Quel talent ce Shyamalan pour faire l'unanimité contre lui ! Depuis The Village, de mieux en mieux, de plus en plus fort, c'en est troublant, et si le rejet des médias américains pourrait s'expliquer fort bien, plus qu'aisément, je peine à comprendre ce qui se passe en France. Il aura néanmoins réussi à battre une nouvelle fois son record personnel. Circulez y a rien à voir ? Pas d'accord.
Le Dernier maître de l'air , aussi inabouti soit-il, reste bel et bien à mes yeux une tentative honorable de cinéma, et si je me cantonne à raisonner sur les objets divers et souvent avariés qui bénéficient d'une campagne marketing imposant une visibilité, je vote carrément très au-dessus de la moyenne. Et là, tout de suite, il y a plein de gens qui vont te fondre sur le râble en te disant que tu es bien snob. Cool.
Ça doit tellement toucher un truc qui défrise large, le Shyamalan, que même le distributeur semble déterminé à planter le film : quand les affiches françaises ont débarqué, je me suis dit, là, le pauvre Shy, il doit vraiment être tenu de remettre des sous dans la caisse, sinon il va falloir virer indépendant total, alors que ça ne semble pas être le chemin qu'il a choisi. Là-dessus : une quasi-unanimité dans les médias sur le désastre du truc. J'ai bien cru que j'allais sécher l'épreuve, ce qui me faisait un peu suer : j'aime bien "soutenir" même quand les gens se plantent. C'est surtout là qu'il faut les soutenir d'ailleurs, quand ils se plantent, je crois. Non pas en trouvant défendable ce qui ne l'est pas, mais simplement en étant là, comme on fait pour les copains, comme on a du mal à faire avec soi.
Bref, heureusement que j'ai vu deux signatures que j'aime particulièrement témoigner in extremis d'un intérêt pour le film. Même si : ce qui me retenait le plus plus plus restait la 3D. En soi, je n'ai rien contre, mais comme on est encore au niveau zéro du jeu pour les grosses prods, je garde une distinction tranchée entre le cinéma et le futuroscope (dont je me contrefous).
Parenthèse : j'ai découvert le film en 2D, mais j'ai ressenti une frustration, avec l'impression bizarre que les plans prendraient toute leur ampleur dans l'autre version, via notamment le travail sur les quatre éléments. En fait, pas vraiment. Il n'y a qu'un plan sur un bateau "agresseur" qui m'a semblé réussi en ce sens. Maintenant qu'un peu de temps est passé, le film flotte pour moi entre les deux versions. Je ne peux me départir de la sensation que Shyamalan sait que son film sera distribué en 3D et qu'il le pense bel et bien comme tel, mais n'étant pas, techniquement, tourné ainsi, cela ne "s'actualiserait" pas. Au final, et peut-être bêtement, je trouve quelque chose d'assez beau dans cette forme de frustration-là, ou de désir. Dans cet entre-deux, la version 2D est bien la plus émouvante, dans sa force "désirante".
Pour en finir avec la 3D, Step up 3D (Sexy Dance 3D pour le titre français débile à souhait) bénéficie parfois d'un accueil sympathique qui repose notamment sur le fait qu'un tournage en 3D limite les cuts intempestifs dans le montage. Pour autant, le Sexy Step Truc ne semble pas vraiment rechercher, à une exception près peut-être, à tirer partie de cette "contrainte" qui rend au mouvement, et au mouvement dansé, toute sa force. Il reste suffisamment possible de morceler une chorégraphie pour éviter d'avoir à la filmer, où même à la travailler en profondeur. Je ne crois donc pas que la 3D suffise à expliquer le choix de Shyamalan de capter du corps en mouvement, comme rarement. Le travail nécessaire, pour restituer de la continuité au mouvement, qui ressurgit ici me bluffe, aussi parce que cela a globalement disparu (et totalement des blockbusters). Cela génère alors aussi une possibilité de croyance dans les corps à l'image très éloignée de tous les films où je préfèrerais juste qu'on me donne le joystick. Ainsi, la scène où la jeune femme, maître de l'eau, et l'avatar répètent leurs mouvements ensemble, au sens fort, m'a littéralement fait monter les larmes aux yeux.
Ce sacre harmonieux du mouvement participerait de quelque chose de nouveau quant à la présence des corps dans le cinéma de Shyamalan. Je me souviens des corps torturés ou coupables : l'incassable David Dunn comme le fragile Elijah Price, la jeune Story de l'eau, Lucius Hunt et le révérend veuf, la toile cauchemardesque de The Happening, celle refoulée de The Village (malgré l'exception constituée par Ivy Walker, qui doit tout de même traverser une sorte de chemin de croix sexuel). Il faut dire que l'on repart ici de l'enfance, et en particulier d'un enfant-bonze, ce qui aide à se délivrer d'une certaine culpabilité/souffrance du corps ! Mais à repenser au film qui aura lancé la carrière du cinéaste, le précédent à reposer autant sur un enfant, on mesure un renversement complet : dans son rapport physique au monde, l'avatar est un opposé du corps terrifié du personnage d'Haley Joel Osment. Amusant de noter que ce basculement intervient dans le premier film du réalisateur véritablement investi par les effets spéciaux : à se demander si c'est un réflexe de survie qui bouscule ici le regard de Shyamalan là où la plupart des films se désincarnent totalement (le spiderman qui saute d'immeubles en immeubles n'a aucune chair commune avec l'avatar bondissant dans les airs - croyance dans les corps à l'image, à nouveau). Oui, à confronter sur ce plan Le Sixième sens et Le Dernier maître de l'air, je sens bien davantage un nouveau début, qu'une fin de cycle qui aurait accouché du film de trop. Il se passe quelque chose.
Un des points communs de ces deux films reste la tristesse palpable de l'enfant quant à sa place dans le monde, au rôle démesuré qui lui est échu dans un contexte violent et sombre. Mais la mélancolie à l'œuvre ici est bien plus tragique, et plus belle en s'ancrant dans une joie du vivant (plaisir palpable de l'apprentissage). L'enfant qui voit les morts était d'abord livré à la terreur, et une terreur évidente, immédiatement partageable par les spectateurs. L'avatar se tient du côté du pouvoir, et du pouvoir fantasmé des super héros, mais ce pouvoir, longtemps différé, se traduit tangiblement par un accablement. Au risque de contredire un peu ce que j'écrivais précédemment, une part de cet accablement relève donc du sacrifice de la vie personnelle (à envisager pourtant, si le film connaît les suites initialement prévues, que l'avatar puisse intégrer dans son parcours de briser cette contrainte). L'avatar s'incarnerait donc à la fois dans la joie et dans la mélancolie, dans une force (qui l'emporte sans tuer, éblouissante scène du soulèvement de l'océan) comme aux antipodes de celle du héros très faussement sympathique du détestable Karate Kid (en tout cas moi, passé quelques mignardises et le plaisir de retrouver Jackie Chan, j'ai eu du mal à décolérer à la sortie).
Me semble assez nouveau, que des blockbusters américains nous présentent des scènes de combat avec des enfants. L'on y repère ici, pour l'instant, une sorte de tabou du sang (il faut voir ce qu'ils se mettent dans la tête dans les deux films). Mais tandis que je trouve étrangement belles celles impliquant l'enfant sans âge, l'avatar, et notamment celle très sobrement montée avec le rescapé de Slumdog Machin (autre film d'épouvante pour MOIJE), les séquences haineuses et décérébrées du jeu vidéo final de Kung Fu Kid clôturent le film dans une laideur stupéfiante… C'est que le chemin n'est pas le même. Dans le film sino-étasunien, il ne s'agit pour les enfants que de recevoir des adultes (Jackie Chan et je dirais Will Smith) toutes les lois d'une jungle où le droit du plus fort est le droit de vie. Les enfants du film de Shyamalan, et en particulier l'avatar bien sûr, sont là pour retrouver un ordre via un renversement, pour recréer une harmonie, ancestrale mais dont ils sont les détenteurs. Et cette possibilité, ce pouvoir, est ce qui restitue un droit de vie pour tous.
Bref, bref, bref, non seulement le film n'est pas mauvais du tout, mais j'y ai pris un pied total, ce qui n'a certes rien à voir, mais motive nécessairement à tenter d'en défendre les qualités. Et je finirai donc par le sacrer vrai film pour enfant (ce qui est peut-être une partie du problème), même si je ne suis pas sûr de ce que ça veut dire : "film pour enfant". Je sais juste que c'est un film où j'aurais envie d'amener mes mômes si j'en avais. Et ça ne m'arrive pas souvent. Comme ça ne m'arrive pas souvent de trouver très agréable d'aller voir les films pour enfants dont on nous assure à quel point on doit les voir nous aussi, les soi-disant grandes personnes. Ben oui, maintenant, on fait des films "familiaux", pour toute la famille, quoi, c'est vachement bien : il n'y a plus à se poser la question de savoir qui emmène les gosses voir le film, parce qu'on aurait aussi d'autres choses à vivre ou à voir. Non : maintenant, ce qu'on doit tous aller voir, c'est le dernier film d'animation, ou tout comme, marketé à mort, qui est aussi tellement bien pour les adultes. C'est parce qu'on a tous une âme d'enfant ! C'est ce qui se dit. Mais je trouve pas. Je parle pas de l'âme d'enfant. Je déteste l'expression. Faudrait la démonter. Le problème est que les adultes n'ont rien du tout à regarder en ce sens : ce qu'ils ont à regarder, c'est un chapelet de pauvres blagues au dites au second degré, spécialement intégrées pour eux. Rien à voir. Le must : la référence à des films qu'on est tous censés avoir vus, de préférence non réductibles à des objets marchands. Toutes ces ambitions strictement mercantiles s'accompagnent en général, et plus ou moins en douce, d'un message réac' à pleurer mais on est tellement second degré que tout va bien. Qu'est-ce que je disais ? Que le film de Shyamalan, c'est tout le contraire, qu'il ne s'adresse pas aux adultes comme à des ados attardés tentant, tout en justifiant leur paresse, de faire les malins. Et c'est ça (aussi) qu'est bien.
PS : je recommande aussi vivement la lecture de ce billet (qui m'a invité à voir le film). J'aime par exemple beaucoup le proposition sur le "centre vide" (à l'inverse donc de Karate Kid à mes yeux).