouille, donc je vais m'y coller. Je ne sais pas par quoi je vais commencer. Une nouvelle saga s'annonce... Sur Eastern Promises, dix pages valsent dans ma tête. "Je l'écris pour le faire" : ça, j'y crois depuis longtemps, mais je le pique ainsi à un blog aimé.
PS : mince, y a même pas de spoilers. M'suis cramé des lecteurs pour rien. C'est pas drôle…